odeur de chair carbonisée qui refuse de le quitter.
les flammes qui continuent de briller sous ses paupières, alors que se consume le corps d'opal.
son esprit, torve, se complaît à jouer et rejouer la scène, comme pour le narguer de n'avoir rien fait.
aucun mouvement, aucun son, rien qu'un spectateur inutile forcé d'observer les réincarnations batailler entre elles, après avoir vu l'une d'entre elle disparaître sous ses yeux.
et c'est ce qui l'avait poussé à sortir, à tenter de se changer les idées, peu importe comment, après être resté enfermé pendant des jours.

crims, cité qu'il s'était mise à apprécier.
sa vue l'offense, maintenant, le fait vibrer d'une colère devenue trop familière — on se surprend à espérer la voir s'embraser.
elle, ses habitants, tout, que rien ne reste debout après le carnage, si ce n'est le squelette d'un château, vestiges vides et sans couronne.
il les déteste tous — satisfait de les voir s'éloigner instinctivement, repoussés sans trop savoir pourquoi, alors qu'il s'avance dans les entrailles de la ville.
mais elle est de courte durée, cette joie malsaine.
se fige à la vue d'un visage familier.

et tout aussi brusquement, c'est la peur qui alourdit l'air.
s'intensifie à son éclat de rire qui résonne.
résonne encore et toujours.
ariel n'est plus coincé dans les confins du casino, pourrait fuir, mais reste tétanisé sur place, iris écarquillés d'horreur face au croquemitaine fort hilare.
il n'y en qu'un qui semble apprécier l'absurdité du hasard.

glorieux ? glorieux ?
il se serait passé de sa présence, avait été forcé de s'exiler dans un royaume qu'il ne connaissait pas pour éviter de le recroiser.
sans grand succès, visiblement.
le plaisir n'est pas partagé, se traduit sur l'expression qui contorsionne ses traits.
sauf qu'il avait appris la leçon, la dernière fois — serre et desserre nerveusement le poing, sans piper mot.
c'est qu'on a pas envie de réitérer l'expérience, d'avoir une seconde cicatrice pour complimenter la première.

il veut fuir.
déguerpir.
prendre ses jambes à son cou.
tout pour que la distance entre eux ne se réduise pas, et pourtant, son corps refuse d'obtempérer — douleur fantôme qui pulse dans sa paume.
le croquemitaine est près, trop près, envahit son espace et son coeur rate un battement.
regard écarlate qui se fige bien malgré lui dans celui, si sombre, de ses cauchemars.
s'il n'était pas aussi terrifié, son insolence habituelle aurait fait surface, à sa question.
ne lui avait-il pas intimé de se taire, sauf si c'était pour lui demander pardon, lors de cette soirée fatidique ?
avait-il seulement le droit de s'exprimer, cette fois?

la main qui se pose sur son épaule, le tire finalement de sa torpeur — colère et révulsion se mêlent à la peur, le fait instinctivement tressaillir.
empeste, ariel, d'un vil cocktail qui hurle pourtant à ce qu'on ne le touche pas
mais les serres restent fermement accrochés, s'enfoncent.
et ses murmures ne font qu'intensifier le tumulte.
la promesse, menace, est haute et claire.
pas ici, pas maintenant.
éventuellement.

— vous m'en voyez malheureusement incapable.

langue de plomb qui se délie, enfin, dans une honnêteté brusque, mû par l'effroi qui l'enserre toujours dans un étau.
après tout, il avait devant lui la seule personne qu'il voulait à tout prix ne jamais recroiser à wonderland.

je ne penserais pas que ça irait si loin.
ça lui rappelle étrangement opal, tentant de le rassurer, comme s'il n'avait pas été couvert de sang, leurs sangs.
ça a un peu dégénéré, mais ça devrait aller.
il y a toujours cette même envie de rire et de hurler, qui se manifeste.
mais cette fois-ci, il n'y a pas un son qui franchit ses lèvres — l'expiration est tremblante quand elle s'extirpe des tréfonds de sa trachée contractée.
ferme les yeux, ariel, quand le croquemitaine lui rappelle que ce débâcle était de sa faute.
il était déjà on ne peut plus au courant, s'en veut déjà suffisamment.
et c'est peut-être pour cela qu'un sourire froid fend son visage en deux, iris carmin qui cherchent les siens quand les paupières se soulèvent.

— pensez-vous vraiment que je désirais que les choses dérapent à ce point ?

reste bien droit, malgré l'envie de fuir viscérale bien nichée dans ses entrailles.

— j'aurais enduré, après tout, j'ai bien compris la leçon, lève la main gauche, cicatrice bien en évidence, je suis peut-être inconscient, mais pas complètement stupide.

ma vie est ruinée par votre faute, à tout les deux.

— si j'avais la moindre idée de ce qu'opal préparait, j'aurais tout fait en mon pouvoir pour l'en empêcher.

mais, vous comme moi, savons parfaitement que le lapin blanc n'en fait qu'à sa tête, sans faire attention aux conséquences.
n'est-ce pas ?

observe sa paume, la marque qui y trône — miroir de la sienne.
le ricanement du croquemitaine trouve écho dans son sourire qui s'étire presque malgré lui, satisfaction malsaine qui côtoie l'horreur, sentiments contradictoires qui marchent toutefois main dans la main.
il n'avait jamais demandé à opal de venger son honneur, fatigué de la paranoïa qui continue de l'affliger à l'idée de recroiser celui qui hantait ses cauchemars.
la vérité, c'est qu'il en tire un certain plaisir, de constater les dégâts du lapin blanc.
dommage qu'il se soit arrêté là.

— les cicatrices ne sont pas toutes visibles.

la peur s'agite, remue de l'endroit où elle s'est terrée, quand il s'approche.
fanfaronne, ariel, jusqu'à ce que la distance diminue, contact fugace sur son épaule.
son rictus disparaît, alors que le sien continue de s'agrandir.
sourcils qui se froncent, alors qu'il le considère silencieusement, lui et sa proposition.
l'accueillir, hein ?
il se souvient des murmures, des sombres desseins évoqués en messes basses, au casino, derrière des portes closes ou des langues trop déliées de fidèles un peu trop éméchés.
ils avaient trouvé un nid dans son esprit, quand l'insatisfaction d'être coincé ici pour toujours était plus présente, la haine dirigée vers ce monde qui l'avait arraché à son ancienne vie.
aujourd'hui, ariel ne sait plus envers qui il est plus en colère.
wonderland ou le lapin blanc.

— je vous tiendrai au courant, si les choses changent.

quand elles vont inévitablement changer.
et quand le croquemitaine le congédie, il ne se fait pas prier.
s'éloigne, s'enfonce dans la foule, tout pour retrouver la sécurité devenue trop familière de sa cage dorée, à imaginer crims brûler.
et lui, avec elle.