Les rumeurs s’ébruitent aisément au sein du château de cœur, on ne pouvait rien lui cacher. La Reine Rouge sirote son verre de vin dans ses appartements personnels, ayant ordonné à des domestiques de convoquer le Valet. Ce qu’il a fait à cet imbécile de Perceval n’ait pas passé inaperçu, on en parle dans les couloirs, dans les cuisines, partout. Rien ne lui échappe, rien. Couronne posée sur sa tête, sa longue chevelure soigneusement coiffée, elle attend patiemment.

Maîtresse d’elle-même, ce qui arrive fort peu souvent.

Elle attend.

Assise dans un fauteuil confortable, elle clôt un instant ses paupières pour profiter du calme ambiant. Hyacinth, Romeo, la gestion de son royaume, être reine n’est pas de tout repos. Cela fait bien longtemps qu’elle n’a pas passée une bonne nuit de sommeil, pense-t-elle. Qu’importe. Juliette s’accroche au pouvoir, ne le laisserait jamais. Soupirant lassement, elle prend une autre gorgée.

Et puis, le domestique annonce l’arrivée de son Valet. Juliette ouvre de nouveau les yeux, majestueuse comme toujours alors qu’elle voit son fidèle bourreau entrer, les portes se refermant derrière lui.

Un sourire rassurant, maternel s’affiche sur les lèvres de Juliette.

« Knave, mon cher. Je t’en prie, installe-toi. » Dit-elle en désignant le fauteuil en face du sien. « Nous avons à parler. »

L’observant s’asseoir, elle reprend la parole, d’une voix douce.

« Mais avant, laisse-moi te poser quelques questions : comment s’est déroulé ta journée ? Es-tu fatigué ? Souhaites-tu boire quelque chose ? Ou manger, peut-être ? »

Il n’a besoin de rien. Haussant un sourcil face à cette remarque, Juliette conserve toutefois son sourire. Déposant sa coupe, elle l’analyse du regard, examine minutieusement ses réactions et ses souvenirs. Ses mains se joignent alors que sa voix brise le silence, elle a assez attendu pour amener le sujet de la conversation.

- Je dois t’avouer, Knave, que je suis fort tracassé par une affaire qui est parvenu à mes oreilles.

De nouveau une pause, le contemplant avec ce rictus maternel. Parce qu’elle l’aime comme un fils, Juliette. Parce qu’il est l’un des seuls sur lequel elle peut compter, le Valet de Cœur, fidèle compagnon semant la mort de ses doigts.

- Ce que tu as fait à cet idiot de Perceval était fort… Grossier, je dois dire.

Levant la main pour lui intimer le silence, la Reine laisse ses mots imprégner l’esprit de son fils spirituel.

- Tu aurais dû en faire un exemple, mon cher. Perceval est un éternel incorrigible, néanmoins, il peut s’avérer utile. S’il te déçoit ou si tu ressens le besoin de le punir pour une quelconque raison, fais-le devant nos soldats.

Reprenant sa coupe, elle en boit le contenu jusqu’à la dernière goutte. Juliette vient ensuite saisir la main gauche de Knave, la lui caressant doucement en établissant un contact visuel. Pauvre âme en peine, il est de son rôle de le guider pour qu’il s’épanouisse.

- Ma sœur a décidé de régner par le biais de l’amour, ce qu’elle a fait est remarquable… Toutefois, je pense différemment. Certes, nos armées se battent par patriotisme, mais la plupart, se battent car ils me craignent plus que nos ennemis. La peur, Knave, est une arme dont on sous-estime constamment l’utilité.

Liberté… Un concept étranger au sein de Wonderland, au sein des Réincarnations. Prisonniers d’un jeu dont ils ne peuvent s’échapper, enfermés dans des rôles préconçus par des créateurs fous à lier. Elle aussi, elle sait poser cette question. Trop de fois, le doute s’est installé dans son esprit. Est-elle condamnée à n’être qu’une reine tyrannique pour l’éternité ? Serait-elle obligée de vivre dans le malheur, la peur et la paranoïa ?

Oh oui, elle te comprend, Knave.

Peut-être plus que tu ne le crois.

Et parfois, elle aussi jalouse ces gens bienheureux. Ces gens qui savent ce qu’ils sont, qui vivent paisiblement, qui meurent paisiblement. La liberté, jamais, elle ne l’aura. Jamais. Alors, pourquoi devrait-elle simplement regarder le bonheur chez autrui tandis qu’elle en est privée ? Elle le refuse. Tu comprends, Knave ?

Toi qui tranches, coupe, cisaille, torture en son nom.

Toi qui t’es fait machine de guerre, machine à tuer en son nom.

Toi, méprisé par le monde.

Nous, méprisés par le monde.

Juliette caresse toujours ta main, Knave. Son autre main libre se pose sur ta joue, souriant (tristement).

- Cette idée de liberté te tracasse, n’est-ce pas ? Tu crains de n’être qu’une créature vide, un simple meurtrier, c’est cela ?

Elle te force à maintenir un contact avec son regard, tu ne peux lui mentir, Knave. Les mères savent ce genre de choses.

- Tu as tort. Je vais te dire ce que tu es, mon fils.

Et c’est la première fois qu’elle t’appelle ainsi, Knave.

- Tu es un lion. Un jour, tous les détracteurs et les hypocrites, les faibles et les forts, la cour et le peuple se prosterneront devant toi. Et qu’importe ce qu’ils en penseront, ils ne sont que des ignares et des ingrats. Tu n’as pas avoir peur, pas tant que je suis là. Tu n’es pas une machine à tuer, tu es mon fils, que j’aime de tout mon cœur.

Se levant de son fauteuil, elle vient t’offrir une étreinte, Knave.

Elle sent le doute dans ta voix, Knave. Tu ne peux mentir à ta mère, cacher des secrets. Elle sait, Juliette. Ne rompt pas l’échange, pas encore, voulant te faire profiter d’un rare élan de douceur. Elle aussi, elle s’est posé ces questions dont les réponses lui manquent encore. Peut-être n’est-ce qu’une plaisanterie peu drôle de Mad et Chase ? Une vulgaire blague.

Tu doutes, Knave ?

Et pourtant, tu te dis lion pour elle.

Elle sourit. Pour toi. Pour vous.

- Tu n’as pas à avoir peur, mon fils. Pas tant que je suis là, en tant que Reine et en tant que mère, à tes côtés.

Toi, Elias, Jubilee, elle contre le monde entier, pas vrai ? Vous ne l’avez jamais pleinement déçu, vous êtes toujours là, près d’elle. Elle se veut rassurante, Knave. Mais, la vérité étant qu’elle-même partage tes craintes. N’êtes-vous que des produits façonnés de tels façons à ne semer que malheur et destruction ?

N’es-tu qu’une machine à tuer ?

N’est-elle qu’une reine tyrannique ?

Pouvez-vous rêver de plus ?

Ou alors, est-ce parfaitement futile ?

Vos vies sont-elles dérisoires ?

Elle ne sait pas, au fond.

Tourmentée par toutes ses pensées, ses trahisons.

Se méfie du monder entier, sauf de toi, Knave.

Jamais, ô grand jamais, tu ne le trahirais, n’est-ce pas… ?

- Reste quelques instants de plus avec moi, Knave.

Reste avec moi, Knave.
Souffrons de la solitude et des maux ensemble.
Partageons nos peines.