D'un pas pressé il traverse les longs couloirs château et on se pousse sur son passage
(c'est qu'il était rare de voir le chasseur aussi alerte)

Ses bottes claquent contre le sol comme elles claquent si rarement ─ sa discrétion habituelle n'est pas de mise
S'il était aussi pressé, c'est parce qu'il avait une affaire de la plus haute importance et rien ni personne ne devait se dresser en travers de sa route
(ou craignez son courroux)

C'est qu'elle l'avait convoqué peu avant
l'avait sommé de venir dans les plus brefs délais
et la faire attendre serait là bien mal placé
(la voir en colère n'est pas ce qu'il souhaite)
Elias ne savait pas de quoi voulait lui parler la Reine, mais cela lui importait peu ─ car quoiqu'elle lui demande sera exécuté sans délais

Alors le voilà devant la porte de ton boudoir, bien droit
regarde une dernière fois s'il est bien apprêté
(il ne voudrait pas que sa vue t'importune
il ne voulait pas paraître négligé devant toi)
et le voilà qui lève la main pour toquer ─ annonce sa présence par ce geste
(pile à l'heure)

▬ Votre Majesté ? Vous m'avez fait demander.

Et il attend, Elias, que la porte s'ouvre
(ne s'impose pas à toi et attend que tu l'invites dans ton espace personnel)

A ton invitation Elias pousse les lourdes portes et pénètre dans ton boudoir.
Majestueuse comme à ton habitude tu te tiens devant lui et c'est doucement qu'il referme la porte sans te quitter du regard
Et à peine est-il rentré que déjà tu lui ordonnes de s'assoir en face de toi
(soutient ton regard sanglant de ses yeux océans)

▬ Parfaitement clair, Votre Majesté.

S'incline légèrement et comme toujours il s'exécute, et le voilà assis dans ce confortable fauteuil, devant toi et les tasses préparées pour l'occasion. Le thé encore fumant lui donne envie d'y tremper ses lèvres mais il se retient ─ car il ne voudrait pas t'offenser en se servant en premier
(il te savait susceptible et refuse d'être à l'origine d'une de tes dévastatrices colères)

▬ Souhaitiez-vous vous entretenir d'un sujet important ?

Elias ne pense pas un seul instant que tu pouvais l'avoir convoqué pour simplement discuter ─ mais cela ne le gênait pas non plus, car tes ordres sont absolus et il se pliera au moindre de tes souhaits sans rechigner
(car là est sa mission et il n'y faillira pas ;
et s'il y venait, qu'on lui coupe la tête)

Il réprime un soupir à la mention de son animal de compagnie
(il avait, oh ! bien des choses à dire dessus
son indiscipline constante
son chaos désordonné
son agressivité à toute épreuve
Elias qui se trouve peut-être trop patient avec une telle bête
et sur son visage peut se lire l'agacement face au comportement du Bandersnatch)
Il prend la tasse de thé lorsque tu le lui autorise, trempe ses lèvres dedans ─ délicieux, comme d'habitude ─ avant de commencer à parler.

▬ Eh bien... toujours autant, en effet. Il est parfois difficile de composer avec ses sautes d'humeur et son agressivité, mais j'ai l'habitude à force ; néanmoins il m'arrive parfois d'avoir recours à la force pour lui faire comprendre sa place.

Malheureusement ça ne fonctionne pas pour qu'il range ses affaires, se retient-il d'ajouter ─ car c'est un problème qui ne concerne que lui et la bête, il refuse de te mêler à ces histoires
(et il se dit qu'il devra aller ordonner son désordre sous peu
parfois Elias avait l'impression d'être sa mère et oh dieu ! que c'était désagréable)

Néanmoins, Elias, même s'il n'a jamais été très doué pour traiter les sentiments d'autrui, remarque bien que tu sembles un peu ailleurs ─ mais il n'ose pas demander ce qui peut bien te distraire, ne voulant pas se montrer indiscret
(après tout, malgré son statut privilégié
il n'est qu'un sujet parmi tant d'autres
tu avais bien d'autres personne à qui te confier
n'est-ce pas ?)

