— Non, ne cède pas tout de suite ! Voix se brise dans la latence d’une ruelle épargnée par les affres du temps - la nuit, ici, tous les chats sont gris et dans son apparence qu’il façonne des désirs d’autrui, Valentina se complaît à jouer les anges. Les anges aux serres qui étreignent les corps. Plus forts encore plus longuement, laisse traîner ses doigts sur la chair, contre la chair. Asphyxie sans doute déjà le pauvre homme quand c’est cette silhouette d’Ève qui s’amuse à se jouer de chaque parcelle de ce corps craintif et pourtant, dévoué même à sa propre chair.
Valentina déjà - se gausse bien de ce corps qui se désarticule sous ses gestes et quel affront à ce jardin d’Éden qu’il offre lorsque l’homme trop rapidement déjà trop aisément cède. Dramatique comme à son habitude c’est son visage qui se déforme de milles peines et ses ongles qui griffent arrachent et scient la chair sans honte, à presque s’en défaire de toute raison.

— Quelle déception, j’en attendais tant de toi. Laisse sur le sol s’écouler le corps, laisse son esprit divaguer et ses formes, ses arabesques lentement choir de son corps. N’est qu’un corps finalement qu’un réceptacle des vices, des immondices désirées par les Hommes et alors la nymphe se déroge de son habit d’encens et revêt son enveloppe d’antan.
Pourtant n’es-tu pas épuisé démon de toujours voir tes proies céder, n’es-tu pas déçu de confronter les cibles lâches et fébriles - mais qui donc pourra bien satisfaire cette charnelle avidité qui te consume ? Joue après jour, devrait-on même dire nuit après nuit, Valentina aisance déchue, entité dévastatrice cherche encore à satisfaire ce désir cruel qu’il noie. Mais il n’y a rien, rien que le fond ne cherche et que les serres ne se complaisent à déchirer.  

Il y a cette âme perdue - suggérée perdue du moins - qui pourtant dans les ruelles se reflète, encore et encore et ses pas sont fourvoyés sur la chaussée. Cette silhouette que Valentina se plaît à contempler n’est pourtant pas l’une de ses conquêtes et pourtant, c’est cette question qui se noie dans son esprit ; ô petit être, quel goût peut bien avoir ta chair ? Cette question sillonne ses traits, alors que pourtant démon, ce soir revêt sa silhouette d’Ève aux cheveux blonds pour cruellement happer l’âme de ce jeune homme du coin de rue.
Et son regard s’éprend, de chacun de ses traits et son regard crible de noirceur les orbes de son vis-à-vis car ce soir Valentina mangera à sa faim ce soir - ce sont ses cris qui le nourriront et sa chair en dégustation. Ses lèvres déjà consument sa gorge pleinement déployée et Valentina s’offre ; comme à son habitude offre ce corps d’arabesques. De ses mains baladeuses de sa peau graveleuse - et Valentina déjà ne souhaite que trop arracher un à un ses doigts trop rugueux - l’homme se plaît à dévêtir le démon, l’homme se plaît à jouir un peu plus de cette chair claire qui sous ses yeux pervertis s’offre. Valentina se dit heureuse Valentina se dit prête à assouvir le moindre de ses désirs la moindre de ses requêtes.

Et pourtant brutalement, l’ignare arrête le moindre de ses gestes ; son regard dévale cette silhouette à moitié nue qu’il a dévêtu et déjà Valentina s’indigne de cette attention qui ne lui est plus portée. Ses orbes azurées s’étonnent et quand bien même toute la beauté de ce corps qu’il désire tant, l’homme semble bien enclin à résister - mais est-ce simplement possible ?
S’indigne le démon à ce geste de répulsion vive sans un mot, et c’est inconcevable d’ainsi laisser la nymphe seule - pourtant Valentina en cet instant, ne lui court pas après. Au contraire son regard déjà divague, plus loin sur cette silhouette qu’elle a déjà perçue ; et sans mieux se vêtir poitrine nue de sa tenue d’Ève, Valentina contemple de loin cet être à la chevelure de noir et de blanc. Joue déjà malencontreusement de ses fines phalanges sur les bretelles de ce haut dévergondé alors qu’elle offre ce regard noir - si noir à l’individu. Il n’y a que lui ; mais que lui a-t’il donc bien fait.
Grogne, silencieuse nymphe. En sa direction fait déjà quelques pas. Offre son regard offre sa colère, noire et rejet lointain sur sa personne.

Nymphe, prosaïque indésirée ; ô Valentina, te voici peiné, véhémente rage qui fermente dans ton être. Alors, les orbes se plantent encore, les serres se resserrent et elles désirent, un peu plus encore s’agripper à la chaire, la déchirer pour compenser cette identité qui a trouvé la fuite à cause de lui. Et dans les abysses de la ruelle, se louvoie Valentina jusqu’à cet être, ce ramassis de chair immonde humaine - et rêve un instant de cette chevelure bicolore pour ciel de lit.
Créature dévastatrices des affres, consommatrice des chairs - se tient là, robe de satin qui serpente son dos ; la peau à nu toujours alors qu’elle se dresse, plus laide encore devant l’ignoble créature qui néantise le moindre de ses charmes.

