Brise légère, s’engouffre avec une certaine finesse entre les mèches écarlates, entre les boucles rebelles qui s’échouent sur les épaules fières, alors qu’un autre client vient ouvrir la porte du bar. Le regard qui vient se faire las, alors qu’un soupir imperceptible s’échappe des lèvres charnues et rouge vif. Lentement les doigts viennent à faire tourner avec une certaine dextérité le verre à moitié descendu de rhum, créant d’agréable vagues s’entrechoquant entre les parois de glace, glaçons presque complétement fondus au fond de la flaque d’alcool. Une sensation de vide qui parcourt les veines de la jeune femme, alors que d’une traite elle vient vider le verre. Comme pour stopper le temps. Comme pour en gagner. Comme pour s’échapper.


Et ce foutu souvenir qui ne cesse de la hanter, sans raison, c’est toujours là, dans le creux de sa tête, tel un démon dévorant son âme petit à petit, cette foutue carte. Elle aurait pas pu se rappeler d’autre chose, de quelque chose de plus parlant ? Non une carte, et pas la carte entière, non, un misérable bout de carte. A force elle se demandait presque si elle ne l’avait tout simplement pas inventé elle-même, pour s’auto embrouiller. Non mais parce que cela restait, si on fut tout à fait honnête une forte probabilité. James restait assez lucide sur son brin de mythomanie pathologie cela allait de soi.

Elle soupire bruyamment, alors que tombe lourdement avec sa main, son verre sur le comptoir, avant de lentement poser son front sur le dit comptoir, tapotant légèrement sa tête dessus, comme si elle pensait réellement  l’aider à se rappeler.


Bruit agréable et significatif de l’alcool qui vient remplir à nouveau son verre avec allégresse, impossible de ne pas relever la tête avec un sourire dévorant sur le visage, il lui en fallait peu à James.

« T’essaye de me saouler chaton ? »

Sourire amusé sur les jolies lèvres de la pirate, regard langoureux et dévorant, alors que son ton s’est fait bien plus moqueur qu’elle ne l’aurait surement voulu sur le moment. Mais James s’en fiche bien. Ce n’est pas vraiment comme si elle prenait réellement gare à ces mots avant de parler.


Elle retient pas un rire, un rire franc comme elle en a souvent, car James ne joue pas, et ne triche pas. Enfin du moins pas quand elle boit, ce qui au final reste déjà ça.


Rire léger qui s’échappe à nouveau des lèvres de la rouge, alors qu’elle s’avance un peu plus sur le comptoir pour se rapprocher du barman, ils se connaissent, ce n’est pas nouveau ce genre de petits pics entre eux, James le sait, et une fois qu’elle est lancée dur de l’arrêter.

« Dis le gars qui gratterait à ma porte si je dormais à l’étage de son auberge. Si tu crois que je te vois pas mater mon cul quand je vais aux chiottes c’est mal me connaitre. »

Sourire malingre, sourire vainqueur alors que le gars rit un peu à son tour sans rétorquer, soutenant un peu le regard provocateur. Une sale gosse, c’est tout ce qu’elle était.


James fait la moue, venant apporter son lèvre à ses lèvres sans répondre, se laissant perdre à ses propres songes, laissant le barman à ses occupations alors qu’il secouait un peu la tête pour s’en repartir à ses autres clients.

Qu’est ce qui la tracassait à James. Beaucoup chose et rien en même temps. Elle trouvait juste parfois le temps long, surtout quand elle était en cavale, et c’était un peu le cas en ce moment. Son bateau lui manquait, la mer lui manquait, l’odeur salée des eaux, et leur couleur cristalline, la liberté, ce sentiment de toute puissance, tout cela lui manquait en ce moment. Bien sur, elle n’aurait qu’un mot à dire pour que tous ces gars rappliquent, mais elle avait un pressentiment, un sale pressentiment que ce n’était pas le bon moment.

