il ne le quitte pas des yeux, yeon.
même quand son visage disparaît derrière le menu.
appréhension qu’il sait pourtant ridicule qui grimpe doucement, au rythme des secondes qui défilent sans qu’il ne réponde à sa question.
sasha finit par le faire, rassure l’inquiétude.
hoche doucement la tête, acquiesce sans piper mot — pas besoin de le faire, son expression le trahit déjà suffisamment.
détourne finalement le regard quand un serveur s’approche, attention rapidement accaparée par la carte et son contenu.
pas le temps d’étudier celui-ci en détail, opte pour quelque chose qui lui semble relativement familier.
ils sont pratiquement dans un autre monde, après tout.

observe distraitement la silhouette qui s’éloigne, puis les autres clients.
léger sourire face à la domesticité de la chose, des rires qui fusent et des conversations animées.
la voix de sasha s’élève de nouveau, lui fait tourner la tête vers lui.
et yeon muse quelques secondes sur les options offertes.

— je… ne vais pas mentir et dire que je suis d’attaque pour rentrer. courir à droite et à gauche pour tenir le rythme de nemo, pearl et chelsea m’a plus fatigué que de nager jusqu’ici.

rictus grimaçant à l’idée d’effectuer le chemin du retour dans un tel état.
puis...

— je n’ai pas vraiment envie de rentrer. pas tout de suite.

mains qui se posent à plat sur la table, alors que ses yeux tombent vers celles-ci, à défaut de le regarder lui.

— je n’ai pas envie que ça se termine.

quitter cette petite bulle légère, retrouver la normalité du domaine, la routine…
et sasha, qui inévitablement, retournerait à christmas town.

regard qui s’accroche un peu plus à sa main, quand ses doigts attrapent les siens.
il se sent bien stupide, de ne pas réussir à le regarder dans les yeux, d’être aussi affecté par une action aussi bénigne, aussi délicate
mais pour quelqu’un qui idéalise et idolise l’amour, il a vite oublié ce que c’était, de s’éprendre ainsi.
présume qu’il devrait être terrifié de la facilité avec laquelle il arrive à le faire sourire, à chasser momentanément ses doutes.
mais sasha ne le prend pas non plus avec des pincettes, n’hésite pas à lui faire voir ses torts et ses mauvais côtés, évite de le penser fragile.
bouffée d’air frais, où il peut presque prétendre être normal, être lui-même

et il a envie de le lui dire, yeon.
s’étendre en long et en large concernant l’affection qu’il lui porte-
mais il ne se sent pas prêt à le faire, terrifié à l’idée de se tromper, d’avoir mal lu les signes et au fond, c’est la peur plus tenace encore d’être inadéquat
i r r é p a r a b l e
qui l’empêche de le faire.
alors il reste silencieux, sourire aux lèvres.
parce qu’il a raison, sasha.
personne n’a dit que ça devrait se terminer, autant profiter.
serveur au timing déplorable qui fait éclater en morceaux l’ambiance qui s’était installée — il n’a même pas le coeur de lui en vouloir, rigole même.
il le remercie poliment, puis oriente de nouveau son attention vers sasha à son exclamation surprise.

— ravi de l’entendre.

muse quelques secondes, avant d’incliner la tête de côté.

— dire que la première fois que l’on s’est retrouvé à une table, tous les deux, tu me jetais un verre d’eau à la figure. attrape distraitement le sien, en fait doucement tournoyer le contenu, je note là une belle amélioration.

malice qui lace ses mots, plus pour le taquiner que par réelle envie d’être mesquin.
elle s’étiole bien rapidement, remplacée par un élan de timidité qu’il ne peut s’empêcher de maudire intérieurement.
pouce qui effleure le dos de sa main — ignore allègrement la pointe de ses oreilles qui se colore.

— merci de m’avoir proposé de venir.

de m’avoir tiré de mon quotidien pour passer un peu de temps avec toi.

s’il n’y avait que ses oreilles qui étaient rouges, le reste de son visage ne tarde pas à suivre.
il l’observe en silence, au fur et à mesure que ses paroles inondent l’espace entre eux.
n’ose même plus respirer, yeon.
c’est que même le brouhaha du restaurant — conversations animées, ustensiles qui clinquent contre la porcelaine, n’arrive pas à noyer ses mots.
la dernière fois, la proposition avait été lancée sans grand sérieux.
ou du moins, c’est ce qu’il en avait tiré, trop perché sur son euphorie factice pour réellement y prêter une attention particulière, trop concentré sur l’instant présent.
sur lui, parce que le lendemain pouvait attendre.
et quand sa voix lui fait défaut, il ne réagit pas tout de suite, instant de flottement alors que son expression reste figée entre stupéfaction et appréhension.
poumons qui s’affolent, le font inspirer brusquement.
ouvrir la bouche aussi, pour répondre, s’excuser aussi.
peut-être.
il n’en sait rien.
aurait-il dû accepter, la première fois ?

— je-

vite interrompu par les assiettes qui se posent sur la table.
son regard se fait instantanément plus dur, s’oriente vers l’intrus.
il en plaindrait presque le pauvre serveur qui fait les frais de son irritation, fuit pratiquement à la cuisine quand son pouvoir s’active, sur une impulsion volontaire.
mais ces timings déplorables commencent à sérieusement l’agacer.
soupire, yeon, tente de chasser le mécontentement de son visage.
quand ses yeux se posent de nouveau sur sasha, il arbore une grimace embarrassée.

— désolé, je ne voulais pas en arriver là, juste-

grince des dents, en effectuant un vague mouvement de la main.

— j’en ai marre d’être interrompu, alors que la discussion est sérieuse.

il n’a toujours pas jeté un oeil à son plat, se fiche un peu qu’il refroidisse.

— je ne peux pas accepter maintenant, bien que j’aimerais pouvoir le faire. j’ai des choses à régler chez ellen…

il ne court plus réellement de danger, le croquemitaine semble s’être trouvé de nouvelles occupations.
puis, le lapin blanc et le crocodile sont bien les cadets de ses soucis — loin des yeux, loin du coeur, et plus loin ils sont, mieux il se porte.
c’est un léger sourire qui se taille une place sur ses traits, serre de nouveau sa main, avant de doucement dégager la sienne, la ramener près de lui.
attrape sa fourchette, la fait tourner entre ses doigts.

— mais la proposition est notée, une seconde fois, elle me touche beaucoup.

crève d’envie de lui dire oui, là, tout de suite, yeon, mais les choses sont mal faites.

— et si tout se passe bien, j’aurai une réponse à t’offrir bientôt, d’accord ?

c’est qu’il ferait tout pour que ça se passe bien, pour une fois dans son existence.