— Toi. Petite canaille.. Pourtant les notes insondables chantent l’entrain ; chante Adonis plus fort s’il le peut et s’aventure, court sur sa peau, contre son cou - plus proche encore s’approche la nymphe. Et entre les doigts, entre les phalanges arachnéennes agrippe la longue chevelure et rit, rit doucettement ; de ce sourire nerveux alors que Valentina pertinemment sait ce que ce malheureux a opéré sur lui. Tu ne devrais pas être ici, tu le sais ? Souris candidement nymphe ; dans la forme, mais l’intérieur est corrompu. Ô Valentina déjà s’imagine ; les serres dans la chair, le sang, rouge sur les murs. Comme tous ; pour tous, à tous offrir la mort. La forcer à s’écailler.
— T’es-tu perdu ? Et Valentina dans le regard ; corruption. L’humanité déchirée et dans ses désirs que voit-on : le néant.
Valentina néant dans le regard, déchirerait bien sa chair parce qu’il n’y a rien de plus déroutant que de se sentir indésirée - alors les doigts qui se faufilent parmi les quelques mèches de sa chevelure, nymphe ce qu’elle veut c’est les arracher, un à un ; ils sont si beaux. Si doux et Valentina déchirer, chaque fois plus fort, pourrait tirer cette chevelure qui s’étend, mais jouera jusqu’à six pieds sous terre ce chant de massacre qu’il ne sait que revêtir désormais.

Les serres se desserrent à la suite de ce charme que la nymphe n’offre plus ; et Valentina noire songe se souvient de cet homme que le dégoût a précipité ailleurs. Dans ses orbes azurées, la jeune femme sait parfaitement qui est le responsable ; mais reste muette.
Elle l’écoute, oreille tendue vers lui et en sourit, un instant sachant pertinemment que son habit de charmes ne lui offrira rien cette fois ; elle est insignifiante.

Contemple avec dépit ses phalanges qui glissent le nom de son corps et remonte élégamment les bretelles de cette robe qui semblait pourtant si bien la seoir. Son regard vient de nouveau contempler les courbes de cet inconnu qu’elle se remémore tant de fois avoir perçu, et c’est précisément ceux pourquoi elle a prononcé de tels mots. Son regard cependant, un instant se complait à être ainsi regardé et pourtant outrancier envers lui. Passe une main dans sa chevelure dorée et le regard un instant divague ; de toutes ses enveloppes dont elle se revêt n’en reste indéfiniment qu’une seule à cet instant.
— Je ne parle pas d’ici mais de là, tu es chez moi ; c’est mon territoire. Ton plus ferme qu’elle ne l’aurait désiré car si le jeune homme se prête à contempler les alentours il ne ratera sans doute pas la façade de l’Aphrodite un peu plus loin. Mais je veux bien partager. Sourire doux trop doux ; de ses araignées sirupeuses de ses sirènes dévastatrices qui de leurs charmes veulent faire céder même les plus immondes créatures.
Valentina sait ; elle est insignifiante mais cette simple songe est délectable. Cet ignare qui a aussitôt pris la fuite a laissé en elle des millions de chevaux délurés et Dieu seul sait à quel point sa frustration est grande.

— Ce n’est pas de la sollicitude. Tu m’as volé quelque chose. Ses charmes ; sa beauté - mais il ne le sait probablement pas, du haut de sa colline où il fait bon vivre, de son insouciance à son insignifiance, il ne sait probablement pas ce dont la démone veut parler. Quelque chose qui m’est cher.. Et les orbes glissent dans leurs homonymes pour mieux les capturer, alors que quelques notes attristées viennent peindre ce tissus de mensonge.
Qu’il se soustraie lui aussi dans ses fils ou ainsi à jamais périsse.

Les yeux luisants sur l’ignare se posent, se déposent - se jouent de la transparence que Valentina laisse déposer à sa vue. Contemple ses orbes emplies de témérité et se questionne sincèrement sur les songes intérieurs du malheureux - elle le sait, qu’il a beau ainsi l’affirmer, il n’a aucune idée d’où il est précisément, ni de ce qu’il lui a dérobé. Mais elle s’amuse, la démone à se prétendre moins intelligente, elle en éclaterait sans doute de rire si elle ne se devait pas préserver cette facette si désaxée de son habituelle forme. Mais qui est-elle bien au final ? Pas même ne semble savoir ce qu’elle est prête à donner pour détourner son ennui, car il en est désormais la cause.

