Que faisait le Jabberwocky en personne au moulin rouge ?
Dans le bureau de Lior, qui plus est ?
Ça t'a intrigué Aslan - bien que tu ne pouvais pas écouter aux portes, tu aurais tellement voulu les entendre. La curiosité piquée à vif, tu avais attendu ton heure, les bras croisés derrière le dos. Tu avais louché des yeux quand il passait devant toi - t'étais imprégné de son odeur, de sa monstruosité. Mais si tu n'es pas assez fou pour t'attaquer à lui, c'est d'un oeil habilement menaçant que tu l'as détaillé, déshabillé de toutes ses forces.
Tu n'as que faire de l'humain Aslan, c'est le Dragon que pourfend le Prince Charmant.


Depuis combien de temps est-ce que tu marches en ces terres hostiles ? L'eau dans le sac pour ne pas mourir sous la chaleur, tu avais traversé les villages des terres volcaniques pour suivre et filer le Jabberwocky jusque dans son antre.
Peut-être auras-tu la chance de le percevoir sous sa véritable forme, de le tuer d'une épée dans le coeur, comme dans les contes de fées.

Il te faut un plan Aslan, mais c'est poignard dans la main et yeux assassins pour seuls armes létales que tu pénètres la grotte maudite. Tu restes collé aux parois bouillantes, de la sueur dégoulinant de tes beaux cheveux blonds. Sourire morbide alors que l'adrénaline guide tes pas. Tu n'es pas intéressé par la gloire (si, totalement) mais le privilège d'abattre la Bête te file des frissons, des sensations que n'importe qui jugerait déplacées.

Il n'y a personne, dans ce décor de maison. Personne pas même une ombre qui bouge sur les murs... AH ! En voilà une qui grandit en face de toi, dessine des ailes sur la roche et tes yeux s'écarquillent à mesure que ton rictus déforme ton visage. Mais c'est un homme, simple et mortel, qui se présente comme seul acteur de la scène. Déçu, mais tu ressers ta prise sur ton couteau, la respiration sifflante. Ça t'excite de regarder, mais ça te coupe d'espérer encore et encore et que tes voeux ne réalisent pas. Transforme-toi, Jabberwocky !

— « Vilain... Vilain dragon... Ce n'est pas toi que je veux voir ! »

Démasqué alors tu t'écartes lentement du mur de la grotte pour pester, le regard lugubre et les mains tremblantes. Dans le dos, pour cacher le couteau que tu glisses lentement sous ta manche.

— « Que vais-je raconter ce soir ?? Que j'ai planté un homme faible qui fait à peine ma taille ? Haha, non... c'est hors de question. »

Tu fends un sourire aussi doux que faux alors que tu penches la tête sur le côté. Tu ne sais plus ce que tu dis ni ce que tu fais.

— « Que c'est laid ici. Et sale. L'odeur m'indispose. »

Les pensées n'ont plus aucun sens et tes filtres ont disparu.

Il y a une fascination presque trop malsaine dans la manière dont tu le dévisages. Tu ne sais pas si tu le hais ou si tu l'aimes, tu ne sais pas si tu le veux pour toi de loin ou si tu veux mettre un terme à son règne. Il te provoque des choses ça c'est clair - AH ! Lior, ce petit égoïste et cachotier, il s'est bien gardé de te le présenter. Mais après l'histoire avec Alec, tu as compris ; désormais c'est chacun ses jouets.

— « Non. Je ne vais pas te planter. Je ne sais pas si j'en aurai le courage. »

Ton débit de parole est ralenti. Doux, doucereux. Tu plisses les paupières et étires un demi-rictus en coin.  A l'ordre qu'il intime, tu frissonnes. Baisses les yeux pour te calmer. Inspires. Expires. Merde. Sourire qui s'étire alors qu'en réalité, tu serres les dents à t'en éclater l'émail.
Son impertinence, putain !
Tu redresses la tête, ayant du mal à garder la face, ayant du mal à dissimuler ton vrai visage.

