Tous les matins c'est la même rengaine.
Cours. Souffle. Cours, s'essouffle.
Petit footing autour du château de coeur pendant que les grouillots s'affairent aux cuisines. C'est que c'est pas facile de courir avec des fers aux chevilles mais pourtant tu t'améliores de jour en jour. Tu aspires à celui (le moment venu) où ils te les retireront, où tu découvriras que tu peux réduire ton temps d'encore un tiers.

Tu positives Andy, malgré les pics de mélancolie. Une fois l'exercice terminé, c'est exténuée et en sueurs que tu te traines jusqu'aux quartiers des piques pour enfiler la bonne tenue.
Celle du service, parce que Sa Majesté a beaucoup trop de règles et que les intendants sont têtus.
La mine tristounette quand tu prends le plateau avec plein de bonnes choses dessus, tu glisses un cake dans un coin dans la bouche, déglutis et mime une mine abattue.

Quand le service du matin est terminé, c'est au trot qu'on te siffle pour la suite de la journée. Voilà qu'il faut nettoyer les chambres maintenant - oh Andy si seulement tu étais vraiment en train de rêver. Ce monde merveilleux existe bel et bien et c'est enfermée dans un château que tu perds ton temps. Tu t'arrêtes à une fenêtre pour admirer l'horizon.
C'est que c'est beau.

Mais l'horloge tourne et son cliquetis agaçant te rappelle que tu dois te rendre dans une chambre.
Tu l'ouvres, jettes le balai dans l'entrée et donne un grand coup de pied dedans pour l'envoyer valser. Si énervée que tu remarques pas que le lit est occupé.

Et quand tu t'y assois pour ruminer, y a quelque chose qui bouge et qui te fait crier.
Tu te relèves et attrapes le manche un peu tordu pour le braquer sur l'inconnu - la menace aussi véhémente que la surprise qui déforme tes traits.

— « HALTE LA ! »

A en oublier que c'est pas toi le soldat.

Tu fronces les sourcils, ne le reconnait pas, serres le manche entre tes doigts - prête à l'abattre.
Et finalement tu le remets, abaisses le balai et le ranges un peu gênée derrière le dos ; ni vu ni connu c'est juste une erreur et la mémoire défaillante s'excuse d'avoir été malvenue.
Tu papillonnes des cils, analysant le pourquoi du comment il est à un endroit où il n'est pas censé être même si tu dois bien avouer que pour toi c'est un peu la même.

— « Sis ? »

Soulagement, tu comprends à sa manière de parler qu'il doit être un peu récent.
Aussi à sa manière de s'habiller. Il n'a rien d'un soldat, rien d'un servant, rien d'un aspirant à la cour. Il est paumé, comme toi - employé un peu mieux traité et voilà.

— « AH ! Oui... C'est toi qui pique aux cuisines ! »

Cette fois, tu peux lui dire en face ce que tu penses. De l'injustice d'être esclave quand lui a les armes en passe droit. Parce que tu tiens tes secrets Andy, mais t'as horreur de l'injustice. Et c'est toi qui a pris la dernière fois, à sa place.
T'as rien dit parce que croix de bois croix de fer si tu mens tu vas en
enfer
Ou plutôt à Wonderland.

— « Me demande pas de te couvrir la prochaine fois. Juliette... » Tu te reprends. « Sa Majesté la Reine s'est plaint qu'il manquait un muffin sur sa pile. Et on m'a fait nettoyer les douves ! »

C'était long et épuisant.
Une punition injuste et disproportionnée pour un crime un peu exagéré.

— « Et voilà que ça pionce dans les piaules maintenant. Bah c'est du joli. »

Sourcils arqués, tu le juges, dissimulant le sourire aux coins des lèvres.

Il a cet accent bizarre, même si tu comprends tout ce qu'il te dit. Tu le dévisages d'abord sans sourire, fronçant les sourcils et remuant les lèvres en silence alors que tu décryptes chacune de ses paroles. Il y a beaucoup de dérision et tu retiens une grimace amusée quand tu perçois un peu de moquerie. Tu t'empourpres en te rapelant que toi aussi tu mangeais des muffins en douce - et sur le fait qu'il a pu te surprendre, t'es grillée.

— « Comment ça je suis pas mieux ?! »

Inspire, expire.
Quand il te rappelle le fait qu'il n'y a pas cours ici, et qu'il compare les siestes à celle qu'on fait durant la classe - l'enthousiasme s'étiole en douce mélancolie. Oxford, ta vie. Ça te manque et les souvenirs de la prise d'otage reviennent te hanter.
Tu baisses la tête.
T'es morte Andy, ouai t'es morte.

T'as pas le temps de partir en crise d'angoisse qu'il a déjà attrapé le balai pour t'aider. Tu regardes autour de toi avant de t'exclamer.

