qu'il est doux, le sommeil où thomas est plongé. allongé sur le ventre, avec les bras glissés sous l'oreiller sur lequel repose ses boucles écarlates, il a l'air serein. les premiers rayon du soleil viennent caresser ses épaules nues, sur lesquelles on peut distinguer quelques taches de rousseurs. il est l'image même du calme et de l'abandon ; aussi confortable dans ce lit qui ne lui appartient pas qu'il l'eût été dans le sien.

mais son repos paisible est troublé par la voix de knave à ses côtés, et il ouvre lentement les paupières, clignant des yeux à la lumière du jour qui l'éblouit. puis, un sourire s'esquisse sur ses lèvres et ses yeux brillent d'une étincelle malicieuse.

ce que je fais ici ? qu'il demande, et l'amusement peut déjà se lire dans son ton, alors qu'il choisit d'ignorer le sens véritable de la question. il me semblait que c'était plutôt évident. à moins que tu n'aies déjà oublié notre nuit de passion ? peut-être te faudrait-il un rappel.

et d'ajouter un clin d'œil, comme si ses propos n'étaient pas assez suggestifs, alors qu'il se redresse et étire ses membres encore lourds de sommeil. il n'a pas l'air de craindre les représailles, convaincu que knave n'oserait jamais le trancher, lui, comme il tranche tous ceux qui se dressent en travers de son chemin. il se sent intouchable, thomas, protégé peut-être par les moments d'intimité qu'ils ont partagé – mais l'est-il réellement ? après tout, ce qui se passe entre eux n'est rien d'autre qu'un énième jeu, et il ferait bien de rester sur ses gardes s'il ne veut pas (s'y) perdre.

mais pour l'instant, rien ne vient l'inquiéter et il s'en amuse, s'amuse de la confusion et de l'embarras qu'il peut provoquer. il joue, et on verra bien où ça le mène.

son sourire s'élargit jusqu'à montrer le blanc de ses dents. il se délecte tout simplement des réactions qu'il provoque, aussi infimes soient-elles. des yeux, il suit chaque geste de knave, et il ne manque pas la façon dont il se cache derrière son sourire et les draps. cela l'amuse, thomas, et il s'ennorgueillit  d'être la cause de cette gêne qu'il peut lire chez le valet, dans son regard fuyant et ses joues vermeilles ; le rouge lui va si bien.

j'insiste, déclare-t-il, impertinent – c'est qu'il se croit tout permis, le sale gosse – et sa main tendue vient se poser sur le visage de knave dans une caresse. le toucher est doux les premiers instants, puis plus ferme alors qu'il glisse deux doigts sous son menton pour le relever légèrement et se penche en avant, les lèvres s'échouant sur la peau ainsi dégagée de son cou.

la vérité, c'est que tom n'avait pas prévu de rester. il a oublié de se réveiller avant l'aurore, et finalement, ce n'est peut-être pas plus mal puisque cela lui permet de prolonger le jeu ainsi. il faudra seulement prendre garde à ne pas en faire une habitude, mais cela ne devrait pas être difficile.

il ne fait pas durer le contact, s'écartant au bout de quelques secondes, juste assez pour dévisager knave. curiosité dévorante, il veut voir, de nouveau, le marbre d'ordinaire immaculé se craqueler, et il demande, provocateur :

es-tu vraiment si fâché que je sois resté ?

il ne se vexera pas si la réponse est oui, au contraire – contrarier les gens est un de ses passe-temps favoris.

savoir que les doigts qui caressent sa peau pourraient tout aussi bien la trancher, cela devrait l'effrayer mais les frissons qui parcourent l'enveloppe de sa chair n'ont rien à voir avec la peur. il n'essaie pas de le cacher. thomas ne connaît ni honte ni embarras, pas lorsqu'il s'agit de plaisir, parce qu'il s'agit bien là sa raison de vivre, l'essence même de tout ce qui motive ses actions.

ses sourcils se hissent un peu plus haut à la réponse du valet. il ne doute pas qu'elle ne se voulait pas un instant aveu, mais c'est comme ça que cela sonne à ses oreilles ; car s'il n'affirme pas haïr sa présence, alors pour lui c'est que knave admet l'apprécier. c'est déjà une victoire à ses yeux, et il devrait s'en contenter, mais ça a l'effet contraire. insatiable, il en veut plus, et rien ne saurait le convaincre d'abandonner – pas même la question qui sonne un peu trop comme une menace.

