Le moins que l'on pouvait dire, c'est que le Jour Dansant avait été bien plus agité que ce qu'il ne devait être ; Elias avait encore un peu de mal à comprendre ce qu'il s'était passé, et à peine tout s'était terminé qu'il se retrouvait chargé d'une mission qu'il devait accomplir avec un oiseau fort détestable ; et même s'il n'était d'accord en rien dans tout ça, les ordres sont absolus, et il serait malvenus d'y désobéir.

Mais si tout le monde semblait avoir oublié tous les autres actions annexes, Elias, lui, ne cessait de repenser à un détail ─ infime détail inintéressant noyé sous les faits majeurs
les pleurs de Juliette
si le monde entier n'en avait cure, ce n'était pas son cas ─ et quelques mots, aussi, qui ne l'avaient pas laissé indifférents, mais dont il n'avait pas osé en demander le sens
(par peur, sûrement, de leur réelle signification)

Mais Elias n'aime pas les questions sans réponses, Elias n'aime pas les doutes et les incertitudes : alors il a fini par se diriger vers les appartements de la reine dans un élan de détermination ─ ça faisait bien plusieurs jours qu'il n'osait aller te voir, à vrai dire
devant la porte pourtant, il hésite encore ─ doit-il te déranger, ou simplement te laisser ?
il ne sait pas
n'en peut plus de ne pas savoir
inspire, Elias, avant de frapper doucement à la porte, annonçant sa présence

Votre Majesté...?

soudain se rend compte qu'il s'invitait alors que tu ne l'avais pas appelé et regrette son geste, regrette sa témérité
regrette d'être un simple mortel aux émotions trop confuses
essaie de se calmer, Elias, avant de reprendre la parole

Pourrais-je... m'entretenir avec vous ?

Au fond on espère que tu nous congédiera, que tu prétendras être occupée
parce qu'on ne sait même pas comment aborder le problème sans te froisser, sans éveiller les soupçons

L'attente est insoutenable, interminable ─ un mot, une parole, n'importe quoi pour briser la gêne, mais rien ne vient
jusqu'à ce que la porte s'ouvre finalement sur toi
son cœur manque un battement et il ne sait s'il doit être soulagé ou anxieux de te voir ─ et lui aussi t'observe longuement, sans rien dire, tentant de calmer ses émotions en désordre

A ton signe il entre et referme doucement la porte la porte derrière lui. Ah, il n'avait pas oublié que c'était ici, aussi, que vous... non, mieux valait ne pas y penser ; vous ne vous étiez pas non plus vu seul à seul depuis ce jour-là, ajoutant encore au malaise qu'il tente tant bien que mal de cacher
Et à ta question il reste muet quelques secondes, ne sachant que dire ─ c'est vrai, ça, qu'est-ce qu'il avait à te dire ? Bien des choses, c'est vrai, mais les mots se meurent à peine franchissent-ils le seuil de l'esprit, alors il reste sans rien dire, n'osant porter le regard sur toi
puis finalement sa voix s'élève

Je... Je voulais savoir... si tu allais mieux et si tu avais cessé de pleurer si c'était vraiment une bonne idée d'accepter le traité avec... La Reine blanche.

A peine sortis qu'il regrette déjà ses mots, se demandant ce qu'il lui avait pris
(pourquoi était-ce aussi compliqué ?)

Le silence retombe, accentue la culpabilité et le malaise ─ presque soulagé quand tu lui demandes de s'en aller, Elias, soulagé de fuir à nouveau des états d'âmes qu'il ne peut affronter et qu'il a bien trop peur de comprendre

M... Mes excuses, votre Majesté.

Je ne sais pas ce qu'il m'a pris, mais rien ne sort et sans un mot il s'apprête à partir
jusqu'à ce que tu le retiennes à nouveau
larmes aux yeux
Elias sent la culpabilité grimper en flèche : que c'était ironique, lui qui ne souhaitait plus te voir verser de larmes, voilà qu'il était le déclencheur de ton désespoir et de pleurs que l'on ne voulait pas, que l'on voulait effacer à jamais du visage et des souvenirs
Sans un mot, ses bras viennent doucement t'enlacer et te serrer contre lui, l'une de ses mains passant sur tes joues pour essuyer ces pleurs qui ne te vont pas

Ne pleurez pas, te chuchote-t-il doucement à l'oreille comme par peur de la heurter Je ne vous abandonnerai jamais.

Car si tu tombes, on tombera avec toi
(ne te l'a-t-on pas déjà promis quand on s'est placé sous tes ordres ?)

