Dans la salle d'entrainement, tu occupes peu l'espace Judy. Tu fais de ton mieux, avec cette épée de bois que tu montes et descends, fends l'air comme s'il se trouvait être ton ennemi suprême. Intentions mortifères envers ce vide qui se montre beaucoup trop insolent. Et dans le silence, tu te complets à imiter les chorégraphies des adultes expérimentés.

Tu t'imagines trancher les têtes des criminels, en abattant le baton de bois à l'horizontale. Pousses des petits cris enragés en sautillant de tous les côtés.
Tu le sais Judy, tu es une des meilleures. Un prodige pour ton âge. Tu donnes tout pour être remarqué et pourtant aucun de tes supérieurs pour aujourd'hui te valider.

Bruits de pas et bruits d'armure qui couine. Tu passes une main sur ton front pour en éponger la sueur et tournes la tête vers le nouvel arrivant.
Le Chasseur lui même - t'es un peu impressionnée faut se l'avouer. Et pourtant, c'est un regard mauvais que tu lui offres alors que tu veux juste le fixer. Tu t'en rends compte un peu tard, serres le manche de ton épée de bois et t'approches de lui.

— « Bonjour Chasseur ! »

Tu lui fais ton plus beau sourire, mais t'es un peu crispée. T'espères qu'il va te remarquer parce que toi tu le dévores des yeux. T'as pas envie d'avoir peur de lui tu veux qu'il soit aussi admiratif de lui que tu l'es de lui.

— « Vous avez fait L'IMMENSE erreur de venir me déranger pendant mon entraînement ! »

Tu connais les règles et la hiérarchie. Il en fait pas parti. Tu risques pas de te prendre des avertissements et d'être déclassée.

— « Je vous mets au défi. »

Relevez-le.

Si vous voulez.
Hein?????
Mais tu ne pensais pas qu'il accepterait, toi. Tu restes un peu hébétée, la tension redescend et tu prends quelques secondes pour intérioriser ce moment. Tu pourras t'en vanter auprès des hommes de ta division. Un tête à tête avec le chasseur ! Rien que ça. Et le pire Judy, c'est que tu te galvanises de l'idée de le battre. Tu sais que tu en es capable, et tu veux t'en convaincre pour déterminer l'issue de ce combat.

— « Un affrontement en duel. Juste vous et moi. Deux manches gagnantes. Une à l'épée, une au corps à corps. »

Qu'il prouve qu'il est bien digne de la place qu'il a volé à tous les autres. Qu'il prouve qu'il mérite de dresser le terrible Bandersnatch. Qu'il prouve qu'il n'est pas un Alice fourbe qui a trompé son monde pour se hisser dans la hiérarchie à la cour.

— « Je m'appelle Judy. Retenez ce nom car je serais la prochaine chasseresse ! Je prendrais votre place car je vous dépasserai. »

Tu te sens pousser des ailes Judy, plein d'ambition et de volonté de vaincre.
Trop confiante quand tu serres le manche de l'épée de bois entre tes doigts.

— « Sauf si vous avez peur de battre contre une gamine. »

Sourire en coin.

Il tâcherait de retenir.
Tu es un peu sur le cul Judy. Toi qui avait été dissuadée par TOUT tes camarades soldats d'un jour oser manquer de respect au chasseur, d'oser lui parler ou le déranger. Pourtant, ce n'est pas par insolence que tu veux t'imposer à lui, c'est pour rassurer ton égo (pourtant encore immature) et légitimer tes ambitions.

Tu sais que tu es forte, formidable, une gamine brillante pour ton âge mais tu veux que ça soit les gens comme lui qui te remarquent, qu'ils le prononcent à voix haute... ah ça te rendrait si heureuse. Tout ces efforts pour quelque chose !
Alors comme tu aimes te mettre en avant tu as décidé de te placer sur son chemin.

— « Oui, retenez le ! Car un jour ça sera moi qui prendrait votre place ! »

Tu l'observes aller chercher une épée d'entraînement. T'as le coeur qui tambourine dans ta poitrine tu tiens plus en place. Ta prise sur le bâton de bois tremble un peu d'excitation et tu souffles bruyamment pour te calmer, imposes ta concentration.