— « Tu as cru que je nettoyais les cages des animaux ? »

Tu as peur Aslan, qui n'aurais pas peur face au Jabberwocky ?
Mais pour l'instant il n'est que l'humain et tu te sens pousser des ailes. A défaut de voir les siennes.
Tu t'approches, montes sur la pointe des pieds pour être totalement à sa hauteur. Tu sais pas pourquoi tu t'es mis en tête de le pourchasser et t'as aucune idée de ce que ça va donner mais tu sens que t'as besoin de le r e g a r d e r.
De plus prêt, plus prêt, plus prêt. AH ! Il est trop prêt, ça te donne des sueurs froides. Tu recules.

— « J'en ai dressé des plus féroces que toi. »

Et c'est dit sans animosité.
Merde.

La peur est factice, illusoire. Tu ne sais pas si tu as raison de le craindre Aslan, tout simplement car tu ne t'agenouilles devant aucun homme (encore moins face à des bêtes) mais il n'est ni l'un ni l'autre. Ton esprit malade ne sait pas comment s'orienter, ne sait pas comment analyser la scène. Il gronde mais tu n'entends rien. Il te fait basculer, choir à ses pieds et tu t'allonges, le couteau toujours dissimulé dans ton dos. Tu l'observes sans aucune expression sur le visage, il se rapproche et tu te cambres pour inspirer, expirer. Mourir à petit feu sous son corps bien trop prêt. Ça t'indispose, ça te rend nerveux.

Il attend, il questionne !
C'est sa faute à lui, c'est lui qui t'a poussé à le faire. Tu as juste cédé face à ses impatiences, embrassé ta déviance. Alors d'un coup sec et sans sourire, tu sors la lame de derrière ton dos et vient lui enfoncer dans le flanc. Profites de l'appui pour te redresser en appuyant bien.
Tournes le couteau trois fois dans le sens des aiguilles d'une montre.
Une fois dans le sens inverse.
C'est comme une serrure qu'il faut déverrouiller dans ta tête, et le manche est la clé.
Tu te glisses à son oreille, murmures, perfide.

— « Qui tremble ici ? Je suis déçu, Jabberwocky. Tu saignes comme n'importe qui. »

Tu le repousses pour te redresses, tires sur le couteau pour l'essuyer sur son pantalon à lui (parce qu'il ne faudrait pas que tu salisses le tien).
Tu soupires et desserres ton petit noeud papillon. T'es en sueurs Aslan et pourtant ce sont tes yeux qui brillent alors que tu lui assènes d'un violent coup de pied dans la blessure.

— « Tss. Tu as tâché ma chemise. »

Blanche, comme la pureté de tes sens. Tu t'abaisses, accroupi au dessus de lui. Activant ton don pour le rendre encore plus confus qu'il ne l'est peut-être déjà (?).

— « Il n'empêche que tu es beau comme ça.. »

Coups de pied, encore et encore.
Crise de nerf.

— « Maintenant, crève crève crève ! »

Que je ramène ta tête et que je l'accroche en haut de ma cheminée.

Le voir aussi affaibli à tes pieds, ça te provoque de l'adrénaline et du frisson. Tu te sens héros d'un conte qui existe vraiment, tu te sens comme les chevaliers dont on écrit les légendes - ceux qui pourfendent les monstres et épousent les princesses.
Mais quelque chose ne va pas. Jabberwocky est un homme, pas une bête. Et Alec n'est pas royal, c'est juste une pute du moulin rouge. Rien ne va dans ce tableau, rien n'est correct dans cette histoire. Tu te calmes, inspires, expires. Tu l'observes de haut, les doigts tremblant sur le manche du couteau que tu refuses pourtant de lâcher.

— « Pourquoi... est-ce que... tu ne crèves pas... »

Pourtant tu as la réponse. Le champion de la reine rouge ne peut pas mourir. Pas comme ça, pas aussi vite, pas de mains impures et intéressées comme les tiennes.
L'humain tire sur ton pied pour te faire basculer et tu mords la poussière, la tête s'éclatant brusquement contre le sol dans un acouphène qui remonte à ton oreille. Tu clignes des yeux, reviens à toi trop lentement alors qu'il rugit au dessus de toi.

