Dans la neige se dessinent des traces de pas. Là où se dressaient des fleurs sauvages, il ne reste désormais que des tiges coupées recouvertes par le givre sucré. Ta truffe humide renifle l'odeur déposée sur le cadavre floral. La fragrance délicate s'hume encore dans l'air et tu la poursuis en t'enfonçant dans les montagnes.

Qui est la malheureuse âme s'étant égarée en cet endroit hostile ? Tu ne sais pas si c'est la curiosité ou la colère qui fait bouger ton corps, fait s'enfoncer tes pattes dans la neige. Le loup grimpe sur les falaises, l'oeillade noire et vide, hypnotisée par l'odeur qui continue de semer des indices. Quand finalement s'articule une silhouette dans la pénombre de l'altitude, tu grognes et retrousses tes babines pour faire apparaitre tes crocs.

Le grognement fait saigner l'alliage de stupre et élevé au rang de Dieu, tu jauges la créature depuis une élévation qui la surplombe. Tu as perdu la raison de tes sens, et ne voit au travers de cette beauté à la chevelure immaculée qu'une intruse de plus dans ton paradis blanc.
Tu bondis sur elle pour la renverser en arrière, marches sur sa poitrine pour l'enfoncer un peu plus dans la neige, paralyses ta proie dans un râle salivaire.

Sous tes griffes acérées s'articule la silhouette frêle d'une femme aliénée. Pitié qu'elle implore à la Bête et tu ouvres la gueule pour grogner, lui intimer dans ton langage de ne pas bouger. La faim insatiable hurle aux entrailles de la dévorer mais ta conscience d'adolescent en proie se débat face à l'instinct du prédateur. Si sa chair a l'air tendre et si tes crocs ont soif de son sang, tu ne peux te résoudre à déchiqueter un corps aussi parfait. Tu ne peux trahir la confiance de la meute et tu décides de lui faire face sous ta véritable apparence.

La chasser de ces terres désolées qu'elle profane de sa simple présence. Les poils grisâtres aux reflets bleutés disparaissent pour ne laisser derrière eux qu'une enveloppe douce et imparfaite. Tes cheveux noirs se dressent en épis, dans lesquels se coincent des flocons de neige. Ta mine est sombre et ton corps nu jonche le sien sans aucune pudeur. Tes mains de chaque côté de son visage s'enfoncent un peu plus dans la neige alors que ta voix (dont tu n'as plus eu usage depuis longtemps) perce la mélodie dissonante de ses geignements.

"Ce n'est pas la première fois que tu viens errer dans ces montagnes."

C'est un son guttural et écorché qui gronde dans ta gorge. Tu respires bruyamment au dessus de son visage, détailles ses traits en t'y attardant.
Tu n'as pas froid, c'est comme si ta fourrure demeurait invisible. Deux oreilles aux couleurs de ton pelage se dressent sur ta tête et tu la toises d'un air défiant.

— « Tu serais morte si je l'avais décidé. »

Mais tu es pourtant bien incapable d'expliquer pourquoi tu as choisi de l'épargner. Peut-être parce qu'elle représente comme elle peut ce monde réel que tu as décidé de fuir.

— « Ou si c'était un autre loup. »

Sa chaleur est à l'image de l'aurore, qui s'abat continuellement au creux des sommets qui surplombent le pays des merveilles. Son corps tremble sous la peur et le froid, et ses dents qui claquent sont un son qui t'agace vite, fait remuer tes oreilles dressées entre tes mèches d'ébène. Tu approches ton visage de son cou, la humes dans un réflexe animal avant de te rendre compte que tu es bel et bien sous ta forme humaine. Tu lui as parlé Castiel et des mots se sont enveloppés dans le vent (non pas des grognements).

Elle s'excuse et tu te demandes bien pour quoi. Lentement, tu te redresses pour tendre tes bras de part en part de son visage. Tu l'encadres pour ne pas la laisser s'échapper, mais sans pour autant l'étouffer.

— « La ferme. »

Tu grondes, mu par une impulsivité propre à l'adolescence, une vulgarité propre à ton sale caractère, tout simplement.

— « Ne t'excuse pas encore, j'avais compris la première fois. »

Tu te plaques un peu plus sur elle, vient glisser tes mains dans son dos en creusant la neige. Tu l'enveloppes de ton étreinte et l'aides à se relever. Heureusement, ses vêtements la protègent de ta nudité (qui ne se veut pas outrageuse).

— « Reste contre moi. La chaleur de mon corps va te réchauffer quelques instants. Mais après ça, tu te tournes. »

L'ordre est sifflé comme une menace.