▬ Quelque chose vous tracasse ? se risque-t-il finalement.

Mais dans sa témérité se cache une certaine pudeur puisqu'il ne se pose pas en tant que confident
(seule toi décideras de sa position)

Ton regard quitte l'horizon dans lequel il s'était perdu pour se poser sur lui ─ dans le sien luit l'interrogation ; et tu lui souris, reconnaissante qu'il s'inquiète ─ mais il ne parviens à déceler la détresse que cache ton sourire

Attend patiemment tes questions en laissant tes rubis sonder ses azurs quand elles tombent finalement ; il s'attendait à ce que tu lui demandes bien des choses, Juliette, mais sûrement pas à de telles interrogations ─ mais si tu les lui posais, c'est que tu avais tes raisons, n'est-ce pas ?
Il ne sait quoi répondre, Elias, aux doutes insoupçonnés qui semblent assaillir ton être à chaque seconde de ton interminable existence ; mais inexplicablement ils trouvent échos dans ses propres failles,
failles de l'âme inconnues mais pourtant si familières
failles que l'on redécouvre mais qu'on ne peut expliquer car dans une mémoire fallacieuse il manque des pièces pour tout expliquer

Il a connu la solitude, Elias, il a connu cette impression de n'être qu'une enveloppe qu'on aurait vidé de sa lettre aux  si précieuses informations ; mais surtout, il a connu la trahison, la disgrâce, même ─ celle de n'être plus rien, d'être trahi comme on a trahi, de ne pas vraiment vouloir le voir et de persister malgré les pieds non loin du bord des affres du désespoir
mais Elias a les souvenirs volés par un monde qu'il n'aurait jamais réellement compris avant d'avoir tout perdu
Elias n'a plus que de vagues sensations sur lesquelles il ne peut mettre des mots
(évanescentes douleurs anonymes
agonisants échos d'un passé évadé)
Elias n'est qu'une âme damnée condamnée à errer sans jamais se retrouver

▬ Eh bien...

Il ne sait comment continuer, ne sait quels mots pourront éloigner ces maux qui t'assaillent
Attend quelques secondes encore, en train de pleinement identifier ce qu'il ressent
(« trahison », sa plus grande crainte, pourquoi sonne-t-il comme un glas à ses oreilles ?)

▬ J'en ai bien l'impression. Je ne saurais dire où et quand, mais je suis sûr d'avoir connu ces sentiments-là.

Paroles prononcées avec la plus solennelle des sincérités
mais c'est vague, tu sais, atténué, même, à tel point qu'il se demande s'il n'est pas en train de les imaginer ─ pourtant il sent qu'ils cachent une vérité terrible, de celles que l'on préfère omettre et oublier à jamais
((comme lui l'a fait en sombrant dans la folie))

Tu ne sembles pas convaincue par les dires d'Elias ─ pourtant, tes simples mots lui firent comprendre qu'il y avait... quelque chose qui te tourmentait réellement. Il ne saurait dire quoi, il ne saurait l'identifier, cette chose que tu sembles traîner depuis bien longtemps, mais il n'a ni la curiosité ni l'audace de te demander ces détails dont seule toi avait connaissance
(condamnée à rester seule avec ton malaise et tes peines)

Et tu viens soudain caresser de tes doigts purs la main d'Elias ─ s'empourpre légèrement face à ce geste inattendu et son impassibilité pour une surprise non feinte
il ne sait comment l'interpréter, ni comment réagir, tes douces paroles l'égarant encore plus dans la confusion ─ c'est qu'il n'a pas (plus) l'habitude de gestes aussi emprunts de douceur insoupçonné, de paroles aussi sucrées ; c'est que jamais il n'aurait cru qu'un jour tu dire de telles choses, lui qui n'était qu'un pion parmi tant d'autres, lui qui n'était qu'une ombre sans aucune volonté propre
(lui laisser entrouverte la porte de ton cœur lui est quelque chose de complètement étranger)
Néanmoins il parvient à totalement se reprendre à ta menace ─ ses yeux redeviennent froids et plus rien ne semble pouvoir passer sa légendaire impassibilité

▬ Entendu, votre Majesté.

