Sur le papier vous aviez figé l’idée, la Reine elle-même avait souri au dynamisme du plan établi. Et pourtant. Sans oser infliger ta présence à la cour tu avais fait comprendre selon tes normes factuelles que t’ajouter à la foule environnante du bal ne serait qu’un détail oiseux dont le pays tout entier se passerait sans broncher.

Encore une vérité. Mais il fallut que le tableau soit taché ; Andy a fauté. Andy se rebelle, Andy est ; rebelle. Andy toute entière, oui, le facteur humain, celle au pouvoir si puissant mais au cœur trop prenant – elle n’écoute qu’elle, même quand on lui quémande d’en faire autrement. Tu y avais pensé bien entendu, la case avait été préparée même, dans les éventualités tu avais annoté les deux options qui te semblaient les plus dangereuses dans le déroulement de cette fête trompeuse ;
- andy & son pouvoir
- jabberwocky hors de contrôle

Un détour parmi les couloirs ; l’allure est droite, rythmée pour que le souffle ne se perde pas. Tu sais où tu vas Ernest, tu sais qui il faut gronder. Tu sais surtout qu’elle est apte à écouter ; même sans refreiner ce déni qui la rend si sincère.

Le regard invisible posé sur ces gardes qui la protègent de ses bêtises, tu n’as rien à dire pour qu’ils te devinent ; c’est le conseiller qu’on ne reconnait jamais, pas vrai ? D’une logique détestable. Un geste de main pour les guider et en voilà un qui passe la clé de la liberté à travers la serrure ; deux tours plus tard plus rien ne te sépare d’elle, si ce n’est sa volonté. Trois coups de phalanges sur la porte de sa chambre et tu patientes pour qu’on daigne t’ouvrir : elle a encore le choix de ne pas subir tes réprimandes.

« Andy, c’est Ernest Facenicht. J’ai à te parler, ça ne devrait pas prendre plus de dix minutes, sauf si tu fais l’insolente. J’ai donc prévu une demi-heure par précaution. »

La voilà qui s’entrouvre, la porte qui la protège de tes mots d’adultes. Tu crois qu’on ne voit pas ce sourire satisfait qui orne ton visage mais tes lèvres sont bien la seule chose que l’on peut discerner aujourd’hui.

Merci.
Les pas s’avancent et tu scrutes la pièce – pas de tentatives d’échapper à l’ordre qui lui tient les chevilles dans sa prison rouge. Andy, sage ; ça semblait rare, un peu préoccupant sinon la preuve de ses fourberies latentes.

Tu as l’air de t’ennuyer ; ça me désole, sincèrement. Mais c’est ce que l’on récolte à ne pas suivre les ordres. J’apprécierai à l’avenir si tu me faisais par de tes incapacités à suivre les desseins que je m’efforce d’amorcer avec la Reine, Andy.
Il n’y a rien de si compliqué à vivre sans dépasser les lignes, alors pourquoi s’amusait-elle à déborder sans se lasser ?
Tes genoux se plient après t’être approché de ce livre malmené ; en ramassant les lambeaux de sa colère. Si Juliette voyait ça…

J’essayerai d’alléger tes restrictions de sorties si tu m’expliques ce qui t’as pris ? Tu as ton caractère est il est injuste que l’on te punisse pour cela ; mais si j’avais su. J’aurai prévu de quoi contenir tes émotions. Aurait-il fallu que je fasse convier ce garçon avec qui tu fricotes ?
Les pages dans tes mains ; tu essayes de les remettre dans l’ordre, mais quel carnage.

Loquace, à ton honneur. Tu as les oreilles pour l’écouter, l’esprit pour analyser – le silence pour comprendre, sans véritablement saisir cette pointe d’agacement qui glisse dans ses mots, jusqu’à la voir fleurir, les pétales en colères.

On ne te demande pas ton avis, Andy, on te demande d’obéir. C’est ton rôle – pas ton histoire. C’est maintenant que je te demande ton avis. Je suis navré que le cheminement de tout cela ne te plaise pas, néanmoins c’était le plus logique dans la situation actuelle. Bien sûr, que tu aurais été contraignante, si on t’avait laissé prendre parole.