Et puis il y avait ce souvenir qui la hantait, encore et encore dans chacun de ses rêves. Bon y’avait bien Wendy qui lui cassait un peu les pieds, mais elle arrivait toujours pas à se décider si elle l’aimait bien ou pas cette foutue gosse. Et puis y’avait… Lui.

Rien que d’y songer, elle senti un frisson parcourir son échine, laissant une grimace éphémère sur ses lèvres alors que machinalement elle portait ses doigts fins à la corde accrochée à sa ceinture, comme pour se rassurer. Un soupir s’extirpant doucement de ses lèvres.


Elle ne voulait pas y penser, mais c’était plus fort qu’elle, il finissait toujours par s’imposer à son esprit, comme une drogue tenace. Comme un poison dévorant son âme. Et malgré toute sa fierté, et toute sa volonté, elle n’arrivait toujours à réprimer l’angoisse et l’envie de le recroiser. Comme un besoin vital, et mortel à la fois.

Le Hasard est moqueur et souvent aux dépends de Crochet, Be careful of what you wish for, que certains disait, on est jamais trop prudent que chantait d’autres, tout ce que cela concluait dans l’esprit brumeux de James c’est qu’à force de tendre le bâton on finit diamétralement par se faire battre. Ou bouffer si la pirate pouvait ironiser, ou du moins faire preuve d’un brin de sarcasme presque bien dosé. Raffermit la pression sur son verre de ses doigts guindés, alors que les mots coulent des lèvres du prédateur qui la fait par avance frissonner.


Montrer qu’elle est terrorisée ? Ja-mais. Plutôt ne plus toucher la coque d’un bateau…enfin du moins pendant une bonne semaine. Hé. C’est beaucoup une semaine pour une pirate. Ceci étant glisse son regard vers son interlocuteur, doucement, lentement, sourire provocant parfaitement affuté sur les lèvres rouges. Elle adorerait s’éclater le front sur le comptoir sans plus de procès. Mais ça aurait été offrir son cadavre frais en pature, sans aucune chance d’en réchapper. Un peu Dommage quand même.

« Seulement si ça concerne du rhum. »

Un rire léger qui s’échappe de ses lèvres, faussement détendue Crochet, alors qu’elle calcule déjà le meilleur moyen de s’échapper. Elle pourrait le ligoter, courir et se cacher. Et perdre la possibilité de savourer un bon verre de rhum…Non mauvaise idée. Elle pouvait aussi le saouler, puis le laisser là, fière et conquérante. A moins que sa descente soit plus corsée que la sienne. Est-ce vraiment et seulement possible ? Le doute restait quand même un peu permis.

« Installez vous, restez pas debout. »

Mais oui Crochet intelligent ça. Pourquoi ne pas lui donner le bras non plus, qui a besoin d’un bras finalement, c’est assez surfait. Dire que le cerveau de James est en train de déconner, c’est véritablement en faire un maigre résumé. Tout son cœur n’a qu’une envie, ne transpire qu’une idée :
Mais de l’autre y’a cette part bien trop malsaine et mentalement décérébrée d’elle qui veut le voir rester.

Fuir ou l’empailler. Voilà le nouveau dilemme de Crochet. Parce que non, il n’aurait pas pu être laid, il n’aurait pas pu avoir une odeur moins agréable, cela aurait été bien trop facile. Et Mouche qui n’était jamais là quand elle avait besoin de quelqu’un pour la secouer et la ramener à la réalité et au danger de presque deux mètres se trouvant à portée.

Et qu’est ce qu’elle va faire après Crochet ? L’inviter à diner ? Sans mensonge l’idée a traversé ses pensées. Suicidaire un peu Crochet.

Mélodie délicate des deux verres qui entrent en collision, liquide dont l’odeur fait chavirer les sens de Crochet, le meilleur appât qu’il pouvait trouver pour l’appâter, elle venait de lui servir sur un plateau d’argent, ferme les yeux Crochet pour savourer l’odeur alcoolisée, pourquoi ne pas toujours plus aider le prédateur qui veut nous gober finalement Crochet.

