Le grondement de l'orage en bruit de colère et la pluie tombe tombe ! Elle ruisselle sur le corps, le coeur, s'écoule dans la lave de ces terres en fusion. Le spectacle est surprenant, tellement rare que c'est à se demander s'il n'y a pas là une quelconque intervention du destin -Mad où es-tu ? Aller, montre toi ! Tu sais comme il déteste l'orage, Jabberwocky.
Comme il déteste la pluie.
Un éclair qui zèbre le ciel.
Il s'arrête.

En silence -il sent. Tout est tellement étrange aujourd'hui. Étrangement calme. L'orage hurle et pourtant. Où es-tu, Bandersnatch ?
(oui c'est à toi qu'il pense, maintenant)

Un éclair encore.
Ton ombre qui s'allonge au sol -ça surprend.
Fronce les sourcils Jabberwocky, avant d'être brusquement plaqué au sol sans avoir même le temps de bouger. C'est violent. La tête qui claque, lèvre qui s'éclate dans la boue, la cendre et la poussière. Et puis, tandis que la surprise le sonne ton grondement vient le réveiller.

Alors la bête gronde à son tour.
Et c'est lent lent lent si lent Bandersnatch.
S'il avait pu te fusiller, même immobile ainsi dans sa honte et ses erreurs, tu serais définitivement mort à l'heure qu'il est.

— Qu'est-ce que. Tu. Fais.
Tu as osé.

Tonnerre encore.
Pluie démentielle -vous êtes trempés.

— Dégage.

Affamés.

Où es-tu ?
La voix grondante à l'oreille -ton souffle de bête contre sa peau il a le coeur qui s'emballe et ça cogne si fort si fort tu sais ! Il s'agace s'énerve se débat comme jamais il ne l'avait fait auparavant. Le Jabberwocky d'ordinaire si calme et contrôlé, le Jabberwocky d'ordinaire si GRAND SI FIER ! Où est-il ? Il ne sait pas.

Et ça fait mal.
De ne pas savoir.

Ça le tue.

— J'AI DIS DÉGAGE !

Mais il n'est pas assez fort.
Contre Balthazar sûrement mais contre le Bandersnatch ? Un humain ne vaut rien contre toi. Tu es bien trop puissant, bien trop monstrueux bien trop- Trop trop trop. Tout ce qu'il n'est plus.

Il aimerait pouvoir te tuer.
Il aimerait pouvoir hurler ALORS IL HURLE JABBERWOCKY ! De tout son corps de toute son âme il hurle ! Dégage dégage dégage DÉGAGE ! Laisse le en paix -laisse le brisé.

Ou achève-le.
Non.

Non ne l'achève pas NE LE TOUCHE PAS ! VA T-EN POURQUOI TU RESTES ?

Tente encore de se soulever, pour s'éloigner -partir !
Fuir ? Sans doute.
Il n'est plus rien après tout.
Il n'est nulle part le Dragon alors quel intérêt à rester ?
Quel intérêt à se détruire encore encore ENCORE !
Il préfère partir, mais il ne peut pas. Tu es trop lourd Bandersnatch, et lui arrive à bout.

Un nouvel éclair -coup de tonnerre baBAM! C'est tout proche.
Il déteste l'orage.

— DÉGAGE DÉGAGE DÉGAGE !!

Dégage.

Tu grondes encore à son oreille, encore encore et il ne sait plus à force s'il s'agit de toi ou bien de cet orage qui hurle trop fort -ou est-ce lui ? Tout n'est que bouquant assourdissant et tandis qu'il se débat encore, tu parviens à le retourner. Le dos dans la boue ta gueule près de la sienne les crocs sortis. Il en frissonne -de dégoût d'horreur ! Non pas parce qu'il a peur de toi (jamais il n'aura peur de toi) mais parce qu'il est totalement perdu.

Et toi tu es là.
L'apparence divine -il en avait tant rêvé et pourtant pourtant ! Aujourd'hui il en cauchemarde. De toi sur lui. Il t'imagine rire tu sais ? C'est une torture. Tue-le. Tue-le et barre-toi Bandersnatch. Abandonne-le.

Tes doigts sur sa gorge alors.
Mi-homme mi-monstre mi-tout mi-rien.
Serrent serrent serrent quand tu parles tu t'énerves pourquoi tu t'énerves ?
Ce n'est pas à toi de le faire -PAS À TOI TU ENTENDS ?
L'orage qui geint encore se plaint si fort si fort qu'il en ressent de nouveaux frissons. Cesse de se débattre, il ne peut rien contre toi de toute façon et ça le bouffe ça le tue. Il veut crever, là maintenant.

(non
il ne veut pas)

Alors tu demandes pourquoi mais il n'a rien à répondre parce que tu ne sais pas, Bandersnatch TU NE SAIS PAS. Ce qu'elle a fait ce qu'elle a dit ce qu'il ressent. Tu n'en sais rien parce que tu n'as jamais pris la peine d'écouter de voir DE COMPRENDRE à quel point toi et lui êtes si différents. Des opposés complets, ce fut votre force à une époque. Lui le Roi toi le rien seulement Bandersnatch -l'animal libre, le monstre heureux.

