(♬) les jours s'éternisent, longs, si longs
sa perception du temps s'est détériorée au fil des ans, mais la paranoïa rampante, qu'il avait réussi à ignorer pendant quelques semaines, s'était de nouveau infiltrée dans son esprit, l'étouffe.
on avait plus soif de liberté, finalement.
bien ravi de rester terrer dans ses quartiers, à observer du coin de l'oeil le soleil et la lune qui se succèdent dans le ciel, avec sa personne pour seule compagnie.
une partie rationnelle de lui, sait, au fond, qu'il est en sécurité, ici.
et qu'il fait un très piètre invité et employé, à refuser de sortir.
mais la menace d'alastor n'était pas tombée dans l'oreille d'un sourd.
pas ici, pas maintenant.
éventuellement.
il ne lui tarde pas de voir la fin de cette promesse, de la vivre.

et, quand on toque à la porte, il l'ignore.
ils finissent tous par abandonner, en voyant qu'il ne fait pas mine de réagir, ne tentent toutefois pas de l'ouvrir — par respect, ou sur ordre d'ellen, aucune idée.
ça lui est égal, au fond, il veut seulement qu'on le laisse tranquille.
mais la poignée tourne, lui fait relever la tête, à ariel, déjà prêt à faire connaître le fond de sa pensée à celui qui vient l'importuner et-
s'arrête brusquement dans son élan, lèvres entrouvertes.
si l'apparence n'est pas la même, il reconnaît en une fraction de seconde la chevelure blanche et les oreilles de lapin.
elle...
elle semble bien se porter, toutes traces de brûlures effacées au moment où elle avait disparue dans la lumière dorée.
lui, offre un piètre spectacle, avec ses vêtements froissés et le manque de sommeil flagrant, cernes violacés profondément marquées sous ses yeux toujours rivés vers opal.

— tu- tu es-

en vie
sa voix s'abîme, comprimée par l'émotion.
les émotions.
à ne plus savoir départager le soulagement, de la colère, de l'amertume ou de l'euphorie qui bataillent pour se manifester sur son visage.

(♬) le conflit qui l'habite se règle bien rapidement, quand l'impression de flotter l'envahit, soulagement triomphant finalement du reste.
la tension quitte ses membres, et il se sent finalement apte à respirer autre chose qu'une odeur vile, fantôme.
l'air finalement dénuée des notes de chair brûlée.
il le savait, pourtant, qu'opal allait revenir, inéluctable, après tout.
mais entre le savoir et le voir, il y avait tout un monde, et enfin, enfin, son esprit réconcilie la réalité à la logique.
mais il est de courte durée.

son coeur se serre.
il sait ce à quoi elle fait référence.
le bal, et le désastre qui s'en est suivi — il ne doute pas qu'opal soit déjà au courant de ce qui s'est passé, ne voit pas l'intérêt de l'expliquer.
ce n'est pas ce qui lui importe, de toute façon.
pas quand elle baisse les yeux, s'excuse.
non
non
non

ariel se relève, s'approche, s'arrête toutefois à quelques pas d'elle.
instant de flottement, statique, avant qu'il ne lève la main, les doigts à quelques centimètres de sa joue.
crève d'envie de réitérer un mouvement qu'il avait exécuté un nombre incalculable de fois, tellement familier qu'il en était devenu un réflexe, mais bien incapable de se résoudre à le faire.
pas maintenant.
plus maintenant.
inspiration tremblante, alors que son bras retombe le long de son corps.
vision qui se fait floue, trouble, trop plein d'émotions qui se fait de nouveau trop présent.
la première larme s'écrase au sol à l'instant où il se retrouve à genoux, face à elle — les autres roulent librement, rejoignent l'originale.

— opal-

pas ici, pas tout de suite
laisse-moi être heureux de te voir
juste une dernière fois

(♬) agonise, ariel, à se laisser choir au sol face à l'autel de tous ses tourments.
le meilleur et le pire, pertinemment au courant que cette histoire était vouée à l'échec dès ses premiers balbutiements.
une faiblesse qu'ils avaient entretenue, qui aurait dû s'arrêter après la première fois — on ne construit rien de sain avec des fondations bâties sur la souffrance.
et pourtant
pourtant
il était tombé
pour lui, pour elle, peu lui importe, au fond.
à chercher son affection avec un zèle désespéré, à s'en gorger comme un homme assoiffé lorsqu'elle lui en avait accordé.
mais s'écorcher, se remodeler, n'avait pas été suffisant.
il le sait
il le sait
ça ne retient toutefois pas les sanglots qui lui ébrèchent la gorge.

— je- je sais que j-je ne devrais pas continuer de- s'étouffe sur ses mots, voix qui s'éteint quand un soubresaut l'agite, t'aimer.

à quoi bon, de toute façon ?

— m-mais je n'y arrive p-pas.

et c'est bien cela qui le tue à petit feu.
être incapable d'arrêter d'éprouver une affection sincère pour elle.
malgré toutes les horreurs, malgré toute la douleur.
son coeur a beau avoir été poignardé sur la plage, à les observer silencieusement — blanc et noir, se retrouver
il continue de battre pour elle.

— tu disais que je- que je t'appartenais, mais ça n'a jamais été r-réciproque, n'est-ce pas ?

relève les yeux vers le lapin blanc, ariel.
sourire tremblant qui lui étire les lèvres, à gracieusement lui offrir une lame avec laquelle l'achever.
c'est qu'il n'aurait jamais le courage de le faire lui-même.

(♬) non.
le sourire reste en place, quand il incline la tête de côté.
cela ne l'a jamais été.
ça fait mal.
plus qu'il ne l'avait imaginé.
confirmation froide à l'une de ses pires frayeurs.
après l'avoir vue mourir.
après l'avoir détestée.
après l'avoir aimée.
après l'avoir connue.
il en vient à regretter toutes ces années, et la douleur engendrée.
mais opal n'avait jamais été sienne.

— je vois.

acceptation placide.
pas de cri, pas de suppliques, rien qu'un assentiment qui ferme définitivement ce chapitre.
larmes qui se teintent de carmin, alors qu'il inspire, se force à le faire, pour ne plus étouffer.
porte une main à son visage, ariel, pour sécher ses joues — note distraitement le rouge.
elle avait toujours eu le don de le faire réagir, en quoi serait-ce différent aujourd'hui ?

— tu...

n'ose plus croiser son regard, fixe plutôt la porte, derrière elle.
parce que s'il encaisse le coup silencieusement, maintenant, il sait que ce ne sera pas le cas bien longtemps.
que le calme ne présageait rien de bon, quand la tourmente se prépare.
et cette facette, vulnérable, n'est plus quelque chose qu'il souhaite partager.
plus avec opal.

— va-t'en.

s'il te plait.