frotter la nuque. craquer le cou. tourner la tête à droite.
à gauche. plie le corps avec sa blancheur dans la nuit. l’électricité a refusé de jeté un peu de jaune ; ça arrive à tous les coups par ici. anyway.

il fait frais, susan. y’a la fenêtre béante ; les chandelles qu’on collectionne avec les flammes au bout. ça éclaire des breloques sur des étagères des tables des commodes des rangées sans poussière – on n’est nulle part jamais trop propre – ça éclaire des broches et des boîtes à musique des miroirs on a perdu les murs derrière et les objets scintillent

sur la peau de susan, avec ses cheveux blancs. des clartés multiples sous le couvert de la nuit.

on sent un peu les fleurs. la serviette sur une corde à linge au-devant du lit, près d’une fenêtre. dernier pliage des hanches comme un origami, susan termine son bain termine les étirements, mais on ne va pas se coucher ; non.

dans le salon, les aiguilles chantent. de porte il n’y a que l’entrée alors susan, peau du torse qui se fait balayer par les vents de nuit, susan prend sa chemise, une main dans la poche de son pantalon

secoue ses mèches de l’autre, s’éloigne du lit.
pour aller au salon ; passe devant le miroir de la salle à manger
il scintille davantage, avec les chandelles et les porcelaines qui se reflètent.

ne prend pas la peine de jeter un coup d’œil à la surface.

c h a r l o t t e .

gronde. veut l’étrangler avec sa chemise. on ne la voit pas. mais ô
comme on sent son poids désagréable, susan, son poids des secondes plus tôt qui a osé
s’écrouler sur son univers. passer devant le miroir ; entendre un chandelier – heureusement éteint – sur la table à manger tomber. des flammes plus loin qui vacillent et elle

brusque
violente
sur son corps et son corps
sur le sol l’envie de l’étrangler ; vraiment charlotte.

n’écoute même pas, le dos agile se cambre ; d’un bras la pousse par la taille ; se redresse susan avec la force de l’insulte

se retourne à la manière d’un chat, des mèches devant les yeux qui se plissent avec l’éclat de la colère sourde.

leave, please. j’allais profiter de ma nuit. bonsoir.

la formule articulée propulsée de sa voix qui gronde.
et on réalise enfin la tenue de charlotte. lui jette sa chemise façon éclair

garde-la je m’en achèterai une autre.

s’avance près d’elle
contourne
tend le bras
le chandelier sur la table
le redresse
s’écarte parce que c’est
c h a r l o t t e .

croise les bras et la fixe.
on espère que ça la fera disparaître.
prend un grand respire, susan.

dès qu’elle parle ; vouloir la couper. c’est bien entamé, susan, la bouche qui s’ouvre et le n se forme, mais

mais.

charlotte
qui se glisse devant ses bras croisés.
derrière ses lèvres, susan, un respire ; les dents se serrent une seconde. des yeux clairs qui se plissent, la suit – ne quittent plus charlotte avec ses mots, comme ses doigts remontent le long de sa peau.

tellement attentif, susan ; le cœur gardien contre sa poitrine ne bat pas davantage. les yeux calmes lorsque la langueur du nom baise sa nuque. ce n’est ni une question d’envie ni une absence de, c’est juste que

susan rejoint charlotte. geste naturel – nonchalant – de reprendre sa chemise au passage ; secouer le tissu ; enfiler les manches comme s’il s’agissait d’une dentelle – sans bruit. les gestes souples quand il se trouve près d’elle, derrière elle. baisse la tête à son tour les lèvres à un centimètre de sa nuque, la tête vers l’armoire.

une tasse dans ses mains de reine (tu aimerais qu’il te le concède, hein), que susan à la façon d’un prince lui retire.

derrière une mèche rebelle la voix feutrée dit

s’il-te-plaît (un temps) charlotte. tu sais que ces tasses sont délicates. (l’es-tu ?) il faut les traiter plus habilement.

on pourrait embrasser ton cou
rien qu’en tournant la tête.
on
se recule dos à toi, avec les yeux coulant sur ton corps ; désinvolture. susan s’assoit sur une chaise, près de la table à manger. il y a un petit sablier ; le retourne. une fois.

je préfère te voir dans plus de clarté (le jour) l'électricité manque depuis ce matin. si tu veux profiter de la pénombre ; certes. il y a tant à faire, seulement

tape le petit sablier de la jointure. une jambe repliée, pied posé sur son genou.

il faudrait que tu trouves un moyen de gagner du temps.

le sable coule en trois minutes. susan dévisage charlotte, le pouce sur son menton et l'index contre sa joue ; chemise déboutonnée avec la quiétude de sa respiration.