— « Je... Je suis prête ! »

Tu t'élances vers lui, déjà pour tester ses réflexes. On dit de lui que sa précision est égale à celle des Dieux. Tu tentes une feinte directement en fléchissant les genoux, abattant le sabre sous son aisselle droite pour lui faire lâcher sa prise.

Ses mouvements sont précis, c'est indéniable. Deux trois échanges et il te désarme. Tu observes le bâton de bois tomber au sol dans un bruit disgracieux. Tu grimaces et te penches en avant pour le ramasser, levant le regard plus timide et réservé lorsqu'il t'interpelle.
Pas mal qu'il chuchote presque avec pudeur. Malgré l'absence d'émotion dans la voix, tes yeux s'éclairent de fierté.

— « Vous trouvez ?! Vous... vous pensez que j'ai du potentiel ? »

Tu as soif de reconnaissance Judy, tu as envie de rendre fier tes pairs mais surtout tes supérieurs. Qu'ils soient certains et rassurés de te confier plus de tâches importantes à l'avenir. Parce que te sacrifier pour ta patrie, ça ne te fait pas peur si ça permet de racheter toutes ces années à glander dans la forêt.

— « OUI ! »

Tu cries, une main sur la tempe pour te mettre au garde à vous, l'arme le long du corps.

— « Je suis Judy Gracefield, soldat de la quatrième division au service de sa Majesté ! »

Un peu interloquée qu'on te demande ton âge, tu réponds en te grattant la tête, un peu gênée. Petite voix mais grande assurance.

— « J'ai quinze ans monsieur. »

Bon, tu t'es peut-être un peu emballé. Le chasseur se permet de rappeler qu'une opinion ne peut se construire sur l'histoire d'une fois - et puis bon, il t'a quand même désarmé rapidement. Tu fais la moue Judy, caches et intériorises ta frustration. Complexe d'infériorité tu n'auras pas, pas face à lui. Si ton objectif est de le dépasser tu dois d'abord réussir à l'égaler.
Tu prends exemple sur son tempérament calme, calques ta gestuelle sur les siennes.
Tu observes Judy, prête à lui faire ravaler ces paroles qui t'ont un peu (ne nous mentons pas) ébranlé.

Les cuisses fléchies, tu te remets en positon de défense, brandis l'épée de bois alors qu'il questionne ton âge - te demande depuis combien de temps tu es là. Tu réponds solennellement.

— « Cela fait deux ans que je suis engagée ! J'avais treize ans quand je me suis proposé dans les rangs. »

Tu as un sourire malicieux, bombes le torse avec fierté. Pour toi, faire la guerre est une évidence Judy, un mal nécessaire pour instaurer la paix.
Les traitres doivent être puni et les ennemis traqués.

— « Oui ! Reprenons s'il-vous-plait. »

La feinte n'a pas marché pas tout à l'heure.
Alors tu te places en garde, prête à accuser ses coups.

— « Et vous, depuis quand êtes-vous ici ? »

Il pense que ton engagement est louable, et tu ne comprends pas pourquoi il semble plus impressionné par ton âge que par la force de tes convictions. Oh, mais cela ne change en rien le fait que tu te gorges de fierté face à lui, bombes la poitrine et étires le plus beau des sourires pour l'impressionner. Tu te pavanes d'immaturité tant ton bonheur est galvanisé par l'attention qu'il te porte. Tu voudrais que ce moment dure toujours, et qu'il puisse peut-être se souvenir de toi après cet entrainement. Qu'il parle de toi à tes supérieurs, à la Reine !
Tu t'y crois déjà Judy, et c'est pour ça que tu réponds sans réfléchir :

— « Ne pensez-vous pas que tous les jeunes du royaume devrait s'engager pour défendre le royaume de leur reine ? »

Tu rajoutes, sans l'ombre d'un doute et sans l'once d'un tremblement dans la voix.

— « Moi c'est ce que je pense ! Il n'y a qu'en s'engageant qu'on peut prouver sa loyauté ! Et tous les traitres à la patrie devraient avoir honte que des enfants soient plus efficaces et passionnés qu'eux ! »

Dix ans.
Dix ans, c'est bien.
Tu sais que le chasseur est un ancien Alice, et si tu ne les as jamais accepté, tu sais aussi que les entités ont tout fait pour s'acclimater à Wonderland, y ont abandonné leur rêve et leur passé. Il n'y a pas plus beau modèle d'abnégation.