Les regards se croisent enfin ; rubis dans azur, le cœur qui s'accélère et pourtant on s'y noierait, dans ces mers sanglantes qui ont vu toutes les éternités passer devant leurs flots immuables.
Et il écoute, sans rien dire, tous les mots (maux) que tu lui avoue (confie) ; à mesure des paroles les joues se teintent de pourpre, son cœur bat en un rythme effrénée et le souffle se fait plus court ─ ah cruelle, pourquoi mets-tu autant de temps à prononcer ces mots dont il a tant rêvé sans vouloir les entendre, à prononcer ces quelques syllabes insignifiantes mais ô combien importantes ? Pourquoi ne viens-tu pas balayer ses doutes, semer un peu plus la confusion dans son esprit, raviver ces flammes éparses qu'on tente d'étouffer, détruire ses espoirs, lui donner quelque chose qu'il ne peut (veut) imaginer-
ah !
qu'importe, au final, qu'importe
par pitié cesse de me faire languir et dit quelque chose, n'importe quoi, qu'il me comble ou me détruise
((dis-moi ce que j'ai toujours voulu entendre))

Vous êtes celui que j'aime
Enfin, cette phrase, cette simple phrase
(maudite ou bénite on ne sait pas)
les sentiments explosent, s'emmêlent et s'entremêlent ─ enfin, enfin ! tout ce qu'il avait voulu entendre, tout ce qu'il avait espéré, tout se réalisait
ah, ces mots au bal, qui prenaient une importance toute nouvelle, il savait, maintenant
Il laisse planer un silence, long, atrocement long, comme pour prendre conscience de ce que tu venais de lui dire. Nerveusement, il passe une mèche derrière ses oreilles comme pour tenter de reprendre ses esprits
(geste qu'il ne faisait jamais)

J... Je...

Il aimerait te dire tant de chose, te susurrer bien des mots doux à l'oreille, t'exprimer tout son amour toute sa passion
mais rien ne franchit ses lèvres, si ce n'est cet odieux silence de l'indécis
(c'est si dur, Juliette, de dire moi aussi je t'aime, tu sais)
Regard qui se détourne pendant qu'il cherche désespérément quelques paroles douces, quelques mots sans saveur à force d'être tournés et retournés dans tous les sens jusqu'à en perdre leurs sèmes et leurs nuances

Vous... vous m'aimez... vraiment ?

Cherche une réponse dans ton regard, car il refuse d'y croire : c'était bien trop beau que votre amour soit ainsi partagé ─ ou le ciel avait-il simplement pitié de vous ? Il ne saurait dire
Finalement, il détourne le regard (encore), incapable de soutenir le tiens
(d'assumer ses propres sentiments et les virulents reproches de sa raison)

Je... Pardon, je ne devrais pas... poser ce genre de question.

Il se mord la lèvre, comme pour faire passer sa honte
(si pathétique, Elias, à ne pas réussi à avouer ses sentiments réciproques)

Ton hochement de tête fait bondir son cœur : ah ! quel soulagement, quel bonheur de partager ses sentiments avec l'être aimé
mais tu le supplie, tu le supplie de parler, de l'aimer, de la détester, qu'importe ! tu veux une réponse, et c'est bien normal ; mais Elias ne sait pas comment s'y prendre
Elias ne sait pas exprimer ce qu'il ressent
Elias ne sait pas comment te dire que lui aussi, il t'aime

Il pose simplement sa main sur sa joue, ses yeux évitant à tout prix de se poser sur ton être, cherchant une vainement une accroche, loin de ton insoutenable regard

Eh bien...

Hésitation, encore, pendant qu'on cherche ce qu'on pourrait bien te dire
comment, Juliette, te dire tout ce qu'on voudrait te dire ?
te dire qu'on veut rester à jamais avec toi ?
te dire qu'on t'aime plus que tout, plus que nous-même ?
que même après la mort on continuera à t'aimer et à veiller sur toi ?

Je ne sais pas comment... le dire...

Silence, encore, pendant qu'on réfléchit à ce qu'on te dira, qu'on sélectionne précautionneusement chaque parole qui sortira de nos lèvres

Je... Je n'ai jamais osé vous le dire parce que c'est quelque chose de particulièrement incorrect, mais sachez que...

Ces insoutenables silences qui ponctuent ces conversations pendant qu'il les sent, ces mots angoissants, ces mots lourds de sens, ces mots destructeurs, qui veulent enfin sortir depuis tant de temps ─ inspire, expire, et finalement

... je vous aime aussi en un souffle, presque à peine audibles

Elias rougit de plus belle, est maintenant bien incapable de te regarder ─ il en avait oublié ta déclaration précédemment
bien que soulagé d'avoir enfin mit des mots sur ce qu'il ressentait depuis si longtemps ─ et pourtant il ne peut s'empêcher d'avoir cette culpabilité, cette raison qui déplore les folies du cœur et le déchaînement des passions

Je sais que je ne devrais pas, mais c'est plus fort que moi, je... j'espère que vous ne m'en tiendrez pas rigueur.

