Impossible de trouver le sommeil, jusqu'à ce qu'arrive l'heure convenue. Dans la semi-obscurité, éclairée par la seule lumière de la lune, elle tourne en rond dans ses appartements, l'appréhension au fond des entrailles, les pieds nus n'émettant pas un bruit sur le carrelage. De temps à autres les doigts se tordent, dans une tentative d'exorciser les inquiétudes. Que la plus petite chose se passe mal, et les conséquences seraient terribles ... Elle s'efforce à chaque fois de calmer le souffle, calmer les pensées, se rappeler de la confiance qu'elle accorde à ses compères et à leur sens de l'aventure bien plus pointu que le sien. Si par malheur on les surprenait, elle avait plusieurs cartes dans sa manche pour permettre une fuite.

Un coup d'œil sur l'horloge de sa chambre l'informe qu'il ne manque que cinq minutes avant l'heure fatidique. Alors, prenant une grande inspiration pour se donner du courage, elle entrouvre la porte sans émettre un son et se glisse dans le couloir à petits pas discrets. Son vêtement de nuit ouvragé fouette ses chevilles à chaque enjambée. Par bonheur, elle ne croise ni garde ni suivante insomniaque, et parvient aux cuisines sans encombre. Les chuchotis qu'elle perçoit l'informent que ses compagnons sont là, et elle les rejoint avec la légèreté d'une souris. Sa tenue fait tâche, comparée aux leurs, mais la chemise de nuit est nécessaire à la crédibilité des fables qu'elle a prévu, si l'on venait à les surprendre. Même chose pour ses possessions : dans ses mains, il n'y a que son précieux carnet, une arme bien légère. Elle le tend d'ailleurs vers le petit groupe, exposant des mots qu'elle y a inscrits à l'avance.



Le bras tremble un peu, tant elle n'est pas habituée à ce genre d'entreprises. Pourvu que le courrier qu'elle a échangé avec Lucy, s'il a été intercepté, n'ait pas été compris ... Il est temps de s'en assurer. Reprenant son carnet, elle tourne la page pour en prendre une vierge et griffonne quelques mots :



Et de se diriger vers l'une des multiples portes que compte la gigantesque cuisine, tendant l'oreille afin de déterminer si la voie est bien libre.

La main qui passe dans ses cheveux, discrète marque d'affection, est douce à son cœur esseulé. Tout en elle espère que les mots de la jeune femme seront de bonne augure, et que rien ne viendra troubler leur tâche. L'ombre d'un sourire amer passe sur ses lèvres lorsqu'elle se remémore leur rencontre, au cours des battues – l'un de ses derniers réels moments de liberté. Si elle avait su ...

Sans mot dire, elle ouvre la marche à travers les corridors, une appréhension diffuse toujours présente au creux des entrailles. Chaque pas sur les carreaux froids lui semble prolonger une éternité, mais aucun obstacle ne se dresse sur la route du groupe, qui parvient sans encombre jusqu'aux sous-sols. À partir de là, les choses diffèrent, mais Lucy prend les choses en main, et elle se contente d'obéir à la pression qu'on exerce sur son épaule en s'écartant sur le côté, aussi abasourdie que la première fois qu'elle a pu le voir à l'œuvre. Le pauvre garde passe devant elle sans même l'apercevoir ... Elle retient néanmoins son souffle, ne le relâchant qu'un fois l'importun à bonne distance.

C'est désormais Alexis qui œuvre, usant de cette force capable de briser les os qui l'avait tant faite frissonner, auparavant. Les chaînes sautent comme de rien, alors que les mots du captif lui tirent une mine profondément peinée. Les mauvais traitements commencent à avoir raison de lui ... La jeune femme le hisse sur son dos sans effort et Marion s'approche, attristée, effleurant du bout des doigts les bracelets métalliques qui, bien que séparés de leur chaînes, sont restés en place autour des poignets. Le cœur est inquiet, et alors que les plans se dessinent pour s'éclipser des sous-sols, elle se saisit de son carnet pour y griffonner quelques mots qu'elle montre à Lucy, qui revient justement vers le groupe.



Car la voix rauque et éraillée laisse deviner au moins cette privation-là – et que même s'il le lui a défendu, elle ne peut s'empêcher de craindre pour sa vie.

Oh Lucy ... Si tu savais comme ta démise lui est douloureuse, elle qui t'a érigé bien plus haut qu'elle, qui n'aurait rien su faire sans ton entremise et ta capacité à aller au-devant du danger. L'émotion de voir Meliodas ainsi entouré, ainsi regretté s'il venait à lui arriver malheur comme il semblait s'y résigner, ne surpasse pas celle de te voir atteint comme tu l'es. Elle le voit bien, malgré sa perception hasardeuse, que les mots se bousculent et que l'esprit est en peine. La compassion s'imprime sur son visage et elle pose brièvement une petite main sur ton épaule avant que vous ne vous remettiez tous en mouvement.

Dans les couloirs, l'heure tardive rend les passages bien rares. Un seul est suffisamment proche pour que chacun retienne son souffle avec appréhension, mais le retour dans les cuisines du palais se fait sans encombre. Quelque peu soulagé par l'aura sécuritaire des lieux, son regard se glisse sur chacun des membres du groupe, avant de revenir vers Lucy qui lui emprunte son précieux carnet. Elle laisse faire avec une légère surprise, lisant les mots qui y ont été inscrits lorsqu'on le lui rend – et un grand sourire éclaire son visage. Les mains serrent le carnet contre sa poitrine : elle conservera cette attention avec la préciosité d'un souvenir. En se promettant de trouver une cachette appropriée, dans sa chambre, à ce mot si doux, elle hoche doucement la tête en lieu de serment, sentant la tristesse la gagner. C'est maintenant que vos chemins doivent se séparer, n'est-ce pas ?

Et puis ces quelques mots, lancés dans un souffle, ont des airs de supplique qui font fondre sur elle une peine sans pareille. Le visage s'assombrit et se baisse vers le sol, comme pour s'excuser de l'évidence. Avant qu'elle ne puisse se résoudre à répondre, Alexis quitte les lieux avec Meliodas, et la douce caresse qu'elle lui laisse avant de s'éclipser lui est cette fois bien amère. Mais le pire c'est de le voir disparaître lui, sans aucune forme d'adieu, alors que le cœur criait à quelque chose, même quelques simples mots – n'importe quoi.

C'est ensuite Aimé qui s'apprête à sortir, après lui avoir adressé des remerciements qu'elle ne pense pas mériter, qu'elle accueille le teint rosi et la mine gênée, esquissant un geste timide de la main comme pour minimiser son implication. Ne reste alors dans les cuisines qu'elle et Lucy, qu'elle couvre d'un regard navré avant de reprendre son carnet, sur lequel elle trace quelques mots.



Un silence désolé s'installe alors qu'aux coins de ses yeux, l'humidité menace de poindre. Alors, pour l'éviter, elle s'approche, le carnet toujours en main, et ouvre les bras pour t'enfermer dans une étreinte douce, presque pudique.

murmure-t-elle dans ton épaule.

Et puis, avant de risquer de changer d'avis, d'être submergée par l'émotion, elle te libère et se retourne précipitamment pour passer la porte la plus proche, quittant la pièce sans aucun bruit. Dans l'obscurité, ses pas la mènent vers ses appartements à vive allure, comme devinant l'urgence – car les larmes n'accepteront de couler que dans la pudeur rassurante de sa chambre.