au moment de sauter, la main d'harmonie était chaude dans la tienne. tu la serrais fort, très fort, pour ne pas la lâcher.
la rivière, au contraire, était froide. elle vous engloutit en quelques secondes, toi et harmonie, vous plongeant dans ses profondeurs sombres et silencieuses. sous l'eau, tout était flou, étouffé. tu ne voyais pas grand-chose et tu n'entendais presque rien non plus.
tu ne chercha pas à lutter. les médicaments que vous aviez avalés t'en auraient empêché, de toute façon ; ils rendaient ton corps lourd comme une pierre. et comme des pierres, vous avez coulé.
jusqu'à ce que tout s'efface.

inspirer
expirer
lentement.

la première chose que tu remarques, c'est la lumière. filtrant à travers le feuillage, elle t'éblouit, et tu clignes des yeux, désorienté.
pourquoi est-ce que tu es vivant ?
qu'est-ce que c'est que cet endroit ?
et surtout, où est harmonie ?
tu as dû le lâcher à un moment ou un autre, parce que tu ne sens plus sa main dans la tienne. tu regardes autour de toi avec une pointe d'anxiété, et tu le trouves très vite, debout à côté de toi. soulagé, tu tends les doigts pour saisir à nouveau les siens.

harmonie. tu vas bien ?

tu serres doucement sa main. tu ne sais pas ce qui se passe, mais il est là, alors tout ira bien.

tu réfléchis à la question d'harmonie. est-ce que tu vas bien ? tu n'as mal nulle part, alors tu supposes que oui. tu hoches la tête doucement.
tu ne t'attends pas à ce qu'harmonie se mette à pleurer, et sa réaction te laisse comme pétrifié, sans réaction. tu aimerais le réconforter, mais tu ne sais pas comment t'y prendre. finalement, tu te laisses tomber à côté de lui, à genoux dans l'herbe tendre, et tu passes les bras autour de ses épaules pour le serrer contre toi, un peu maladroitement.
tu ne donnes pas les meilleurs câlins, mais tu fais de ton mieux, pour harmonie.

je suis là.

tu ne lui dis pas que tout va bien se passer. ce serait un mensonge, parce que tu n'as aucune idée de ce qui va se passer, et tu ne mens pas. pas à harmonie, jamais à harmonie.
alors tu te contentes de ce que tu peux promettre.

harmonie. je suis là. je ne te laisserai pas seul.

et peut-être que tu le serres un peu trop fort, mais tu ne fais pas exprès ; tu es simplement soulagé de pouvoir encore le tenir dans tes bras, toi qui pensait que ce ne serait plus jamais possible. que vous soyez morts ou vivants importe peu. la seule chose qui compte, c'est que vous soyez ensemble.

tu continues de le serrer. à travers les sanglots, à travers les tremblements. le temps passe (combien de temps ? tu ne saurais pas dire) et enfin, harmonie brise le silence qui règne dans la petite clairière pour te poser une question. une seule question très simple. la réponse est évidente. alors pourquoi tu as du mal à répondre ? quelque chose t'en empêche, une sensation étrange qui te serre la gorge.
ça s'appelle la peur, hoshiko. tu as peur. pas de la mort, non, mais de la réaction d'harmonie quand tu lui diras.
mais il faut lui dire. il a le droit de savoir. et puis, il a probablement déjà compris, et il a juste besoin de toi pour l'accepter.

oui, on est morts.

il n'y a pas d'émotions dans ta voix, seulement un constat. vous êtes morts. c'est ce que vous vouliez. et pourtant, rien ne se passe comme prévu. peut-être que c'est un rêve, une sorte d'hallucination dûe au manque d'oxygène dans ton cerveau alors que tu te noies lentement au fond de la rivière.
mais non. parce que si c'était le cas, ça voudrait dire qu'harmonie non plus n'existe pas. et il est là, dans tes bras, bien réel ; tu peux entendre les battements de son cœur si tu tends l'oreille.

est-ce que tu peux te lever ?

tu t'écartes un petit peu, sans le lâcher pour autant. on ne sait jamais ce qui pourrait arriver. et s'il disparaissait ? tu te retrouverais seul dans cet endroit inconnu. cette idée t'est intolérable.

tu peux t'appuyer sur moi.

tu lui laisses le temps. tu ne le brusques pas, ne le tire pas sur ses pieds d'un coup. après tout, vous avez tout le temps devant vous, non ? il n'y a personne ici, à part vous et peut-être quelques oiseaux aux chants inconnus. tu ne reconnais rien ici, de toute façon, rien de familier si ce n'est le visage encore larmoyant d'harmonie.
tu le soutiens du mieux que tu peux, passant même un bras sous ses épaules pour l'aider à se lever et à tenir debout. et alors que vous êtes là, vous accrochant l'un à l'autre car vous êtes tout ce qu'il vous reste, tu te demandes.

est-ce que tu as fait une erreur, en l'emmenant avec toi ? est-ce que tu n'aurais pas mieux fait de le laisser en vie, si tu l'aimes vraiment ?

ça ne sert à rien d'y penser, c'est trop tard pour ça. tu es mort et harmonie t'a suivi dans la mort, comme il t'a suivi avant, quand vous avez... qu'est-ce que vous avez fait ? tu fronces les sourcils, mais plus tu essaies de t'accrocher à la vague idée d'un souvenir, plus celle-ci se fait distante, jusqu'à ce que tu ne saches même plus ce que tu cherches.
tant pis.

je crois que la sortie de la forêt est par là.

tu désignes la direction où la végétation semble s'éclaircir, se faire moins dense. tu n'as aucun moyen d'être sûr que c'est le bon chemin, mais ça ne coûte rien d'essayer. vous êtes déjà perdus, de toute façon.