un pas après l'autre, les pieds grimpèrent les marches du château de coeur. l'avantage à tout ce bleu c'est que peu importe à quel point tu peux changer de visage, absinthe, ceux qui t'entourent ont rarement des doutes sur ton identité. le bleu de la tête aux pieds, l'air stoïque sur ton visage et ce style tiré à quatre épingles, l'abondance de tissu noir, parlent assez fort pour toi. cette allure si distinctive, accompagnée par les avantages de ton rang au sein de la société de wonderland, te donnent les mêmes privilèges qu'un pass vip un peu partout. personne ne cille jamais lorsque l'on voit la chenille bleue entrer dans la mairie ou les châteaux des deux reines. le seul endroit où ton visage est considéré mauvais présage serait le casino.

mais bon, tu ne peux pas leur en vouloir.

et pourtant aujourd'hui, même si tu restais aussi peu expressif qu'à ton habitude, on sentait un parfum d'amertume derrière les traits. les événements de la veille, entre révélations officielles, la disparition d'un enfant et la réapparition d'un autre, tu avais peu dormi. mais les responsabilités n'attendent jamais et tu avais déjà promis à juliette, il y a quelques jours, que tu viendrais lui faire un compte-rendu. un accès direct dans tes souvenirs de la journée serait pour elle plus rapide et plus complet que n'importe quel déformation journalistique, de toute façon. et puis, en toute honnêteté, tu avais vu suffisamment du royaume d'ivoire pour un petit moment.

encore un petit effort absinthe et après, tu auras tout le temps d'être en deuil, en attendant que les choses se calment.

tu ignores les gardes, fais taire ceux qui te proposent une escorte d'un petit geste de la main. la reine t'attend et tu espères qu'ils sont assez intelligents pour le comprendre. lorsqu'enfin tu parviens à la porte de ses quartiers personnels, tu t'arrêtes un instant. inspire, expire, essaie de bien remettre en ordre les souvenirs de la veille, ajuste ta cravate et la veste de ton costume, lisse tes cheveux, lisse le noeud du paquet dans tes doigts. c'est un cadeau pour la reine, un mélange de thé et de plantes que tu as concocté toi-même. thé noir, bergamote, jasmin et rose. tu savais qu'elle était férue de ce genre de boissons et peu importe le jour, peu importe la situation, ça vaudrait toujours le coup de se mettre un peu plus juliette dans la poche.

mieux vaut être dans ses bonnes grâces que face à son valet, n'est-ce pas ?

tu toques à sa porte avec le dos de la paume en poing, l'os contre le bois.

votre majesté, c'est moi, absinthe, pour notre rendez-vous. puis-je entrer ?

une question comme simple formalité.

elle n'était pas occupée et si elle prétendait l'être elle savait très bien que tu le saurais.