thomas agit comme s'il était invincible, vit comme s'il n'allait jamais mourir et c'est peut-être ça qui causera sa perte.

tu n'oserais pas.

il ose l'affirmer, excessivement sûr de lui, et il s'appuie contre la main qui l'effleure, comme pour lui montrer qu'il ne craint pas son contact. il se demande combien pourraient en dire autant, et se plaît à penser qu'ils ne sont pas nombreux.

et puis, si tu me découpais ici, il y aurait du sang partout sur tes draps. ça serait dommage, non ?

il se trouve drôle, tom, et cela se devine au petit sourire satisfait qu'il arbore. il est, prévisiblement, incapable de prendre quoi que ce soit au sérieux, même quand le sujet est sa propre mort.

il n'essaie nullement de nier l'affirmation, y répond seulement par un haussement d'épaules, l'air de dire pourquoi pas ? pourquoi ne serait-il pas sûr de lui quand rien ne l'a encore détrompé ; quand rien n'ébranle les certitudes qu'il s'est fabriqué ? pourtant, elles ne sont pas aussi solides qu'elles en ont l'air. il suffirait de donner un coup dedans pour qu'elles s'écroulent comme un château de carte. mais rien. alors elles restent debout, fièrement, et thomas fait de même, son sourire insolent peint sur son visage à l'encre indélébile. bien sûr que ça l'amuse – quelle autre réaction pourrait-il avoir ? puisque knave ne lui donne aucune raison d'avoir peur, il ne peut qu'en rire.

et c'est ce qu'il fait. il rit comme il existe, fort et sans se soucier de déranger. ce n'est pas un son très agréable, plus proche d'un ricanement.

la prochaine fois ? qu'il répète, les sourcils haussés et le ton amusé, presque moqueur je ne savais pas que tu appréciais ma compagnie à ce point.

il raille, thomas, mais il n'émet pas d'objection. une nuit de plus ne peut pas faire de mal, et il doit bien reconnaître que ce jeu lui plaît assez pour y revenir. il ne sait pas combien de temps ça durera, et cela lui importe peu. il n'y a que le présent qui importe, le présent et la main de knave qui effleure encore sa peau alors même qu'il suggère de faire couler son sang sur la blancheur des draps.

est-ce qu'il le ferait vraiment ? thomas a presque envie de le mettre au défi, juste par curiosité, la même curiosité qui fait accélérer les battements de son cœur alors qu'il considère la possibilité, tourne et retourne les mots dans sa tête. il y a une certaine intensité à son regard qui n'était pas là un instant plus tôt, son expression plus sérieuse pendant quelques brefs instants avant qu'un nouveau sourire ne vienne l'effacer.

c'est très tentant, mais je vais devoir décliner. mon sang est trop précieux pour être versé sans raison.

une autre fois, peut-être, s'il y a une autre fois. il prend la main du valet pour l'éloigner, mais plutôt que de la lâcher aussitôt il la porte à ses lèvres et embrasse ses phalanges. c'est un instrument de mort qu'il tient là, il le sait, pourtant il n'a pas l'air intimidé ou dégoûté. c'est même plutôt le contraire, une pointe de fascination dans la façon dont il caresse les doigts pâles entre les siens alors que tom se fait presque affectueux – c'est qu'il sait si bien feindre la douceur, quand il veut.

demande-moi autre chose, si tu veux. pour me faire pardonner.

ne fais pas l'innocent, qu'il lui dit, mais thomas ne sait faire que ça. feindre l'innocence est sa spécialité, et c'est bien ce qui fait de lui le parfait espion, le parfait agent double. il se demande ce qu'il dirait, knave, s'il savait que celui qu'il invite dans son lit répète tous les secrets du royaume auquel il a voué allégeance. sans doute qu'il n'hésiterait plus, sans doute qu'il voudrait le hacher en morceaux comme il fait si bien. mais le valet ne sait rien de sa traîtrise à la couronne ; et thomas compte bien que cela reste ainsi.

et puisque c'est de plaisir qu'il lui parle, il ne peut s'empêcher de rebondir, toujours un peu provocateur, cherchant une réaction. peu importe laquelle.