— « Mais non je devais juste faire le sol et maintenant je vais devoir faire les draps ! »

Idiot, idiot, idiot.
Tu rouspètes un peu ; parce que malgré la bonne volonté il fait tout capoter. Alors tu replies tes manches et tu commences à arracher les couvertures avec la rage et l'envie de bien (vite) faire. Le dos tourné, tu regardes derrière toi par dessus l'épaule.

— « Par contre tu veux épouser le balai ou quoi ? Danse pas avec, mais rassemble les miettes et après on ramasse tout avec la petite balayette... »

Tu laisses les draps en plan, le lit presque refait et court la chercher dans le couloir.

— « Apparemment il ya des invités prestigieux au château ce soir. Toi t'es comme moi hein ? ça se voit que t'as atterris récemment. T'as l'air tout aussi paumé. »

Ou un peu trop à ses aises pour être vraiment alerté.

Qu'il est étrange, dans son libre arbitre. Il semble mu d'une dynamique propre à lui, enfermé dans ses délires. Il est comme un affront à ce destin tragique, comme un gros doigt levé aux absences d'humanité. Ça te déstabilise Andy, parce que quand tu suis ce schéma chaotique, t'es automatiquement puni, giflé par des individus avides de contrôle et assoiffés de pouvoirs, asservis par des règles que tu n'en peux plus de respecter.
Et lui, il d a n s e.
Il danse avec un balai, renverse la poussière, se moque complètement des conséquences.

— « LA BALAYETTE ! »

Tu cries pour t'assurer qu'il t'entende, un peu essoufflée par ce coup de chaud. Une goutte de sueurs perle le long de ta tempe et tu cherches dans son regard pétillant de quoi rallumer le feu qui s'éteint peu à peu (dans ton coeur).

— « Il n'y a pas que ce royaume tu sais. Il y a une ville, où il fait nuit pour l'éternité. Et une autre qui ressemble à notre monde apparemment. J'aimerai bien y aller. »

Oh Andy, toujours fière quand il s'agit de pouvoir apprendre quelque chose.
Il t'arrache un rire franc quand il parle de game of thrones. C'est peut-être ce genre de choses simples, les séries les sorties entre amies, YouTube sur le portable au fond du lit.
Travailler pour s'assurer un avenir.
Et voilà, tu repars dans la déprime Andy - non non non ! Les blagues sur Sean Bean pour te redonner envie de sourire.

— « Tu penses qu'il se serait fait couper la tête ici aussi ? Spoiler alert. »

Mais c'est lui qui a cherché.
Bon, t'es détendue Andy. Ça va un peu mieux même si c'est le bordel et que tu te forces à pas regarder le sol, à le regarder lui.
Lui et ses questions qui sortent de nul part, mais auxquelles tu veux t'empresser de répondre.

— « Andy. Et toi ? »

Complètement à l'ouest, totalement flingué. Et pourtant il redonne un peu d'âme à ce château suspendu dans le temps, perdu sans monsieur le Temps. Il te rappelle ton époque, il te rappelle ton monde et ça fait du bien de plus se sentir en décalage avec la réalité - la nouvelle qu'on vous a imposé !

— « Et tu savais qu'il était mort vingt-cinq fois à l'écran ? Ou vingt-six, je ne sais plus. »
Et ça fait mal de se l'avouer Andy.

La nostalgie te force à te demander si la vie continue en bas pendant que vous êtes là - s'il l'acteur a pu jouer d'autres rôles. Qu'importe, tu peux plus les regarder, seulement t'en rappeler. De toutes tes forces.

Le voilà qu'il laisse tomber le balai, tu manques de crier quand tu le vois s'écraser sur le lit et tu plonges pour le rattraper. A peine t'as eu le temps de te retourner qu'il est déjà prêt de la porte. Hébétée qu'un soldat de la reine de coeur te propose une escapade, tu ouvres la bouche d'abord sans répondre.
Curioser and curioser.

— « Je... » Tu déglutis. « Ok. »

Tu balaies la chambre du regard, visiblement peu rassurée - pourtant le feu de l'excitation s'anime dans le fond des yeux. Il peut le voir, il peut ressentir l'exaltation de l'aventure qui prend aux tripes, le bonheur de l'espoir, celui du voyage et de la découverte.
Mais il y a quelques conditions que tu ne peux ignorer, pour le bon déroulé d'un plan qui se doit d'être aussi diabolique que préparé. Spontané c'est bien mais se faire prendre, moins.

— « Est-ce que tu penses que tu peux m'enlever ça ? T'as bien une épée, une arme, quelque chose qu'ont les gars de l'armée. »

Tu descends un de tes bas jusqu'aux chevilles, pour lui dévoiler une chaine lourde et encombrante. Le genre qui fait gling gling quand on marche alors niveau discrétion c'est pas trop ça. Et pour courir, non plus.
T'as soif de liberté Andy, et s'il veut te l'offrir il faudra prendre encore plus de risques.

— « T'es sûr qu'on va pas se faire prendre ? »

Tu peux pas te l'expliquer mais braver l'interdit c'est excitant et effrayant. Y'a peut-être quelque chose d'important à comprendre là dedans...
Mais t'arrive pas à te rappeler quoi.
Tant pis tant pis.