Te relevant les pages entre les doigts pour les trier une dernière fois, tu finis même par les dénombrer, tes lèvres mimant le compte. Imparfait. L’état du papier déplorable, la couverture qui ne pouvait plus retenir ne serait-ce qu’un seul ver. Si tu pouvais démembrer Andy comme elle venait de le faire avec ce livre – simplement pour qu’elle comprenne. Tu la regardes, intensément elle l’ignore, mais toi tu t’imagines quelques choses.

Donne moi tes requêtes et je les transmettrai, je te le jure. Mais de ce que j’entends, tu comptais t’éclipser à Neverland ? Andy. Si tu disparaissais ne serait-ce qu’une nuit je m’étonnerai pas qu’on te chasse pour te ramener ici. Reste docile si tu veux t’approcher de la liberté.

Deux mains sur le dossier d’une chaise, elles finirent par ramper jusqu’à la structure pour la soulever sans laisser s’échapper un bruit. Tu l’as pris avec toi pour t’installer, face à face intime avec Andy, recroquevillée sur son lit comme une enfant honteuse.

Ni l’un, ni l’autre, ne me fait pas dire ce que je n’ai pas dit. J’ai demandé si pour contenir tes émotions il aurait fallu inviter ce garçon au bal. Sache que je n’ai ni la patience ni la capacité de faire l’effort d’amener le moindre sous-entendu.

La vie est injuste, Andy. Prisonnière de ce don qu’on s’arrache pour se croire plus libre que le pays voisin, c’est bien vrai que ça paraissait détestable de vivre comme un objet. Mais on prend le temps, Andy, de venir te voir, de te sermonner comme une ingrate, et même de venir te demander ce qu’il te faudrait pour apprécier cette prison de misère dans lequel on t’a fourrée.

Et s’il faudrait expliquer par a + b pourquoi la vie en est ainsi, oh, Ernest. Trente minutes ne suffiraient jamais.

Merci. J’ai plaisir à croire que si Blackbird et moi manquons tous deux de tact, j’en reste le moins détestable, paradoxalement.
Ce n’est pas comme si on complimentait tes excès de sincérité. Cet honneur que tu voues à être aussi cru que direct t’avais donné déjà autant d’ennemis que de moqueurs – mais ils se punissent eux-mêmes à méjuger ce que la spontanéité peut bâtir.  

Andy…
Ta voix laisse échapper un soupire, tu la reconnais toute entière dans ce caractère de feu. A peine évoques-tu la silhouette d’un étranger dont tu ignores le nom qu’elle s’acharne à le défendre. Ce n’est rien de sérieux, impose-t-elle. Tu regrettes ce manque de confiance.

Conseiller de la Reine, oui ; et ça ne m’empêche pas de garder un œil sur toi malgré tous les devoirs qui m’incombent. Mais sache que mon travail n’est pas de te rendre malheureuse.
Ni même épanouie, ni même amoureuse, ni même libre. Il faut juste qu’elle cesse d’être égoïste quand on parle de l’avenir du pays. Sans le dire tu penses néanmoins qu’elle le sait ; après tout elle n’est pas stupide, juste effrontée. En joignant tes mains tu finis par poser tes avants bras sur tes cuisses, le dos penché en avant ; ton timbre même se baisse un peu et vous voilà dans une conversation plus intime qui ne concerne que vous.

J’attends de toi que tu te montres moins désobligeante envers la Reine et ses sujets. Techniquement, rien ne t’empêche de vivre ta vie d’hébétée tant que tu fais ce que l’on te demande à l’instant T. Si tu pouvais écrire une lettre d’excuse pour sa Majesté, ce serait un bonus – mais c’est toi qui décides de quand et comment lever ta punition.

Ordre déguisé sous l’habit de conseils habiles, pourtant ton visage traduit cette intention protectrice : le regard est droit, les sourcils se froncent à l’envers ; tu as même la tête penchée parce que tu ne comprends pas d’où lui vient l’énergie d’être si combative ; alors qu’il semble évident qu’à concéder, on y gagnait toujours plus. Tristement elle ne peut voir que tes lèvres former tes requêtes.