Il a vécu, il est mort des centaines de fois quand toi tu es mort une seule fois (et tu ne t'en rappelles plus tant que ça).

Son visage si proche il grogne et ordonne, et tes sens se figent. Tu feins l'incompréhension.

— « Quoi. »

Ta voix est aussi inexpressive qu'absente de tout remords.

— « Je ne comprends pas. »

Tu le toises d'une cruelle indifférence.

— « Je ne lèche pas la souillure. Meurs rapidement, je te prie. Meurs rapidement, j'ai dis ! »

Tu ne peux pas bouger, et tu ne te débats même pas.
Tu craches au visage sous les traits du Diable lui même.

— « Je ne comprends pas... »

Tu te demandes quand est-ce que la colère du Jabberwocky s'abattra sur toi. Tu n'as pas réellement peur ou du moins, pas de la même manière. Ta crainte véhicule dans tout ton corps, fait trembler tes membres, fait s'enflammer ton estomac, fait trembler ta voix, te paralyse les jambes. Oui, elle est bien là, la peur grouillante qui te dévore de l'intérieur... et pourtant ton regard ne flanche pas une seule fois, il fixe la bête humaine d'une insolence rare.

— « Un idiot... »

Et tu répètes, comme un idiot. Tu prouves qu'il a raison, tu t'y es mal pris. Tu avais une chance ! Une seule, de poignarder le champion de la Reine Rouge. Tu aurais pu t'en vanter, lui arracher le coeur pour l'exposer dans un sablier. Tout tes rêves macabres désormais envolés...

Jabberwocky s'essuie le visage sur ta chemise et tu grimaces silencieusement, sincèrement dégoûté par la saleté. Mais c'est trop tard... le tissu est déjà imbibé de son sang. Alors ta salive, qu'est-ce que ça change ?

Viens me tuer.
Tes yeux s'écarquillent de démence.
Il t'appelle ! Il t'appelle et ton corps lui répond, tu poses tes mains sur son torse pour le repousser délicatement, glissant tes doigts brusquement à son cou pour l'étrangler. Tu souris (comme un idiot) - comme si c'était aussi simple.

Tu glisses à son oreille comme un serpent, celui qui se complait dans l'outrage, qui se complète dans l'orage. C'est si bon que de sentir les veines se gonfler sous tes doigts, son pouls suffoquer.

— « Il suffit de te transformer... à moins que tu ne penses pouvoir me tuer sous cette forme. »

Et une de tes mains le lâche pour aller s'enfoncer dans sa plaie. Tu y enfonces deux doigts, pénètres sa chair comme les cuisses d'une fille de joie. Tournes et fais des vas et vient pour stimuler la douleur ; la réveiller, la faire jouir d'une intensité rare et décuplée.

— « Ceux qui refusent de mourir doivent au moins souffrir. »

Mais il refuse toujours. Tu ne seras pas couronné de succès aujourd'hui Aslan, le prince est à la dérive. Tu contemples sa déchéance frustré, en colère qu'il ne te rende pas la gloire que tu mérites. Tu n'as rien à gagner à achever un homme à terre quand tu es venu combattre la bête.
Tu serres les poings, le fixes avec dégout. T'es à l'image d'un enfant capricieux, privé de ses désirs les plus tordus.

— « NON ! NON JABBERWOCKY tu ne peux PAS me faire ça ! »

Tu t'avances vers lui, lui donnes un coup de pied. Les larmes de rage au coin des yeux. Essoufflé, et face à son absence de réaction tu pestes et serres les dents. Dans quelle merde tu t'es mis encore ?
Pour arracher à la racine ses envies de représailles tu lui dis avec une légèreté déplacée :

— « Très bien. Je pars et je ne reviendrai jamais. Oublie moi et je t'oublierais. »

Sans savoir qu'aucun de vous n'est capable d'oublier.

— « Je m'en retourne à la civilisation. Meurs donc seul si tu refuses de m'emporter avec toi. »

Et tu tournes les talons, une fois sorti tu te mets à courir.
Courir jusqu'à l'épuisement, jusqu'à avoir retrouvé la sérénité de ta sécurité.