•_•

figé susan. crois-tu qu’il a
t o u t e
la nuit pour réparer tes dégâts.

des violons (elle profane prokofiev) aux éclats. les yeux ne suivent plus, droite à gauche ; gestes microscopiques dans la rigueur de son corps. susan déteste les contradictions – déteste ton audace dont il se passerait si bien le temps de son existence (faux) – déteste tes yeux avec son regard de gardien assassin qui t’écorche. alors tu as raison charlotte ; violons, éclats. susan

félin quitte sa chaise ; le corps d’un geste vers le salon, s’arrête aux pieds des dégâts. l’insulte.

sale farce.
(garce)

s’avance, repousse charlotte pour se pencher, s’emparer d’un bout de vinyle. sous ce pied profanateur. on dirait qu’il flotte entre ses doigts

tellement susan est délicat. se redresse, les yeux rivés sur elle. dédain sur les lèvres qui sourient en coin ; tend le bout de vinyle ; provocation parce que tu le veux bien charlotte. et sous tes yeux, de la cassure du disque les fils d’or se tissent, cherchent à travers la pièce

les éclats qu’on raboute, à la manière de points de suture d’or qui s’évaporent ; le vinyle rétabli
comme si tu n’y avais jamais touché ; lotti.

please, (voix lourde et lente) stop. (les sourcils se froncent ; susan recule) anyway tu vas continuer. (replace le vinyle sur la table tournante) tu sais que c’est fait pour être écouté, (saisit un autre bout ; nouveau tissage en cours) que c’est une perte de temps que de ramasser tes dégâts. que ça t’amuse, je le sais, que tu t’ennuies tant, (replace le nouveau vinyle réparé dans sa pochette) tu viens me faire perdre des secondes. comme si je comptais dans ta quête de tuer mon père pour faire une image. c’est un vinyle ; tu le prends pour ton punching bag. (comme les nouveaux alices disent) tu viens ici tu casses mes affaires ; je prends exactement trop de temps à recoller ce qui ne devrait pas être recollé alors que je pourrais faire quelque chose de plus utile. le comble ; tu me marches littéralement DESSUS. gaspille. (claque le mot ; reprend son discours on s’y perd un peu)

on a ramassé, pendant tout ce temps. on s’arrête, mains sur les hanches. tu n’es jamais claire, jamais précise. tu déboules ; ça se voit que tu veux te distraire ; susan objet de ton ennui qu’il se dit, depuis ton arrivée. c’est vexant. vexant parce qu'il y a des fois, les plus belles discussions se font avec toi. on te regarde, cesse de parler (as-tu dit quelque chose à travers sa tirade ?) souffle sur une mèche ; remonte les manches de sa chemise. on n'a pas encore vu ce bouton lousse qui s'est accroché à une cassure de disque ; s'est perdu dans le salon.

toi, tu as l’éternité ; peut-être.
lui n’a que le temps qu’on lui loue.
et tu lui fais oublier de retourner son sablier.

tu sais faire autre chose j’espère, show me parce que le désordre aussi va t’ennuyer un jour. (soulève le dernier vinyle réparé) change de disque, lotti.

surnom familier ; susan te reconnaît enfin.

ah oui.

sourcil levé ; regard qui perce. il te croit
t e l l e m e n t .

elle le tutoie toujours ; de respect comme d’irrespect susan ne dit rien. se laisse emporter avec les lèvres cousues, dans le silence. les questions de charlotte à la manière de ses affirmations propres ; pas besoin de répondre, obéit le corps souple, susan exécute les gestes

comme si le corps savait depuis toujours danser.

non.
non susan n’est jamais pressé ; contrairement à la rumeur. une deux trois ; les yeux rivés sur charlotte. parce qu’il faut regarder l’ennui en pleine face

avec sa désinvolture, gardien du temps qui ne te cèdera rien.
charlotte. si près – que les tissus en frontières – il suffirait d’un pas de trop et les visages – d’accord, les sabliers, je les compterai dans ma tête. alors il sourit. tu crois qu’il s’amuse. elle dit d a n s o n s une deux trois

souple recule et son bras ne lui laisse aucune résistance ; la fait tourner avec élégance.

c’est que vous avez le flirt simple.
reprendre le rythme. une deux trois.
et dans les yeux des scintillements, de feux froids. ça te ferait trop plaisir charlotte qu’il veuille de toi ; miroir miroir dis-moi

qui est la plus belle.

et le goût à la cassure ; tout aussi simple. vous oubliez que je garde le temps. (les yeux si près des siens, le sourire sous les lèvres droites) j’en fais ce que je veux ; absent (les notes s’arrêtent. silence.) ou présent.