Elle le sent ton regard sur elle Crochet, elle ne peut pas vraiment le rater même les yeux fermés, ça lui file des frissons qui parcourt désagréables toute son échine, vient sa main sur sa corde qu’elle garde à sa ceinture, parce qu’on sait jamais qu’elle se dit. Vaut mieux être prêt qu’elle se rassure. Idiote que tu es Crochet.

Elle rit un peu à tes mots.

« La Destinée, la destinée »

Elle a bien bon dos la destinée dites moi.  Tu parles d’une destinée Crochet, la destinée elle veut te dévorer avec un peu de sel, un peu de poivre et hop toute crue, gober par le crocodile, elle va décéder Crochet. Voilà. Fin de l’histoire. Elle aura même pas eu le temps de se racheter son bateau qu’elle a perdu au poker par-dessus le marché.

La Destinée, mon cul.

Elle se racle la gorge, vient pincer ton nez en te voyant encore la fixer, furtive, intrépide. Stupide.

« Fixe pas comme ça gamin, c’est malpoli. »

Comme si elle était en position de lui faire la leçon Crochet, comme si elle avait l’avantage. C’est quand même bien beau de se bercer de tant d’illusion tout de même. De se bercer si près du mur en béton.

« Faut dire qu’on a toujours le chic pour se retrouver, c’est à croire qu’on se suit »

Une petite tape dans le dos du géant de deux mètres. Allez hein, on est plus à ça près.

« Qu’est ce qui t’amène de beau par ici ? Enfin quoi de beau dans ta vie depuis le temps ? »

Quand as-tu eu ton dernier diner ? Est-ce que j’ai une chance de sortir en vie de ce bar ? Non ? Mais non, Crochet elle est tellement plus maligne, elle elle se dit que c’est une idée ma foi excellente de lui faire la discussion de lui demander comment il va, comme si ils étaient intimes, comme des vieux potes de fac. Logique imparable.

Alors qu’elle devrait avoir une seule idée.

Se barrer.

Elle te regarde, force un sourire, pendant que les frissons parcourir son échine, alors autant c’est probablement le plus beau compliment qu’on lui ai fait en plusieurs centaines d’années existence. Parce que oui. C’est pas la foule de prétendants qui se bat au portillon, et que son dernier diner romantique il date un peu, et qu’il a eu tout simplement lieu entre elle-même et sa bouteille de rhum mais un peu quand même. Un exemple de pureté Crochet, oui oui. Pas même embrassé la moindre lèvres depuis qu’elle a mis la botte sur Wonderland, alors les compliments elle plus très habituée.

Tel truite sautillante dans sa rivière, elle sait pas si elle doit te remercier, où décamper.

Parce qu’on est pas dupe, même elle le sait, tu vas la gober. Mais elle se dit aussi que peut-être que t’as besoin de discuter, psychologue de comptoir Crochet, parce qu’elle passe son temps à déguerpir mais jusqu’à maintenant, lui en soit le monde entier témoin, peut-etre qu’elle s’était juste fait des idées que t’étais pas si terrible.

Crochet ? C’est la connerie elle-même qui a du l’engendrer.

Elle vient se tendre, tressaillir quand tu ramène ton visage un peu plus près d’elle, Tape sa main vive sur le comptoir, comme si une illumination venait de la traverser. La peur surtout, même on a te feindre qu’elle est hyper confiante là Crochet.

« Un régime ! »

Recule d’un geste son tabouret, en saute même pour faire les cents pas, juste à coté de là où vous étiez assis. Semblant au milieu d’un réflexion bien plus intelligente qu’elle.

« Un Régime Croco, tu y a déjà pensé ? Des légumes, des fruits, tu sais tout ces trucs que les péons ils mangent, il parait que c’est hyper bon et que ça cale. »

Elle hoche la tête, elle essaye de te convaincre même si elle sait à quel à l’échec sa tentative est voué, dépose brutalement sa main sur ton épaule. Complètement fêlée.