Et ne me mens plus, s’il te plait. Je pense ne pas me tromper si je dis que ce garçon a de l’importance pour toi. Mais si tu veux que je répète à la Reine qu’il n’est rien, pour qu’on lui coupe la tête, pourquoi pas. Sinon je peux protéger ce brin de bonheur à condition que tu réfrènes un peu ton caractère irascible.

Sans menace, toujours – si elle voulait garder ses sourires pour un cœur tu te chargerais bien de faire en sorte qu’on ne lui arrache jamais. Mais il fallait pour cela admettre ; accepter : céder. Les secrets peuvent détruire, Andy, et tu voudrais simplement qu’elle n’ait pas à en faire l’expérience pour le découvrir.

Moins agressive plus docile, pourtant pas totalement résolue à baisser d’un ton non, tu pouvais toujours retrouver en elle cette flame essentielle qui insuffle à sa vie ce désir rebelle.

C’est vrai, je ne comprends pas. Parce que je ne peux pas. Parce que dans ma position actuelle rien ne me permet d’imaginer concrètement la situation dans laquelle tu es. Mais mes conseils sont pragmatiques et obéissent à la logique ; et pour cela je n’ai pas besoin de comprendre ce qui t’agace.
Gronde, pourtant pour l’aider. Andy sans vraiment la connaître tu pouvais pourtant décrire dans chacun de ses mots la fougue qui l’animait, véritable brasier. Ça n’avait rien de cohérent, et pourtant – tu pensais devoir la protéger d’elle-même dans ce monde où la moindre parole peut devenir une menace. Dans ce cachot joliment décoré où tu avais pris part pour un sermon ; c’était comme vouloir défendre à qui l’on refuse de grandir.

Et enfin. Avec un doigt sur le sujet sensible tu avais visé juste, et tu ne te trompais que rarement, si ce n’est jamais.

Je veillerai à ce qu’il ne lui arrive rien.

Tu t’élèves, droit sur tes jambes ; un coup d’œil sur ta montre. Jusqu’à présent tu avais tenu ton temps, sans écart – elle avait été disciplinée ou bien t’étais tu montré trop philanthrope ? Voilà qui occupera ta méditation ce soir. Et alors que tu comptais t’éclipser, elle se permis d’agrémenter votre conversation ; comme portée par une curiosité enfantine.

Voulais-tu te voir, Ernest ?
Tes yeux pour la dévisager sans qu’elle ne puisse le savoir ; tu n’exprimais pourtant rien. Ni dégoût, ni surprise – pas même un soupçon de perplexité.

Ordonné ? Andy c’est ici ta chambre, si tu veux utiliser ton pouvoir sur moi rien ne t’en empêche ; ce n’est pas comme si mon visage était un outil pour te maintenir enfermée ici. Mais que veux-tu que je fasse à me regarder ? Le temps ici à tout figé pour nous ; je n’ai pas de ride à découvrir.
Ou peut-être ne voulais-tu pas
te redécouvrir ?

Toi figé dans ce quotidien préétabli qui ne parvient à te lasser, quand bien même il manque cruellement de sens... Pourquoi n’avais-tu jamais pensé à ce qu’Andy te laisse respirer, par-delà tes traits confus ?

Accaparé par cette problématique soudaine, tu avais porté l’une de tes paumes près de toi, pour y caresser ta propre joue, y détailler du bout des doigts ta mâchoire ; sans te détourner d’elle.

C’est quelque chose d’inutile…
Non. Tu corriges :

Ce n’est pas quelque chose dont j’ai besoin.
Dans l’équation de tes objectifs il est vrai ; rien ne nécessitait que tu te souviennes parfaitement de la moindre ridule qui t’avait marquée. Et si ce qu’elle te demanda semblait n’être qu’un désir dissimulé pour te discerner sans te le commander;
tu ne pouvais faire taire cette question qui germait en toi ;

Ernest ;
qui étais tu, déjà ?

Quel visage ;
avait-elle aimé ?

