Il t'a forcé la main.
L'esquisse est douloureuse encore, il n'a même plus la force d'en rire -se sent partir un peu plus à chaque souffle trop fort qu'il laisse parfois échapper. Tu n'as pas tort, Juliette. Tout est de sa faute. De la tienne aussi. Alors il ne dira rien, à quoi bon réagir lorsque tu t'envoles déjà ailleurs ? Ton regard sur la silhouette d'Andy plus loin, il suit aussi l'animal. Les iris brûlants posés droit en elle, il est si fatigué. Les yeux qui se ferment lentement.

(il en prierait presque, l'odieux jabberwocky)

Laissez-moi dormir...
Car l'inconscience est à son heure du jour la seule bonne nouvelle qui pourrait arriver et cette discussion ne lui appartient pas. Il n'a pas besoin d'écouter ces menaces qu'il connaît si bien, par coeur même -pourrait les répéter avec les intonations si parfaites de sa Reine tant il en a entendu. Une ombre de rire quand sa tête se baisse doucement. Quitte des yeux sa Juliette et l'horrible Andy qui finira indéniablement bourreau pour peut-être espérer s'endormir avant que les coups n'arrivent et que la douleur ne se révèle plus forte que jamais.

Qu'est-ce qu'il aurait aimé.
Mais il est trop tard maintenant, car déjà tu reviens à lui Juliette si belle si grande si folle ! Juliette Juliette Juliette si tu savais à quel point il te maudit.

À quel point il ((( t 'a i m e ))) au fond.

Ouvre les yeux d'abord, redresse la tête ensuite.
Il semble toujours si fier même résigné.
Achevez-le.

Désolée. Je serai rapide.
Tu parles.

Il se demande soudain ce que ça veut dire, être rapide.
Vu sa condition ce serait une bénédiction -un affront total ! Juliette ne laisserait jamais passer ça.

Jabberwocky ne réagit pas lorsque les pointes percent sa peau. La douleur n'est pas grande, son corps tellement atrophié qu'il ne ressent rien. À peine une égratignure et pourtant déjà tes larmes. Lamentable. Mais les condamnés n'ont rien à dire alors il ne dit rien. Quitte la fourche du regard pour suivre Juliette des yeux lentement. Il la voit qui saisit ce fouet aux neufs pointes acérées, se remémore les douleurs immenses de leur dernière utilisation sur sa peau. Elles avaient déchiré hargneusement quelques lambeaux de ses ailes décharnées, s'étaient attardées à détruire avec délice son dos ses jambes son torse. Est-ce que tu les vois toutes ces traces Andy ?

Il ne veut pas.
Ça fait mal -ne dit rien.
Les iris perdus sur le fouet, il serre les dents, elle passe derrière.

Inspiration.

Premier coup.
Cri étouffé.
Corps crispé. Il a fermé les yeux, regarde Andy !
Silence.
Silence.
Il n'entend pas ce qu'elle dit -peu importe ça ne le concerne pas.

Second coup.
Les réouvre brusquement et geigne plus fort.
Plus fort parce que les griffes réouvrent les plaies, elles se sont accrochées et elle a tiré Juliette.

Troisième coup.
Force son esprit à se réfugier ailleurs l'animal. C'est un échec.
Les jointures de ses doigts si blanches à force de trop serrer, les poignets enroulés autour des chaînes pour se tenir. Ah bon ?

Quatrième coup.
Il ne vous fera pas le plaisir de hurler.
J a m a i s.

Alors quand Juliette si belle si Reine si laide oh -mais que pense-t-il ?
Ah il s'égare le dragon ! Loin loin loin ! Car Juliette n'est pas laide non. Non non non ! Juliette Juliette Juliette mais qu'as-tu fais de lui pour le perdre à se point. Aide-le. L'esprit qui supplie.

Continue.
Les iris qui demandent -si jaunes jaunes jaunes ah, si seulement le dragon pouvait sortir, pas vrai ? Mais il n'est plus là, le grand Jabberwocky. Il n'est plus là. Toujours si Roi face à sa Reine pourtant, la mâchoire bien trop contractée pour être capable de parler mais bien décidé à crever l'animal.
(à crever ?)

Tue-le.
Continue.