Tu le serres contre toi, lui qui déteste tant la proximité des hommes, lui à qui tu n'as jamais pu offrir rien de plus que l'efficacité accompagné d'un physique repoussant. Avance, tes mains sont un feu constant, pourtant tu serres, tu serres, avance à l'aveugle sans destination précise même le but du voyage, lui, est tout définit. Le bruit des vagues te semble assourdissant, la caresse du vent presque une gifle. Tu avances, tu avances, parce que tant que vous avancez c'est que le chemin n'est pas encore fini.

Puis il s'effondre, Alastor.
Avec lui s'effondre ton déni.

Tu tombes à ses côtés, tu te sens brûlé vif, presque mort. Tes cheveux impeccable n'ont pas résistés au combat, t'es décoiffé, probablement dans l'état le plus pathétique et misérable depuis que tu es arrivé. Ton regard morne se pose sur lui. Tu as tué pour lui. Tu aurais sacrifié le monde entier pour lui.

— Je ne suis jamais vraiment parti. Tu souffles. Je t'avais dit que j'en avais pas grand chose à foutre que tu me vires.

Rire rauque, sans vie. L'air à un goût de sel, tu te demandes si ça te réanimerait de plonger tes mains dans cette eau assassine. Probablement pas. Tu cherches son regard, t'es terrifié à l'idée de cligné des yeux, que ce simple geste lui fasse fermer les siens. Parce qu'on y est, n'est-ce pas ? C'est la fin. Ta gorge te brûle, tu ne lui feras pas l'affront de pleurer. À la place tu secoues la tête, chaque seconde qui passe est d'une terreur sans nom et d'un espoir infinie. T'as tant de choses à lui dire. Tant de choses à lui transmettre. Pourquoi a-t-il fallu que le temps se libère ?

Tu serres la mâchoire pour qu'elle ne tremble pas. Ses confessions te déchirent de l'intérieur, même la Valet n'aurait sû se faire aussi efficace.

Je t'ai apprécié, sache-le.

— Hm. Je sais. Je t'apprécie aussi.

Je t'aime à la folie.
Il a été le guide, le mentor, l'admiration vorace, l'inquiétude tenace, la phobie, le soleil noir, l'étoile à suivre, le maître à satisfaire, l'ami, le seul, l'incroyable, l'unique. Non. Il EST le guide, le mentor, l'admiration vorace, l'inquiétude tenace, la phobie, le soleil noir, l'étoile à suivre, le maître à satisfaire, l'ami, le seul, l'incroyable, l'unique. Il est. Il est. Il est. Mon Dieu ça ne peut pas se finir.

J'ai envie de whisky. Judas.

Tu souris, tu sens ton visage se déformer. Il t'est impossible de rester digne. Pourtant tu fais l'impossible. Passe ta main dans la poche de ton long manteau, t'en sors la flasque d'alcool qui ne t'a jamais quitté. Tu passes ta main sous son cou, l'aide à se redresser et lui fait boire. T'aurais su, t'aurais pris un meilleur breuvage.

Il se meurt. Même lui ne se voile pas la face. Il sait plonger des pays entiers dans le noir et pourtant tout n'a jamais été aussi lumineux qu'avec lui. Tu te sens mourir, à mesure que son sang se vide, le tien aussi. Tu meurs tout en respirant encore. Il fait le constat de sa fin. C'est insupportable. C'est une agonie sans nom. Lui qui avait été pilier de glace et de feu se fait fragile. Tu serres sa main.

— C'est faux.

Tu souffles rauque, des envies de génocide dans le cœur, qu'il parte ainsi est hérésie.

— C'est faux. Tu répètes, plus fort. Tu n'as pas tout anéanti. Je resterai. Je reconstruirais. Je les tuerai tous comme j'ai tué Juliette, je ferais tout brûler, tu verras. Je suis fidèle à la cause, je suis fidèle à toi. Même si...

Il y a une éternité de cela, si tu lui avais dit dès le départ qui tu étais, pourquoi tu étais là, est-ce que si tu avais parlé les choses aurait été autres ? Est-ce que tu aurais pu lui faire brûler le monde ? L'idée te rend fou, tu serres la mâchoire de nouveau, t'as de rage en toi, mais sans lui la rage est sale. Tu t'étrangles dans le chagrin que tu étouffes.

— Même si je ne sais pas si je peux continuer sans toi. Je voulais... Je voulais tout détruire, te libérer ensuite... Je n'ai pas menti... Je ne suis jamais parti.

Je ne partirai jamais.
Mais les mots se meurent dans ta gorge en même temps que se meurent vos vies.

Non, on ne se débarrasse pas de toi facilement. Tu es une glu, un parasite dont il est impossible de se défaire, Judas. Tu t'accroches avec la force du désespoir, le plus loyal des mendiants, le plus fidèle des manants. Il lui en faudra bien plus pour te faire lâcher prise. C'est ce que tu voudrais lui dire, sans trembler, sans faire faillir la détermination. Pourtant ta voix tremble quand tu lui dis que tu resteras, c'est ton corps qui se secoue sous la douleur quand tu parles de l'après lui. Parce que tu es un chien qui se meurt sans maître à servir. Et tu as essayé, tu vois, d'en servir un autre. Pour survivre, tu t'es dit. La chose que t'avais pas anticipé, c'est que survivre est épuisant et que dans survivre il y a vivre aussi. Et la vie dans quelques heures, elle ne t'inspire plus. La vie de demain, elle ne rime à rien.

C'est terminé, Judas.

Oui. Oui. Ça se grave à l'acide dans ta chair. Oui. Oui. C'est terminé.

