Earle ? Mais qu'est-ce que vous faîtes là ? Ils sont où les soldats ? Me dites pas que vous avez fait s'écrouler un truc sur eux juste pour m'sauver après mon suicide
Earle se contente d'hausser un sourcil.
▬ Désolé de vous décevoir mais je n'ai pas ce genre de pouvoir. Et je n'aurais aucun intérêt à le faire. L'armée de la Reine est mon alliée. Je suis votre ennemi, je vous rappelle. Votre ville brûle partiellement à cause de moi. Je suis encore là simplement car j'espère finir cette histoire sans une mort de plus sur la conscience. Voilà tout.
Ils sont où les autres ? Asmodée et Lenore ? Ils sont partis devant ? J'demande pas pour Simon, je sais qu'il s'est probablement rendu.
Il hésite. Repense au corps sans vie de Lénore, à Asmodée qui a disparu sous les décombres.
▬ Ils vont bien. Ils ont tous été libérés.
Mensonge évident mais calme. Il continue à marcher.
Faut que vous me laissiez partir. J'irais sur la plage. J'appellerais le Jolly Roger. J'suis fini, sur ce continent. J'suis ptet fini tout court, même.
Earle s'arrête un instant, le regard sérieux.
▬ Vomissez. Quoique vous ayez ingéré vous ne l'avez peut-être pas encore complètement digéré. J'ai appris les cartes de ses égouts par coeur, je nous sortirais le plus loin possible de la ville. La plage la plus proche est à des heures de marche et vous n'avez pas l'air en état de faire le chemin seul, alors cessez de me dire de vous laisser. Je fais ce que je veux. Et arrêtez de dire que vous êtes fini. Vous n'avez pas le droit de l'être. Vous avez tué des tas de personnes pour en être là non? Coupé la chance au bonheur à des tas de gens. Alors vivez et soyez dix fois plus heureux pour compenser. C'est votre responsabilité. Pas de fin facile. Maintenant taisez-vous et dépêchez. La route est longue.
Marcher, encore et encore. Procession lente et prudente, jusqu'à la sortie des égouts. Dans leur dos la ville en flammes se dessine toujours plus floue. Y-a-t-il encore seulement âme qui vive en ces lieux? Il n'ose même plus se demander si Esthef y gît ou non. Il n'a pas la force de changer la vérité, alors il décidera qu'il va bien et cela sera tout.
Il passe dans toutes ces terres qu'il a visité pendant des siècles sans jamais en apprécier la beauté, toujours enfoui dans son magasin, puis dans son bureau. Il sue sous sa chemise, ses traits de plus en plus creusés comme s'il avait pris dix ans d'apparence en l'espace de quelques heures.
Quand la vue du sable apparaît enfin, il s'écroule, fait signe à R de l'ignorer et d'appeler son navire. Reprend son souffle, s'assoit plus convenablement.
▬ Me prendrez-vous à bord une dernière fois, vice-capitaine.
Il sourit, tristement, presque désolé.
▬ J'ai bien peur que mes jambes n'auront pas le temps de me ramener auprès de ceux que j'aime avant la fin.
Un aller simple. Il laisse au dernier cauchemar de la brigade le temps de comprendre à quelle fin il faisait illusion.
▬ J'ai vécu seul presque l'entièreté de ma vie. Je préfère mourir avec un peu de compagnie.