— « Je suis, j'ai trop envie. »

Mais le cimetière en dernier alors, et on espère qu'il oublie.

Il est sûr de lui, déterminé à t'emmener loin d'ici. C'est étrange comme à Wonderland tout va trop vite - le temps est détraqué. T'as l'impression de le connaitre depuis une éternité, tu te sens en confiance quand il te parle alors qu'au fond tu viens de le rencontrer.
Y'a quelque chose d'accessible et de simple quand il parle, c'est captivant et t'as envie de l'écouter pendant des heures, de déchiffrer ses tics de langages, d'être aussi assurée.

Tu hausses un sourcil, amusée malgré toi face à son désarroi. C'est que ça fait pas rire ce genre de choses (les chaines, l'esclavage) et pourtant tu te retiens presque de ricaner.
Mais tu manques de t'étrangler lorsqu'il tire sur ton poignet pour t'entrainer. A pas feutrés sur le carrelage, tu fais de ton mieux pour rendre ta cheville légère, réduire le bruit des cliquetis infernaux qui peut vous faire repérer.

— « GLING GLING. T'as vu comment c'est super chiant ce bruit ? C'est que je dois supporter ça depuis des MOIS. »

Vous arrivez dans le jardin, non pas sans les regards un peu ahuris de certains gardes méfiants. Tu leur as lâché ton plus beau sourire Andy, l'innocence même d'être accompagnée d'un des soldats.

— « Irlandaise, de naissance. Je vivais à Oxford juste avant de... enfin, tu sais quoi. »

Tu te demandes d'ailleurs pourquoi un garçon comme lui est du côté de la reine rouge, cette croqueuse d'alices.
Puis tu repenses à Halloween City et tu te dis que c'est peut-être mieux ici.

— « Oh, c'est vide. » Il y a pas grand monde dans le jardin. Voir personne en fait. « Ils doivent être tous en train de s'activer dans le château. Tu as raison, c'est notre chance ! »

Et tu attends, les yeux pétillants, implorants.
Tu attends qu'il te libère et une partie toi espère que ça sera ta chance ultime.
Peut-être qu'une fois qu'il t'aura emmené tu feras le choix de jamais revenir.
Ça te revient - alors qu'il saisit l'épée !

— « Eh le chevalier servant. Tu m'as toujours pas dit comment je devais t'appeler. »

Si d'un côté t'es pas rassurée, de l'autre tu apprends à lui faire aveuglement confiance.
Pourtant ta doctrine Andy ça a toujours été ne fais jamais faire ce que tu ne ferais pas toi-même.
Et tu te vois un instant l'épée en main (être le beau chevalier) et lui offrir sa liberté. Tu te vois à sa place (à ses côtés) aussi vaillante qu'indignée.

Tu te couvres le visage au début, de peur de te prendre un coup perdu et entre tes doigts écartés brillent les scintillements d'une paire d'yeux curieux et courageux.
La chaine couine et le poids glisse de ta cheville pour s'enfoncer dans l'herbe.
Prise d'une pulsion d'enthousiasme, tu lèves le poing vers le ciel en sautillant.

— « YES. ENFIN. »

Princesse.
Tu fronces les sourcils.
Anaël.
Tu t'empourpres.

Et finalement tu souris à pleines dents.
Tu profites de ta nouvelle liberté, et te sentant désormais plus libre de tes mouvements, tu te permets presque de danser en plein milieu du jardin comme si de rien n'était.

— « Tu manies plutôt bien l'épée Anaël. »

Tu plies les lèvres en une grimace disgracieuse. Et alors que tu entends un mouvement de l'autre coté de la grande statue de marbre, tu prends le poignet de ton guide pour l'entrainer à ton tour, lui laissant à peine le temps d'attraper le bomber à l'abandon dans les fourrées et d'abandonner son épée à la lueur de la nuit tombée.

Tu t'empresses dans l'arrière jardin, longeant les murs de pierre carmin. Quand un grouillot ouvre la porte, on se rue à l'intérieur et on ferme derrière lui.

— « Les escaliers qui mène au sous-sol ! Je crois qu'on peut sortir par une petite fenêtre. Suffit de bien rentrer le ventre. »

Tu mimes pour lui faire comprendre.
Te retenant d'exploser de rire.
Vos pas grincent sur le bois des marches mais une fois en bas, vous apercevez la petite fente qui permet de sortir du domaine. Une fois le mur escaladé et le corps étriqué (plié en quatre, cassé en deux) on respire l'air de la liberté.

— « Ma meilleure rencontre de la journée. C'est parti pour Dreamland... »

Et tu le pointes du doigt en riant grossièrement.
Comme les méchants dans les films.

— « LE DERNIER ARRIVE AU PORTAIL SE FERA COUPER LA TETE ! »

Et tu t'élances, comme une héroïne.