Pourtant, aussi bien qu’elle aimerait en rire, elle n’a de cesse d’être agacée. Par cette expression qui l’enrage dès l’instant où du coin de l’oeil elle la perçoit ; pense-t’il qu’il peut ainsi la traiter, la regarder ? Il se trompe, il n’en a nullement le droit, elle est l’Araignée, celle qui tire les fils jusqu’à soustraire les autres au statut d’insecte infâme. Elle le fera ainsi, elle le conjure - et l’occasion n’est que trop belle pour qu’elle ne se jette pas instantanément dedans.
— Voyez-vous cela, le voici qui me demande de l’aide désormais. Assurément susurre - il n’a aucune idée d’où il se trouve, elle en est persuadée. Car dans ses ruelles sombres, l’Aphrodite se dessine et elle y jette son regard instantanément. Cette ruelle est le gouffre des hôtels, es-tu à ce point aveugle - ou simplement difficile que sais-je. Sourire railleur qui s’étire alors qu’elle jouerait démone, de ses charmes si simplement elle en avait encore. Elle préfère rêver au delà, songer aux cris incessants qui combleraient la pièce lorsqu’elle le consumerait entièrement, et elle ne donne pas cher de sa peau.

— Mais soit, je connais un endroit tranquille paraît-il, je peux t’assurer que c’est rare, ici. Nymphe de quelle robe te revêts-tu ? Celle d’une innocente âme séjournant dans les plus nocturnes ruelles de la ville mais la douceur qui sillonne ton visage n’est plus aussi malsaine quand elle aborde les traits de l’inconnu, pourrait-on même penser que démone sait affectionner ses proies, ou du moins le feindre. Si tu me permets, je peux peut-être t’y emmener. Ô assurément, qu’elle le peut, c’est chez-elle ici ; tout le monde l’admire à peine bouge-t’elle le petit doigt les insectes affluent, mais le feront-ils également maintenant qu’elle est insignifiante ?
Elle en doute, mais ne perd rien à s’essayer une deuxième fois, alors que son dos se courbe en direction de l’inconnu, point de la finesse de ses doigts la ruelle qui s’écoule droit devant, où l’hôtel se dessine - là-bas, il n’en sortira probablement pas vivant. Probablement pas.

Les ignares qui rôdent sont toujours édulcorés, surtout ces rats qui dans les ruelles se faufilent, traînent sur le goudron sale et finissent par s’imprégner des odeurs plus nauséabondes même que les tripes des bêtes crevées. L’immonde n’existe que pour satisfaire la volonté du beau - et la terreur comme le détestable est une facette désaxée de ce monde ruiné.
Valentina avait toujours eu de l’affection envers ce qui se décomposait - même ce qui l’était déjà, ou presque. Les mânes qui s’aventurent là où elles ne doivent pas, ces Alices qui débordent de curiosités, elles sont toutes si amusantes qu’elle les confond parfois. Après tout, si elles sont mortes ailleurs, il y a bien une raison.

La couverture de son souffle chaud n’est que le début de syllabes prononcées presque chantantes. Et la nymphe le sourire s’étend - elle va bientôt quitter sa robe de luxure, si elle ne presse pas le pas, il risquerait de s’enfuir. Mais elle ne peut s’empêcher de rire adroitement à ses mots ; qu’il est idiot, c’est un luxe. La marraine ? Allons..
C’est presque hilarant de l’imaginer entre ses doigts déchiré.
Car rien ne tarde jamais, dans les méandres du monde.
— Valentina. Sans lui demander en retour, car les noms laissent indifférents. Le cheminement se fera autrement, au creux du linceul des draps.

Suit ses pas Valentina, la courbe déchirée au visage et la faim intarissable qui fermente. Tu lui donnes cette envie brutale - être damné - cette envie de te lacérer et de faire éclater ton sang. Mais ce serait gaspiller toute cette tendre couleur, tout ce précieux temps qu’elle peut passer à faire autre chose.
Et Valentina à cette même idée que lorsqu’il s’exprime, plus entreprenant qu’elle. Allons à l’hôtel, qu’il dit. Monsieur est très entreprenant. Mais tout aussi insuffisant à cet instant.

Elle veut, ta chair contre ses doigts - éclatant le rubis sur les draps. Elle veut les orbes entre ses doigts comme des billes - elle sourit grand et s’avance dans la ruelle. Le pas élancée comme à chaque fois ; c’est chez elle ici.
Et elle mange toujours à sa fin.

Ce qui la chagrine, c’est son apparence qui ne tardera pas à s’effacer - c’est toujours une large partition qui s’écaille. Mais elle sait dans ce regard, elle discernera probablement quelque chose. Ô le Démon sur son pommier perché n’offre que le plaisir de la mort. Mais peut-être bien plus encore.
Pousse la porte des paumes qui la font grincer lentement. Les lumières éclatent comme dans un paradis éthéré. La devanture n’est qu’une facette indélicate de ce paradis des morts.
— Et voici, je t’en prie, entre. Accueillante, à son sourire qui étend ses lèvres. Nymphe est bien heureuse de rentrer chez elle, surtout lorsqu’elle se fait border par les clients. Ils sont si naïfs - elle les garderait longtemps si elle pouvait. Mais ses boucles blondes ne vont pas tarder à se dissiper ; ce n’est plus un problème, il y a tant d’hommes et de femmes dont la luxure étire les traits fous, ici.
Mais peut-être ne s’en rend-on pas bien compte au départ. Après tout, tout est si éthéré comme dans un paradis blanc. Il ne manque que les tâches de rouge pour que tout soit parfait, et Valentina n’a que trop hâte que tout l’ensemble ne devienne plus qu’une pièce de mort et de dystopie.