Grande inspiration Milo, grande expiration.

La détermination qui brille au fond des yeux noisettes, le cœur qui bat à mille à l'heure. C'est toujours comme ça avant un spectacle mais là, en fait, c'est peut-être pire. Parce qu'on est pas devant n'importe qui.

C'est la Duchesse, le Duc, on ne sait pas trop mais elle est belle. Il est si impressionnant dans ses beaux habits, lové dans cette grande chaise de velours. On aurait sur le bout des lèvres une question fatidique. Pourquoi, Ô Ellen, n'est-ce pas toi qui te tient sur le trône ?

Mais on est trop jeune encore, pour comprendre les grands de ce monde, les immortels et leurs rôles prédéfinis, le grand tout qui se joue sans nous (et c'est tant mieux).

Introduit ici par hasard, on avait suivi John dans ses mauvaises idées. Mais la vérité, c'est qu'on avait toujours toujours voulu venir mais, elle était si grande, si parfaite la Duchesse, qu'on avait toujours rebroussé chemin.

Maintenant qu'elle est là, on a pas le choix que d'être irréprochable. John est drôle mais il n'est pas lui et Milo veut lui montrer qu'il sait se tenir (à peu près).

On a pas d'enceinte (enceinte ?) pour diffuser la musique. Alors Milo quand il entre sur scène, les yeux clos, il a ses pieds nus qui frappent en rythme sur le sol, les mains qui parfois claquent les cuisses et son souffle déjà rauque qui souffle une drôle de mélodie.

Et le corps se tord et se tend, les flammes qui vont et viennent, saltimbanque de feu. Milo seul sur scène, se rassure, il n'est pas seul sur scène. Il y a ses flammes avec lui, les plus belles, les plus vraies. Elles l'entourent et le cajolent, et leur lumière donne aux yeux maintenant ouvert des airs de braises.

On a rien avec nous aujourd'hui. Pas de balles, pas de cerceau, ni de mat, encore moins de roue cyr. Dans le plus simple dispositif, parce qu'on est pas, Ellen, qu'un malappris malpoli.

Achève la danse sur la pointe des pieds, torse nu luisant de sueur, les yeux dans les tiens, une main où la dernière flamme se meurt tendue vers le public dont tu est seul membre.

Quitter la transe de la danse, fuir les yeux altiers et saluer maladroitement, le souffle court. On espère mille fois n'avoir fait aucun impair, que ça a plu, que la Duchesse éternelle va applaudir.

(ou le virer, il l'aurait mérité avec ses farces)

Alors, Milo recommence, plongeant ses yeux dans ceux de la Duchesse. Il frissonne. Parce qu'il y a là le poids de l'éternité. Il y a là le fardeau des siècles et de l'immortalité. La lassitude du monde infini. Et l'enfant, dans sa bonté, se demande comment en porter un morceau si petit soit-il.

La dame est grande, mais on craint un jour qu'elle ne trébuche. Sourire fier. On a pas dévié cette fois.

Elle se lève et les joues de Milo se parent de rouge brique quand elle vient du bout des doigts saisir le menton dégoulinant de sueur. Ravale vite les excuses et hoche timidement la tête.

- J'ai l'habitude d'être seul quand je me produis ... J'ai tout appris tout seul. Alors j'improvise. J'ai jamais fait avec des musiciens. Mais si ce sont des maitres, ça va les ennuyer de jouer pour un saltimbanque. Vous ne croyez pas ?

On se demande encore ce qu'on fait ici sur de si belles planches. On a l'habitude nous que des bars miteux et des salles obscures. On est le bas peuple. Alors des musiciens, quatre en plus, pour une si petite flamme, ça semble tellement trop.

Il prend note des conseils. Ellen s'y connait mieux en spectacle que lui, il en voit tous les jours, et des sûrement mieux que le sien. Dommage, il aimait bien ce mouvement. Mais, c'est daté cette merde.

Un petit rire gêné qui s'échappe alors qu'il s'assoit en bord de scène, les pieds dans le vide. Forcément, le Duc doit avoir une drôle d'image de lui. Il hausse les épaules.

- Oh oui, ne vous inquiétez pas. Mais c'est vrai que John est ... pas vraiment dans son univers ici. Et comme c'est un sale c- un plaisantin, il aime bien s'imposer là où il fait tâche.

Baisse les yeux Milo, sur ses mains gênées qui s'entremêlent et se colorent d'étincelles.

- Mais je suis venu déjà avant, juste que ... vous ne m'aviez pas vu.

Et c'est bien normal.
Ô Ellen.

Ellen royale prestance fronce son joli nez à la mention de John. Il lui en a raconté de belles cet imbécile sur ce qu'il fait subir au Duc, Duchesse.

Il lui parle de ces mots tendres (insultes colorées) et de la joie qu'il a à la déranger. Milo écoute, sourit doucement. Lui n'ose pas. Pour lui, la Duchesse est une figure d'admiration candide.

Et c'est sûrement mieux comme ça, se mêler aux immortels apporte rarement du bon.

Sourire ravi. Il a dit que Milo pourrait revenir. Il rougit de nouveau. Ellen dit qu'il vaut mieux que les maîtres de musique. il bombe le torse. Il se sentait tout petit dans cette grande maison, dans ce grand domaine. Mais son savoir, il l'a arraché à la force de sa sueur, il est fier de ce qu'il fait et ne s'en donne pas de grands titres.

Il est humble et candide le petit.
Tout petit tout éphémère.

Quand la belle tape dans ses mains, Milo bondit sur ses pieds, il file dans les coulisses chercher sa grande chemise. C'est sa plus belle, la moins déchirée. Elle est un peu vaporeuse et transparente. Pour une fois, il l'a bien boutonnée.

Il hoche la tête. Oui, le regard effacé (dur d'être sûr de soi face à l'éternité, il n'est pas John lui). Sourire ravi. Il se laisse entraîner, maladroit à la suite de la Duchesse. Il pose respectueusement ses petites mains sur le tissu précieux de sa tenue.

- Merci Duchesse, pour vos précieux conseils. Je ferai le maximum pour m'améliorer, jusqu'à ce que ça vous plaise !

Nouveau défi pour Milo.