Il ne se souvient plus avoir été heureux, lui.
Il ne se souvient pas avoir déjà été libre, lui.
Avec ou sans collier.

Alors il n'a rien à te dire à part peut-être
L'horreur que tu peux lire sans ses yeux qui s'écarquillent.
L'horreur du tourbillon de ses sentiments qui le figent dans cette boue dégueulasse. De tes doigts qui serrent serrent serrent à l'en faire suffoquer, tu l'entends pas vrai ? Tu le vois. IL S'ENRAGE MAIS IL SUFFOQUE AH !

L'horreur.
La sienne.
La tienne.
La vôtre.

Tu sais Balthazar, s'il devait sincèrement te répondre, il te dirait que Juliette n'est pas la seule à l'avoir détruit. Il est responsable aussi, il n'a jamais été si fort Jabberwocky. Mais ça il ne peut pas le dire alors...

Il le garde pour lui,
En espérant que tes doigts le tuent bien assez vite.

Arrête.
Tais-toi.
Frappe.
FRAPPE FRAPPE FRAPPE !
Ta gueule et frappe c'est ce que tu sais faire de mieux Bandersnatch, pas vrai ? Frapper et haïr HAÏR TU COMPRENDS ? Étrangle-le assomme-le FAIS CE QUE TU VEUX ! Il ne peut rien faire REGARDE ! Vois comme il suffoque le grand dragon -il n'existe plus. Il n'est plus rien PLUS RIEN DU TOUT. Alors, tu sais, ton envie il n'en à rien à foutre.

— T-a... gueule.

Il fait pitié, hein ?
À tenter d'articuler comme il peut parce qu'il est incapable de gérer ta force de bête. Il n'a pas envie. Pas maintenant pas aujourd'hui -il s'est ramolli le Jabberwocky. À trop se perdre il en a oublié jusque son essence même. Sa monstruosité n'est plus.

Il n'est qu'un cadavre contre lequel tu t'énerves -DÉFOULE TOI VAS-Y ! FRAPPE FRAPPE FRAPPE ! Tu l'entends qui gémis ? Le corps a tellement mal mais lui, lui il souffre déjà tellement qu'il n'est même plus certain de sentir réellement quelque chose. Il a la gueule en sang, après deux coups. Gère-toi mieux Bandersnatch, tu veux le tuer ?
Tu dis que oui, tu dis que non.
Qu'est-ce que tu veux ?

Supplie moi. Supplie supplie -quoi ?
Férocité soudaine dans ses iris jaunes ardents, ses doigts qui hargneusement viennent se planter sur ta main pour tenter de la dégager. Sous l'orage et ton corps qui le paralysent, il semble se réveiller soudain. À vrai dire il n'était pas endormi, simplement fatigué. Il l'est toujours, épuisé.
Mais jamais il ne te suppliera.

Plutôt crever.

Vivant ?
Tu le trouves vivant ?
V I V A N T. Sérieusement.

Comment fais-tu pour être aveugle à se point Bandersnatch COMMENT FAIS-TU POUR NE PAS VOIR SA DOULEUR ? Sa dignité c'est à peu près tout ce qu'il lui reste mais même ça MÊME ÇA ! C'est du bluff, ce n'est pas réel, sa colère est une illusion. Parce que le Jabberwocky pensait être complet mais il ne s'est jamais trouvé. Jamais. Pas une seule fois. Oh il a cherché cherché cherché !! Des nuits des jours entiers bien sûr. Il a haït il a aimé il AIME ! Toujours toujours mais ses amours refusent et de peur le laissent alors il se perd. Il se cherche. Sans comprendre.

EST-CE QUE NE PAS VOULOIR TE SUPPLIER SIGNIFIE ÊTRE EN VIE ???!
Non.
Non non non non non.

Il n'est pas en vie, il n'est pas mort non plus.
Il n'est plus un dragon, pas vraiment un homme.
Il n'est pas gentil mais les plus horribles créatures diront qu'ils n'est plus si méchant non plus. Il n'est pas un monstre, il est un monstre. Il ne comprend pas. Les gens qui s'aiment, les gentillesses, les rires -son coeur qui se tord il ne comprend pas. Rien du tout. Qu'est-ce qu'il est au final ? Jabberwocky qui est-il.

À part cet ama de chair enragée qui hurle hurle HURLE sa colère à tes oreilles -SE REDRESSE ! PLANTE ! Ses doigts à ta gorge GRIFFENT GRIFFENT GRIFFENT ! FRAPPE ! Le poing en plein visage une fois deux fois à l'infini autant qu'il le pourra. L'air étouffé, il ne respire plus ou si mal si mal la rage étouffe l'oxygène il ne voit plus très bien. Colère colère, panique il meurt s'épuise épuise épuise. Il n'est pas vivant mais il a tellement mal Balthazar.

Il ne comprend pas.
Tu ne comprend pas.
Qui a-t-il à comprendre finalement ?

— JE TE HAIS JE TE HAIS SI FORT DÉGAGE DÉGAGE DÉGAGE BALTHAZAR !!!!