relève la tête avec ses scintillements toujours sur elle.
lâche une de ses mains ; viens prendre son menton de reine (d’éternité fausse ; que veux-tu charlotte il pense)

vous avez la taille fine (du menton vers ses hanches, le mouvement dansant) quelle habileté pour la mettre en valeur. dommage, pour une tailleuse, que vos mots manquent ainsi de dentelle.

sourire en coin. clin d’œil. disparaît susan vers l’armoire des tasses ; te laisse en plant et lance à la volée vous prendrez bien du thé ma chère.

lèves les sourcils, lèvres fines ; les yeux concentrés sur l’eau qu’on fait bouillir. nonchalance. satisfait, susan. on te refusera la lune s’il le faut. l’écoute jeter sa verve, elle joue ses grands airs – ceux qui cèdent, tant pis. elle joue ses grands airs et il prépare les gousses de thé.

de la cannelle et un peu d’autre chose, une épice symbolique ; on verra si tu saisis le jeu.

concentré sur sa tâche, susan fait exprès
d’être lent.
comme on le sait (si bien) que tes caprices – à la manière des enfants – ne tolèrent aucun semblant d’éternité.

on verse le thé, on entend à nouveau charlotte ; langueur du corps princier qui lui offre sa tasse. cannelle (le ton à la manière d’un serviteur distingué, s’incline) et gingembre.

se penche vers elle, le scintillement des yeux ; l’index contre sa joue de reine, susan y trace l’image d’une caresse.

soyez tout ce qu’il vous plaira d’être ma chère, il y en aura toujours un pour s’y tromper. vous vous attardez sur la mauvaise herbe, (le regard s’écarquille un peu, les lèvres s’étirent) alors qu’au-dehors de ces murs froids

comme tes doigts auparavant sur son corps, sa main coule de ta joue à ton épaule.

il y a des triques qui cèderaient volontiers.

le mot claqué avec douceur. les yeux qui ne te lâchent pas et les lèvres restent dans la distance.

on dit, à la manière des rois

voulez-vous des draps pour vous réchauffer

ce n'est pas une question. il se fait tard après tout,
c'est fou charlotte, comme le temps passe vite
sept sabliers déjà de retournés dans son esprit.
le croirais-tu charlotte.

on apprécie le merci ; incline la tête navrée – escroquerie – ô si navrée ; puis, brusque

tu m’as fait perdre le compte beaucoup trop longtemps.

tranché net ; susan s’attend à ce qu’elle lui lance son sourire d’arrogance. un geste pour prendre sa tasse de thé, déclarer défaite, et
son corps en décharge
les lèvres de charlotte sur sa peau
charlotte trop près – toujours, et susan le bleu des yeux vrille
le pincement de la marque dans la chair ; main sur l’épaule de la (reine) susan la repousse, détente instinctive avec l’insulte sur le visage. trop tard. la chair violacée. le bras tendu et son autre main vient couvrir son cou.

excuse me what ?!!

lèvres entrouvertes, outrées. le scintillement des yeux vexés. vexés qu’elle s’explique – charlotte ose. devant ses bras tendus susan ferme la bouche, le regard de glace et sa main ferme accrochée à son cou. la voix sourde

bien. tu auras largement le temps de marquer ton territoire ailleurs et me laisser tranquille pour de bon.

ça le dépasse charlotte ; combien d’années depuis le début. on l’a oublié ; on aimerait parfois que ça n’ait jamais commencé. susan, quand tu t’obstines, regrette ces heures où ensemble vous cherchez le temps. regrette ces heures où les mots ne sont pas aussi sériels.

un désir en série un caprice ; susan ne veut pas – jamais – t’autoriser à le cadrer dans tes réussites. laisse les autres t’aimer, ça devrait te combler. blessante charlotte. on ne te le dira jamais.

gardien du temps, s’éloigne et disparaît derrière une étagère ; vers sa chambre. revient, passe près de la fenêtre et les étoiles en éclat sur celle écarlate de son visage. le bleu glace de l’iris qui fixe charlotte. dans ses mains les draps.

here.

les lui balance.
s’avance vers sa tasse de thé. gorgée. d’une traite.

à propos du bonheur. tu l'as demandé plus tôt ; c’est à mon tour. l’es-tu, heureuse, charlotte ? vraiment heureuse.

la voix comme un couperet. susan lui tourne le dos ; puis le regard. vers sa chambre, on enlève sa chemise, une main dans les cheveux. et passe près de la fenêtre ; le tatouage de son bras écarlate sous la nuit. la souplesse de ses muscles quand il secoue ses mèches. susan, direction le lit.

bonne nuit charlotte.

on aimerait te dire qu'en vérité ; on t'apprécie. mais tu rirais, susan en mettrait sa main au feu.
toi aussi, regarde moi.