— « Je vous admire beaucoup. »

Tu hoches la tête, prête à riposter. Il s'élance et tu pares toujours à la dernière seconde, prise en étau par sa précision exceptionnelle. Tu finis par rouler vers l'arrière, à l'affut de la moindre ouverture. Il t'a déjà désarmé deux fois, mais tu fais un pas de côté pour ramasser l'épée et la pointer au niveau de l'aisselle, après t'être volontairement laissé prendre un coup au niveau du torse. Prête à te sacrifier pour tuer, voilà le monstre que tu es Judy.

Sa remarque sur les traitres t'arrache un frisson. Tu es réellement admirative de sa sagesse, et pour sûr ! Elle t'était insoupçonnée. Tu avais imaginé le chasseur comme une brute, un personnage puissant et de ce fait dépourvu de réelle stratégie ou noblesse. Il en était tout autrement, et tu comprends malgré ton âme d'enfant que les adultes jalousent toujours les plus sages ; ainsi de rage, ternissent leurs réputations pour les faire tomber.

— « Vous avez beaucoup d'ennemis, vous devriez vous méfier. »

C'est dit sans réelle bienveillance, mais pas non plus pour être méchante. Tu veux l'informer que nombreux sont les soldats qui convoitent sa place - et qui de ce fait, même dans l'armée, pourraient lui causer soucis.

Le combat commence et tu enchaines les pirouettes. Tu réussis à le désarmer, ayant sacrifié un coup au niveau de la poitrine. Tu ne peux t'empêcher de sauter le bras en l'air, un grand sourire au visage. Tu en lâches ton arme par inadvertance.

— « J'AI REUSSI !!! »

Tu ramasses l'épée de bois dans la précipitation et soupires bruyamment pour ne pas te faire honte davantage face à lui. Tu rougis alors qu'il reconnait un certain talent, mais il prodigue aussi des conseils cruciaux.

— « Bien ! Je saurais suivre vos précieuses mises en garde ! »

Tu demandes une pause, levant une main devant lui.

— « Mais je n'ai pas peur de mourir, ne vous inquiétez pas pour moi. Je suis native, contrairement à vous, je vais vieillir. On l'accepte dès le début que c'est le jeu ! »

Tu n'avais jamais expérimenté pareil satisfaction. Se battre contre le modèle qu'on souhaite dépasser... C'est intense, c'est aussi douloureux. Chaque faux mouvement te rappelle à quel point tu es faible et à quel point tu n'as pas encore gagné le droit de le détrôner (à défaut de pouvoir le défier). Le Chasseur est indéfinissable - il est tout ce que tu veux être et à la fois il représente tout ce que tu voudrais améliorer dans cette armée. Il est trop silencieux, pas assez dévoué, trop perfectible, pas assez parfait. Tu te gorges d'arrogance quand tu penses pouvoir faire mieux quand tu seras prête. Tu ne serais pas aussi clémente, patiente. Son bon coeur serait une faiblesse, tu en es certaine.

Mourir bêtement serait regrettable....
Tu lui concède ce point, lèves le poing.

— « Je mourrais de la façon la plus héroïque possible. Je veux qu'on se souvienne de moi comme celle qui aura donné sa vie pour le royaume ! Parce que c'est comme ça que je serais respectable... »

Tu n'as rien compris Judy, tu n'as pas saisi ce que Wonderland tente d'insuffler à ses natifs. Tu n'as pas mérité de porter le poids de la vie et tu t'effondreras dans le silence.

Tu te mets en garde quand il réclame de passer à la suite, brule d'impatience en le voyant déterminé à reprendre le combat. Tu danses avec ton épée, frappe la sienne avec force, tentes de percer des ouvertures mais il se protège avec p r é c i s i o n.
Ton pouvoir s'anime quand ta poitrine brule et sans le vouloir tu amplifies la précision de chacun de ses mouvements. Tu frappes son épaule et il part à la dernière seconde, tu tombes au sol d'un coup puissant et rigoureux.

— « Q-quoi??! »

Tu te tiens le flanc en geignant, puis t'installes au sol en étoile de mer.

— « Je suis KO pour aujourd'hui. Vous êtes trop fort, je vous l'accorde. »