À peine le temps de te poudrer le nez,  de sceller ton visage pour la soirée, qu'on fait tourner ton tabouret sur son axis, qu'on te fait spinner. Volte face Lilian, on te fait tourner jusqu'à te planter nez à nez avec l'air effaré de l'une des filles  chargée de présider la nuitée. Intonations sautillantes, débit rapide, t'as pas le temps de tout capter, mais tu comprends qu'il est temps de te ramener. Que la madone est demandée.

Levée de rideau devancée.

Tu te redresses donc, pailleté, plumé, et t'enjambe les mannequins, les autres employé.e.s en train de se pomponner. Les regards te suivent, te nourrissent et tu émerges de la scène en rejetant les longues mèches blondes dont tu t'es affublé vers l'arrière.

Tu vois les soldats et ton estomac chute. T'aimes pas cafarder avec les salariés de la reine, t'as trop à te reprocher, trop d'activités que t'es peu enclin à avouer à ton actif. Tu descends de la scène, menton relevé, tu descends et t'approches les quatre soldats pour mieux les considérer.

Tes talons claquent une hymne de guerre.

" Y'a un problème ? ", que tu demandes, cordial, inquisiteur, affublé d'une moue acérée que le maquillage sert à exacerbé. Si t'as la peur au ventre, t'as aucune intention de le montrer.  Tu guettes une bouteille de vin pleine du coin de ton œil, déposée sur une table installée près de l'entrée.

Y'a des gens qui comptent sur ta protection.

" Qu'est-ce qui nous vaut l'honneur d'une visite d'la gendarmerie de sa majestée ? ", main sur la hanche, tu risques un sourire. Tu te dis, Lilian, que tu peux essayer de les amadouer, de leur servir une chouette soirée qu'ils seront pas prêts d'oublier. Alcool à volonté, rêves chantés. Tu te dis, mais t'es pas certain d'y arriver. Elle a pas l'air commode la tête d'affiche.

Elle a l'air d'un putain de mauvais film.

" On vous sert something ? ", tu ronronnes.

Peut-être que t'arriveras à décoincer tes invités.

Une seconde, tu penses que le vent va tourner, que le soldat le plus affable va enclencher un mouvement et commander des drinks, des queens, des airs faussement chantés. Une seconde, tu penses que ça va aller. Tu sais festoyer, tu sais amuser, tu t’es assuré que ce soit aussi le cas pour le reste de la maisonnée, et si on t’en donne l’opportunité, tu vas sauter sur l’occasion de baigner tes convives rouges de rêves étoilés.

Une seconde, tu penses, Lilian.

Puis elle interrompt l’affabilité du soldat.

Elle a la gueule d’un chien de garde qu’on a trop bien dressé, tendue, figée, attendant le mouvement de trop, le mouvement qui va justifier la morsure. Lilian, darling, t’as l’intention de te montrer sucré, de play along autant que tu le peux. Pour sauver ton cul et les culs de ceux que t’as aidé à s’échapper. Ce sera juste peut-être pas aussi facile que tu l’aurais espéré.

T’humectes tes lèvres rouges et tu maintiens ton sourire.

" Loin d’moi l’envie de me heurter à sa majestée. Faites donc voir. ".

Tu t’approches un peu plus et tu baisses les yeux, sans relâcher ta posture, parce que tu veux pas lui laisser croire une seconde qu’elle peut t’abaisser, qu’elle peut t’affranchir à ses humeurs. Tu baisses les yeux, parce que tu te refuses de lui donner plus, parce que tu refuses de te prosterner devant une proxy de la reine. Devant des idéaux de pacotille. Sa proximité est une menace à accueillir avec un grain de sel.

Elle n’a rien d’autre que des rumeurs pour t’intimider.

Tu considères les posters longuement, faisant mine de les détailler, sourcils à peine froncés. Les visages sont reconnus, l’un des fugitif travaille encore pour toi (mais n’est pas présent ce soir) et l’autre, heureusement, a été embauché par un commerçant voisin avec qui tu partages des affinités.

"  Ça vous parle ? ", que tu demandes aux filles qui occupent le plancher en les considérant d’un air qui se veut sévère, inquisiteur. Un chœur de ‘non’ gesticulés vient te répondre et tu hoches la tête, mimant être satisfait de leur retour à ta question.

" Connait pas et j’fais confiance à mes filles quand elles me disent qu’elles non plus. J’pourrai faire l’tour de celles qui travaillent pas ce soir dans les jours qui viennent pour voir si elles en savent plus. "

Tu recules enfin d’un pas, laissant crisser la pointe de ton talon contre le sol pour appuyé ton geste. Tu crées de la distance entre toi et la chienne de Juliette. Tu crées de la distance et tu te joues reine.

" Et on peut garder l’œil ouvert et vous l’signaler si on les aperçoit. ".