Il se fichait bien de mourir, Juliette, encore plus si c'était toi qui ordonnait sa mort ; car si tel était le cas, c'est qu'il n'avait pas été à la hauteur, ou pire, avait
trahi
dans tous les cas acceptera son châtiment sans jamais rien dire.

La main se retire finalement, en douceur, revenant vers là où elle aurait du être et ne jamais partir ─ la tasse ; Elias se surprend à penser que, peut-être, il aurait voulu que le contact dure plus longtemps
(mais de telles absurdités n'avaient pas lieu d'être
alors elle disparut aussi vite qu'elle était apparut, cette pensée importune
et rien n'en transparaît sur son visage de marbre)

Et finalement, tu le félicites de sa loyauté sans faille
(de sa déraisonnable dévotion
de sa folie presque assumée)
Il sent, au fond, que ces compliments suffisent à le satisfaire ─ bien faible mot pour décrire la fierté bien mal placée, selon lui, qu'il ressent
(car après tout, il ne fait que son travail
il ne fait que transformer tes désirs incensés en ordres absolus
il n'est qu'un pion qu'on a bien éduqué)
Tes yeux de braise croisent à nouveaux les azurs du chasseur, et voilà que finalement, tu exprimes enfin le fond de ta pensée, prononces ces quelques mots qu'Elias a, au fond, toujours voulu entendre sans que jamais il ne veuille se l'avouer
« Je suis fier de vous »

Ces quelques mots, qui se concluent par une marque d'affection innatendue, sont pour lui bien des choses, bien plus précieux que tout l'or du monde
Toi, la Reine, a confiance en lui
alors il fera tout pour jamais, au grand jamais, décevoir cette confiance que tu as placé en lui
(qu'il meurt s'il venait à (te) la trahir)

▬ J'en suis honoré, votre Majesté, répond-t-il en inclinant la tête. Je ferais tout pour me montrer à la hauteur de vos attentes.

Et ne jamais te causer le moindre tort, même pas inadvertance.

Tu te lèves finalement, toisant Elias, qui te regarde aussi ─ et tes mots, tes mots, ah ! tes mots, il ne veut l'avouer, sont si beaux, si précieux, qu'il pourrait bien y avoir un terrible poison derrière qu'il l'avalerait sans ciller car l'enveloppe qui le recouvre est bien plus douce que tout
c'est qu'au fond de lui, Elias a toujours voulu, sans vouloir se l'avouer, entendre qu'il n'est pas un simple sujet parmi tant d'autres, mais peut-être un peu plus, quelqu'un que tu estimes ─ le pense-t-il ─, mais par pudeur, par peur d'aller trop loin dans sa dévotion, vers un point de non-retour, peut-être, n'a jamais voulu voir cette pensée qui le hante depuis si longtemps
(depuis qu'il a juré de te servir à en mourir)

Tu te perds dans la contemplation de ton reflet pendant qu'Elias attend la suite, sans rien laisser transparaître ─ se contente simplement de boire son thé
Et finalement tu te retournes, Elias ne peut empêcher, une nouvelle fois, la surprise transparaître ; c'est que jamais, au grand jamais, il n'aurait cru, qu'un jour, tu lui ferais une telle proposition ─ jamais il n'aurait pu l'espérer, l'effleurer du bout des rêves s'il l'avait voulu

▬ C'est un grand honneur, votre Majesté. Je tâcherai d'être là sans faute.

Il la fait taire mais sent en lui l'anxiété monter, tout de même : c'était là une invitation à laquelle il n'était pas habitué ─ mais fera de son mieux pour ne pas te décevoir.