Les invitations dans les appartements privés de la Reine – sa mère adoptive – suscitaient toujours en elle un entrelac de sentiments confus. Subsistait toujours une omniprésente tension, insidieux résidu de ses angoisses naturelles, constamment inquiet de satisfaire aux attentes royales. Là où, dans les premiers temps, elle considérait davantage la Reine comme une ravisseuse qu'une mère, le changement s'était opéré avec le naturel du temps, ourdi par ces évanouissements de souvenirs dont seul Wonderland a le secret – impossible désormais pour sa mémoire de conjurer l'image de ses parents, et plus largement de sa vie précédente dans ses plus petits détails. La Marion telle qu'elle a passé la Porte d'Entrée de ce monde commence à réellement disparaître, mais avec une lenteur qui rend le processus presque rationnel, attendu. L'acceptation de cet abandon aux mystères de l'après-vie a sans doute commencé le jour où elle a renoué avec la parole – où elle a cédé et abandonné son refus d'exister.

On l'introduit dans les quartiers de la Reine, qui l'accueille avec un doux sourire. Pleine de politesses, la Princesse de Cœur s'incline malgré son statut qui l'exonère de ce genre de pratiques, et salue à son tour. Mère. Soulevant légèrement ses jupes brodées d'une main désormais experte, elle prend place sur le riche fauteuil qu'on lui désigne. Merci.

Le regard se reporte sur toi, sur tes éternels traits juvéniles et cette crinière rousse que vous partagez. Le lien de parenté semblait tout indiqué. Sur un hochement de tête rassurant, elle prend la parole à son tour, semblant avoir oublié jusqu'à ses débuts dans ce palais où ses mots étaient transmis à la pointe de son crayon. Tout s'est bien passé, Mère, je vous remercie de vous en inquiéter. J'ai visité le Labyrinthe sous bonne garde, aujourd'hui. Le parfum des roses demeure encore sur le fond de son esprit, tout comme sa conversation avec le lieutenant qui lui tenait lieu de chaperon.

Après une petite pause, elle reprend : Je veux bien un café, s'il vous plaît ; si vous en avez. On s'empresse de la servir puis, sa tasse en main, elle goûte la tiédeur de la porcelaine contre ses doigts fins avant de s'enquérir de la raison de cette invitation. Qu'est-ce qui vous préoccupe ?