— Je suis désolé d'avoir échoué.

T'aurais voulu lui offrir le monde. T'aurais voulu recouvrir le sol de cendre et hurler à Juliette, Opal, tous ces autres, que la mascarade était finit, que ce monde sans sens on y mettait un terme, qu'on les libérait tous. Parce qu'il n'a jamais été question que de ça : libérer tout le monde dans l'agonie de Wonderland pour enfin trouver le repos.

Et soudain tu es mort de fatigue.

Tu rends les armes. C'est finit. Sous cette acceptation tes épaules s'affaissent et tu lui souris. Tu ne te sens pas libéré. Même la guerre ainsi finie, c'est la peur qui prime. Quelle chienne, la vie. Jusqu'au bout elle ne t'accorde pas la sérénité. Alors tu auras peur avec lui. Tu iras la tenir à distance à chantant vos gloires passées, parce qu'on a été glorieux quoi que les grands vainqueurs en disent. Peut importe que l'Histoire de le retienne pas. Vous, vous savez. C'est tout ce qui compte. Vous n'avez jamais eu besoin des autres pour savoir que vous étiez grands. Tu ne le pleureras pas. Tu obéiras. Tu te laisses attirer, profites d'être caché pour sourire.

— C'était bien.

Tu ne regrettes pas. Pas une seule des secondes dans ce manoir. Pas une seule des vies que tu as prises. Vous étiez grands. Vous étiez beaux. Wonderland ne connaîtra plus jamais un éclat comme le vôtre.

— On n'a été des menaces qui ont fait trembler tous les rois et reines de ce monde. Ils ont fait des cauchemars de ce qu'on aurait pu leur faire et ils vivront dans la crainte que ces cauchemars reviennent. On les a vaincus. On a fait tomber leur fierté.

Tu te caches un peu plus dans ses ombres. Tu sens sa respiration plus faible à mesure que le temps passe.

— Ca a été un honneur de te servir. Murmures-tu. Tu peux fermer les yeux, au final nous les avons vaincus.

Tu es aussi éternel qu'eux.

Cut me out of this place
It's not fair want to leave
Gasping at times
My lungs, they tell me to breathe
Don't want to be too morbid
Don't want to bring you down
Like a child I say things out of place
Move on quickly don't notice
Please don't notice
The stress of two eyes on me
How many more might be
Is it selfish to wonder
Move on quickly don't answer
Please don't answer
Pull my eyes pull my hair and my skin
Just limits to feel
Thank god for time
My lungs, they tell me to breathe



Tu sens les vagues s'échouer contre tes jambes, fixe avec intensité l'horizon. Tu sais que tu ne le reverras pas. Quelque part, tu as peur de te retourner. Peur de le voir. Peur d'être confronté, même si tu sais, même si tu sens, à son souffle inexistant. Tu l'as quitté pour embrasser l'horizon du regard toi qui ne sais plus d'où tu viens, ni même ce que tu étais. Foley, c'est comme ça qu'il t'avait appelé au manoir. Ce nom n'a plus d'importance. Tu crois que tu aimes l'idée qu'Alastor en soit le gardien. Tu crois que tu aimes l'idée que toutes tes questions meurent en même temps que lui, en même temps que toi. Parce que tu vas mourir, Judas. Tu ne repartiras pas de cette plage vivant. Tu n'en as pas l'envie. Tu n'en as pas l'utilité. Tu plonges tes mains cramées dans l'eau et la douleur ne supplante pas la fatigue. Babylone a fait fusionner avec son feu tes mains et tes gants. Mais tu te sens apaisé, étrangement. Tu prends le temps d'entendre toi qui as toujours détesté les sons. Tu prends le temps de sentir toi qui as toujours détesté le toucher. Le bruit des vagues, le soleil au loin. C'est un paysage presque trop beau pour vous et pourtant vous allez crever là. Ça te fait esquisser un rire, Judas. C'est trop beau pour vous, pourtant vous y mourrez quand même.

Bien fait.

Voilà peut-être des minutes ou des heures que tu attends. Tu ne sais pas. Tu ne sais plus. Tout ça n'a plus d'importance. Enfin tu t'arraches à l'océan. Tu crois que tu sais, quand tu tournes la tête, que ça y était. T’aperçois Opal, à genoux, qui tourne la tête vers toi. Alastor est immobile. Enfin. Ses yeux sont vides, ceux d'Opal remplit de quelque chose qui tu n'as pas l'audace d'envier. Il n'avait pas pu rester à ses côtés, mais peut-être qu'une partie de lui l'aurait voulu. Tu t'approches, ton sourire est doux quand il te demande ton couteau. Tes yeux drivent sur le cadavre d'Alastor. Était-ce sa dernière punition ? Non. C'était son dernier cadeau.

Sans un mot tu lui tends ta lame, le repousses juste un instant quand il va pour te prendre dans ses bras.

— Je veux être face aux vagues.

Tu ne repousses pas plus longtemps ton Destin. Cale ton menton contre son épaule alors que les tiennes se relâchent, fixe la mer, entend le bruit des vagues, sourit face au soleil. Les derniers mots d'Alastor ont été pour toi. Il parle, Opal, tu ne sais pas si c'est pour tromper ta vigilance ou pour se donner du courage. Quand tu sens sa main se lever tu le coupes dans un souffle. Merci. Puis la lame s'enfonce.

Tu meurs en emportant avec toi le son de la mer qui s'échoue contre le sable, la vision de cette eau qui danse au rythme de sa marée.

C'était un paysage trop beau pour vous.

C'était une tombe amplement méritée.