Pantin de la logique ; et ses mots auraient pu te voler un sourire mais la situation t’empêchait d’être trop amical avec cette fille têtue. Le terme est discutable pourtant la formulation ne te vexe guère : esclave de ce rouage qui ne grince jamais ; certes, et quel plaisir. Quand les roues tournent sans un accro, quand tout s’emboîte…
Quand on ne laisse pas le cœur y ajouter une erreur.

Et dans son absence de respect elle te laissa malgré tout un remerciement ; gardé au coin de tes souvenirs pour qu’un jour tu puisses y penser – peut être quand il faudra la défendre d’une bêtise de plus.

Dans son indiscipline la plus pure, Andy ; tu vois bien qu’elle simplement veut se battre pour sa vie ; et c’est surement pourquoi tu concèdes à lui offrir cette épave de gentillesse qui ferait crisser des dents ne serait-ce que la Reine elle-même. Un sacrifice auprès de sa majesté pour la méthode que tu emplois, mais le résultat espéré, quoi qu’il en soit, lui était aussi utile qu’il te paraissait agréable. Tu avais par tes calculs parvenu à un mal ; mais pour deux biens.

Mais dans l’équation de cette rencontre de quinze minutes (trente tout au plus) ; tu n’avais pas prévu la curiosité de cet oiseau en cage. Son audace était aussi impeccable qu’escomptée ; mais ce désir de te découvrir sans cette malédiction qui te ronge le visage… Toi-même ne pensais plus à vivre sans cette idée qu’on ne se souviendrait jamais d’Ernest T. Nichtface que pour son travail accompli ; sans jamais lui offrir un portrait. Et cela t’importait-il ? Qu’ils puissent, les idiots comme les ingénieux ; reconnaître le cerveau qui prodigue conseils et avis à la cour ?

Non. Si tu cherchais quelque chose ; ça ne serait pas ça.
Ça ne viendrait pas d’eux.

En la scrutant qui s’aventurait de son lit à toi, jusqu’à balayer le concept d’espace privé ; tu ne lui refusas rien. Andy malgré toutes les déceptions qu’elle pouvait bien provoquer à travers ses méfaits, n’était que la fragilité d’une vie que l’on manipule, et tu ne pouvais pas lui interdire de respirer – quelqu’un finirait bien tôt ou tard par le faire, mais tu espérais que jamais ça ne soit toi. Impossible à préserver, proie à ses propres fissures que tu ne pourras jamais réparer mais peut-être freiner,
le concept de liberté qu’elle convoite tant,
tu crois qu’un jour vous le lui donnerait
si seulement elle savait être patiente dans sa rage.

Ecartant ta main pour laisser la sienne faire son œuvre tu ne te surprenais même pas de son étreinte à ton bras ; c’était essentiel selon toi, qu’elle ait encore le droit d’avoir le choix sur des choses même insignifiantes, dans cette chambre où elle était détenue. C’est un peu une faveur pour que la punition semble moins froide ;

ou bien ce n’était que toi, Ernest, dans ta nature profonde

qui ne parvenait pas à l’assener de mots et de réprimandes jusqu’à la briser.
A quoi bon ? Il y a ceux pour qui c’est utile ; et il y a Andy, pour qui tu voudrais éviter.

Ses yeux qui se ferment traduisent la concentration qu’elle y met à te donner une identité ; mais tu ne sens rien. Ernest est Ernest, qu’on te voit dans ton mépris, dans ta quiétude, dans ta nonchalance maladroite ou dans ces écarts de joie qui n’existent pourtant pas à travers ton visage mais dans des souvenirs maladroits. Tu l’ignores et pourtant,

elle te voit

le visage épris d’une peine comme gravée si profondément qu’aucun bonheur ni pouvoir ne pourraient effacer la mélancolie qui t’immole. Tu n’es qu’un homme à qui l’on a tout volé qui croit dur comme fer que la logique prendra le chemin qu’il faut pour tout réparer. Mais le voit-t-elle ? Ou n’es-tu qu’un homme de plus dont la venue laisse derrière lui le goût de l’amertume ?

Es-tu satisfaite ?