Laisse-le rentrer l'homme effrayé.
Il ne sait même plus ce qu'est la peur.

Il ne comprend pas, Jabberwocky. Tout ça, toi, lui, tout lui semble tellement absurde. Tout est si étrange. L'orage qui lui donne des frissons, sa rage si grande qu'il dirige contre toi, tellement épuisé qu'il ne parvient à rien -seulement à finir prisonnier. Il ne comprend pas les pulsions de ce corps, ces pulsions qu'il n'avait pas avant mais qui aujourd'hui lui ordonnent de se détacher, de partir loin loin loin toujours plus ! De ne plus voir tes iris jaunes de bêtes ni les mèches ciel de l'homme que tu redeviens.

Tu dis qu'il ment.
Ce n'est pas vrai. Il ne ment pas il te déteste tu sais ! Toi et tout ce que tu représentes Bandersnatch, il le hait. Il l'aime aussi, mais surtout, à cet instant, il le hait. Il ne ment pas, Jabberwocky ne sait pas mentir -même brisé il en est incapable. À lui-même peut-être, mais pas à toi. Il te hait.

Mais aujourd'hui il est fatigué. Le corps crispé entre tes doigts les yeux écarquillés de surprise, de stupeur ! Il aimerait pouvoir te répondre mais il n'en a pas la force. Parce que quoiqu'il puisse dire tu ne comprends pas, tu mélanges toujours tout et tu l'énerves encore encore encore. Il n'a pas envie. Alors il te regarde simplement, la rage au corps, la peine au coeur, l'âme brisée et la mâchoire serrée. Il te regarde intensément sans remarquer tout de suite l'étrange lueur de son corps. Il brille, ah.

C'est donc que tu voulais tant le voir mourir, hein ?
Persuadé qu'il serait mort de tes mains.

Le Jabberwocky n'est pas un idiot, il comprend bien vite ce que tout ça signifie. Il apprend, encore. Comprend. Cette mort finalement, le ramène à sa condition d'humain -mais sa renaissance à celle du monstre que vous êtes tous, vous les Réincarnations. Il avait finit par oublier, tu sais ? Ce qu'il est. Que vous êtes. Vivants.

Mad et Chase se sont bien foutu de lui mais c'est terminé maintenant.
Il ne veut plus alors il disparaît dans un halo de lumière aveuglant.
Simplement.

Mourir.

Les légendes disent qu'on ne meurt qu'une fois.
Les légendes nous oublient, nous les réincarnations.
Elles ne racontent pas non plus ni les réveils, ni toutes ces choses qui nous traversent. Les compréhensions du Monde qui nous entoure comme des révélations, elles n'en disent rien parce quelles ne nous considèrent que comme des anomalies. Des anomalies créées par deux êtres en quête d'amusement. Ça me va, à moi.

Parce que je suis le Jabberwocky.
Une anomalie à mi-chemin entre un homme et une créature que ces mêmes hommes appellent monstre.

Aujourd'hui je renais.
Des cendres lumière qui ne laissent aucune trace, ce n'est pas grave parce que moi je sais. Je suis mort. Je revis. C'est tout.

* * *
L'impression étrange d'un vol plané, l'esprit un peu embourbé toujours, les membres engourdis. Le sentiment d'être différent, la vision du monde changée.

— oof.

Une inspiration. Calmer les palpitations du coeur avant toute chose, souffler ensuite. Et puis grimacer lorsque la vue ne se fait plus si trouble. Dégoût, embarras. Ce n'est pas que toute cette boue dérange mais la présence de cette pluie qu'il réalise soudain ne lui plaît guerre. À peine revenu et déjà trempé.

Trempé et seul, alors que tu étais là. Précisément. Lève alors les yeux à ta recherche, il te trouve un peu plus loin. Tu t'en vas. Simplement. Balthazar l'homme-bête, le gros chien, gros crétin. Qu'est-ce que tu crois faire au juste ?

— Tss. Imbécile.

Claquement de langue agacé.
Parce qu'il se retrouve à poil tout seul et qu'il n'a pas du tout l'envie de te courir après. Il te déteste -mais demain il sait d'avance qu'il t'aimera. Ou peut-être après-demain, ou encore le jour d'après. C'est parce qu'il t'aime qu'il t'a offert à Juliette après tout. Ça c'est un fait qui n'a jamais changé.

Un regard en direction du ciel, sourcils froncés l'air emmerdé.

— J'espère que vous appréciez la vue au moins. Ah bon sang..

Il a besoin d'un bain.
Et de vêtements.
Et que ce putain d'orage s'arrête aussi.

Un regard encore mais pour les éclairs qui le zèbrent cette fois.

— Ça vous dirait pas de la boucler un peu non ! On s'entend plus penser avec vos conneries, merde.

Pour seule réponse le tonnerre qui gronde plus fort.
Une chance que la maison ne soit pas si loin.

Bon. Sans plus un regard pour rien d'autre que le chemin devant lui, il se relève pour avancer. Pestera tout le long du trajet tout en prenant le temps de réaliser à quel point il a hâte de se regarder lui. Jabberwocky.