oh ? c'est ça ton fantasme – me faire mal ? tu peux me le dire, tu sais. je ne vais pas te juger.

il ne précise pas si l'idée lui déplairait vraiment, parce qu'à vrai dire il ne sait pas. c'est une chose de flirter avec le danger, une autre de s'y abandonner complètement, et pourtant c'est si tentant. c'est peut-être pour ça qu'il se fait si tendre, parce qu'il se plaît à imaginer ce que ces doigts qu'il embrasse pourraient lui faire si l'envie prenait à knave de les changer en lames.

il finit par le lâcher, pourtant, quand il le sent se figer tout à coup, et il ne regrette rien de ses gestes et de ses paroles parce que la réponse le fait sourire de toutes ses dents. si c'est de la peur que le valet pensait susciter, c'est raté ; et à ses mots thomas se rapproche à son tour, assez pour que leurs visages se frôlent presque, l'air qu'ils respirent se confondant.

je pense que si tu voulais me tuer, tu l'aurais fait depuis longtemps.

à son tour, il fait glisser ses doigts contre son corps, de ses épaules jusqu'à son cou pour finalement s'arrêter sur ses pommettes, celles-là même qu'il voudrait colorer d'embarras pour le simple plaisir de les voir devenir rouge carmin.

et si tu ne désirais rien de moi, je ne serais pas ici, pas vrai ? il murmure presque contre ses lèvres, les frôlant sans vraiment les toucher, le fantôme d'un contact à peine. un simulacre d'amour qui n'en est pas et n'en sera jamais – car il a beau prétendre, ce qui s'en approche le plus chez lui n'est, en fin de compte, que de la cruauté.

ah, je savais bien que c'était ton truc.

ce n'était pas difficile à deviner ; il fréquente le valet depuis assez longtemps pour connaître ses penchants sadiques, les apprécie même d'ordinaire, quoi qu'il n'a pas l'habitude de les voir dirigés vers lui. et s'il s'en trouve à son tour perturbé, il n'en montre rien, un sourire toujours fermement accroché aux lèvres alors qu'il caresse des doigts les joues de knave.

je ne vois pas ce qu'il y a de si différent entre tuer et baiser. dans les deux cas, c'est prendre quelque chose, non ? réplique-t-il aussitôt, presque du tac au tac. ses mots sonnent provocateurs alors que ses gestes sont d'une étrange douceur. le mélange est hasardeux, un peu chaotique ; comme lui.
mais thomas s'est si bien laissé prendre au jeu qu'il ne sait plus lui-même ce qu'il cherche, au juste. les règles sont floues, les conditions de victoire encore plus, et le voilà qui hésite un instant, sourcils froncés, sans savoir quoi répondre. finalement, il opte pour un haussement d'épaules énigmatique.

pourquoi me faudrait-il quelque chose à prouver ? peut-être que je n'ai pas de raison particulière.

d'autre raison que ses envies, du moins, qu'il suit sans se poser de questions parce qu'il reste – malgré tout – enfantin dans sa façon d'agir, parfois. un problème de maturité émotionnelle, certainement.
et ça, le valet semble l'avoir parfaitement bien cerné.
thomas sourit de toutes ses dents et laisse glisser ses mains jusqu'à enserrer les poignets minces de knave entre ses doigts, sans pour autant chercher à le repousser ; il se laisse aller, plutôt, jusqu'à fermer les yeux sous son toucher et s'appuyer contre ses paumes. il ne répond pas, cette fois. il n'en a pas besoin, parce que la réponse est évidente : bien sûr qu'il ne pense qu'à s'amuser ! n'est-ce pas là le but de l'existence ? celui de la sienne, en tout cas.
et la conversation, en fin de compte, commence à l'ennuyer, alors il cherche un autre moyen de se distraire. un éclat enjoué et presque défiant brille dans ses pupilles alors qu'il rouvre les paupières pour fixer son supérieur droit dans les yeux, et ses lèvres viennent chercher la main de knave, comme pour y déposer un nouveau baiser, mais cette fois plutôt que d'embrasser sa chaire, il la mord – pas assez fort pour le blesser, juste histoire de dire. on pourrait presque y voir là une marque d'affection ; ou un geste de provocation, tout dépend de l'interprétation.