Et que tu ne tiendras pas rigueur de sa maladresse.

Tes paroles tendent à le rassurer, réalisant enfin : vous vous aimiez, tous les deux
chose qui n'était censée arriver que dans les belles histoires à l'heureux dénouement
impression de rêve, de légèreté, de soulagement, l'âme enfin libérée de ce lourd fardeau
(ah, oui, écoutons le cœur en joie plutôt que cette raison aigrie dont les rappels à l'ordre n'atteignent plus l'esprit)

Vous avez raison.

Tu le conduit vers le lit et lui se laisse faire, bien qu'une certaine gêne l'envahisse ─ c'est qu'il s'en souvient encore, de ce jour-là, où la passion l'a emporté sur la raison, faute impardonnable qui aimait venir le tourmenter quand il avait le malheur
T'enlace doucement lorsque tu viens te blottir contre lui, caressant doucement tes cheveux sans rien dire, profitant simplement du moment. Léger sourire (sincère) quand tu prends encore la parole : les mots sont bien inutiles pour t'assurer qu'il en va de même pour lui
mais son sourire s'efface bien vite pour laisser place à de nouvelles préoccupations ─ car malgré tout, il ne parvenait pas à oublier sa place, ce qu'il était censé être à tes yeux, état qu'il avait réussit à transcender par on-ne-sait-quel miracle

Je me demandais... s'il ne valait mieux pas garder notre... cherche un instant les mots ... relation secrète ? Je veux dire, elle risquerait de vous mettre dans une position inconfortable, si elle se savait.

Et aussi de le mettre en danger, lui qui ne reviendrait pas si son cœur venait à s'arrêter
(mais en avait-il seulement conscience ?)

Une cible à abattre
il n'avait jamais pensé à ça à vrai dire
qu'il était plus vulnérable, qu'un simple coup suffirait à le faire disparaître à jamais
mais Elias refuse cette idée, Elias refuse de se l'avouer ─ par fierté, sûrement, car après tout c'est lui qui devait te protéger contre tous les dangers, pas l'inverse
(il te l'avait juré il y a bien longtemps)

Le baiser sur la joue, étrange proximité, provoque un rougissement, mais ne dit rien, continuant simplement de te caresser doucement les cheveux
(que c'était bizarre et incongrue, un tel rapprochement)
mais ce qui le surpris le plus, c'était ta demande : lui qui t'avait toujours traitée comme une supérieur, lui qui tutoyait si rarement, voilà que tu lui demandais de le faire, voilà que tu l'élevais à ton niveau par cette simple marque de familiarité ─ ou était-ce toi qui s'abaissait au sien ?
(il ne saurait le dire)

Oh... Eh bien... je vais essayer, même si c'est un peu... étrange... légère pause, yeux fuyants Est-ce que v... tu feras de même pour moi ?

Oui, c'était définitivement étrange de tutoyer une Reine : il avait l'impression de lui manquer de respect, bien que ce soit toi qui lui ait demandé ces étranges tutoiements
(peut-être, se dit-il, finira-t-il par s'habituer ?)
passant doucement la main sur ton visage, il tourna celui-ci et, dans un élan de témérité, vint t'embrasser furtivement

Je me demandais... est-ce que je dois t'appeler par ton prénom, aussi ?

Quelle étrange situation, n'arrêtait-il pas de se répéter à lui-même
(mais, à force, elle ne le gênait plus vraiment)

C'était étrange, cette proximité que vous vous imposiez, là où la distance était de mise ─ elles étaient superficielles maintenant qu'un sentiment incongru transcendait toute notion de bienséance ou de bonne conduite

Laisse ce baiser se déposer sur ses lèvres, Elias, goûtant encore à ce fruit qu'il sait hautement défendu ─ mais ne sont-ils pas après tout ceux à la saveur la plus délicate et la plus subtile ? Car malgré les risques, on y mord la chair encore et encore, même après que les malédictions se soient abattues sur nous
Il sourit à tes propos, laisse encore tes lèvres se poser sur les siennes ─ confiance mutuelle que tu t'imposes, comme si tu cherchais à t'empêchait de faire quelque chose par cette promesse solennelle

Juliette.

Se détache de ton baiser, pour planter son regard dans le sien ─ se rend compte qu'il t'a appelé par ton prénom avec une telle aisance qu'il se surprend lui-même

Pourquoi devrait-il y avoir des secrets entre nous ?

Il n'y aura pas de secrets entre vous, non, pas ceux dont on se souvient
(car les secrets oubliés, eux, se tapissent dans l'ombre en attendant patiemment leur heure)