« Tu sais Dundee, en vrai je t’aime bien, mais t’es vraiment un peu trop coté viande de pirate de force. C’est con, parce que regarde on pourrait être grave copain, je te sculpterais un crocodile taille Dundee sur le bateau même si me ferait flipper, en ton honneur, on partirai un vacances sur la mer. Avec je sais pas, ta truite de compagnie ! Imagine ce serait beau quand même. »

A cet instant, qu’eest ce qu’elle aimerait se taire, mais se taire Crochet, moulin à parole, qui n’arrive plus à s’arrêter.

« Y’a pas de bestiaux que t’aime pas, que je prenne des douches, de je sais pas moi, de poil de lapin ? Ou de cochons sauvage ? »

Faut ce qu’il faut, qu’ils disent.

La douleur, vive et insoutenable, celle qu’elle n’a pas prévu, celle qu’elle aurait dû prévoir, celle présente dans le bas de son dos, la chaleur du sang, la peur qui vient envahir chaque parcelle de sa peau, brule son âme. Difficulté à déglutir. Le corps réagit avant l’esprit torturé, bouge les doigts, vif dans un instinct ultime de survie, virevolte, ondule la corde jusqu’à nouer les poignets du crocodile, s’enroule autour de sa gorge, l’arnache au tabouret du bar, resserre les nœuds pour qu’il ne puisse pas s’échapper, pas pour tuer, juste immobiliser.

« Toi et tes foutues mains baladeuses. »

Voix brisée par la peur, bien que contenu. Elle aurait voulu faire une pointe d’humour, mais elle n’y arrive plus. La peur, toujours plus grandissante et violente, elle est la seule chose qui brise un peu la façade qu’elle s’échine à présenter. Celle derrière laquelle elle se cache, fière et conquérante, alors qu’à l’intérieur, cachée derrière des monticules de blagues de comptoir, elle n’est qu’une âme terrible seule et vide. Elle fait volte-face Crochet, volte-face vers toi, le regard en parti terrorisé, les larmes embrumant les iris verdâtres, la peur c’est tout ce qui l’habite encore, la terreur indicible, et le sentiment de stupidité, celui d’avoir essayé, celui d’avoir tenté vainement, connement de croire que peut-être il valait mieux ne pas fuir pour une fois, que peut-être cette fois ce serait différent. Contraire d'admettre l'évidence contre laquelle elle a vraiment essayé de renier.

« Qu’est ce qu’elle est conne Crochet. »

Mots sifflés entre ses dents, mots pour elle-même, ne te jette pas un regard alors qu’elle recule, elle tente de recomposer ce visage, cette façade qu’elle a toujours. Elle voudrait avoir de la haine Crochet, elle voudrait changer ce à quoi vous êtes destiné, elle voudrait. Mais les voeux sont réservés aux enfants qui n'ont déjà plus rien à espérer. Elle n'est pas une enfant Crochet. N'est plus. N'a jamais été. Ne pourra jamais.

« Je te laisse m’inviter, j’ai comme une urgence, la vie de pirate tu connais. »

Un revers de sa manche sur son regard mouillé, se recompose son visage, alors qu'elle se permet un clin d'oeil, de sa langue te tirer et file à vive allure, à grandes enjambées hors du bar, d'un maigre signe de la main, et une fois la porte derrière elle close, elle court, la peur au ventre, tiraille, tord les boyaux, alors que les talons claquent le sol en rythme. Elle disparait à ton regard, elle disparait à ta vision, elle court, elle ne sait plus vers où, mais elle court à en perdre haleine, n’ose pas se retourner. Use de toute les ruses qu’elle connait, pour que tu ne puisses la poursuivre ou la retrouver.

Elle rêvera de toi ce soir elle sait, de même que les nuits d’après. Inlassables cauchemars venus la hanter. Ce grondement affamé. Celui qu’elle a déjà entendue si souvent, enfin pratiquement toutes les fois où vous vous étiez croisé.