MUSIQUE - Sous un soleil confortable, la plume irisée habillant sa casquette gavroche brille de mille reflets. Petits et grands voyageurs reconnaissent le messager de ces contrées à cet accessoire qui lui est propre mais aussi à sa démarche décidée lorsque le rideau de ses cils est abaissé. Un pas après l'autre, son corps s'articule en toute simplicité malgré son état de somnolence - voilà pas loin d'une dizaine d'heures que Chanel traverse routes et sentiers sans aucun destrier en direction du prochain village qui voudrait bien lui offrir ses secrets. Son torse, strié par l'anse en daim de son sac, n'est soulevé que par une respiration tranquille et sereine, à l'instar de sa démarche tandis qu'inconsciemment, son corps le guide au travers de chemins bien plus sinueux. Les bras lumineux disparaissent peu à peu, émincés par l'épaisseur des feuillages dans les bois dans lesquels il s'engouffre. Confiant et peut-être même un peu trop, il n'a aucunement pensé à vérifier sa route au préalable. Voilà des années que celle-ci n'a pas évolué, qu'aucun arbre n'est tombé au devant et qu'une quelconque rivière s'est creusée comme par magie : à quoi bon s'en soucier !

Cependant, car il faut bien animer cette vie trop ennuyeuse aux goûts exigeants du jeune Lovecraft, il y a eu un glissement de terrain quelques jours plus tôt - impressionnant ! avaient témoigné quelques aventuriers présents au moment de la catastrophe qui n'a, fort heureusement, fait aucun blessé.
C'est arrivé à son prochain détour que son corps se souvient pourtant tranquille, il enjambe le vide (il y avait, à l'époque, une racine qui entravait sa route), s'abaisse pour rien (là aussi, il y avait une branche) et marche tout droit vers un point de chute - littéralement.

« Tout droit, sur deux miles encore, puis à droite, et puis un tout petit peu à gauche... » marmonne-t-il dans son sommeil, comme pour rappeler à ses jambes les directions à prendre. La vérité, c'est qu'il est d'un bavard que même la fatigue ne saurait le faire taire ! Et pourtant ; le désastre est proche - sans doute y aurait-il de plus belles volontés à souffler.

La quiétude de son sommeil cesse abruptement - le réveil est si soudain qu'il lui semble heurter un mur mais ce n'est qu'à une voix qu'il se cogne. Chanel soulève ses paupières difficilement, la jambe encore levée dans son entreprise et c'est médusé qu'il constate, entend, voit l'ampleur de la situation tragique dans laquelle il aurait pu s'engouffrer. « !! » Tout paniqué, le coeur en vrille et l'adrénaline qui bat dans ses tempes, il entrouvre la bouche mais ne laisse aucun son déborder dans un premier temps, muet par son état de somnolence qu'il peine à quitter au moins à demi. Le premier réflexe est digne d'un véritable dramaturge : son regard saute du rebord aux boucles brunes à ses côtés à plusieurs reprises, il bondit en arrière, se déséquilibre sur ses deux longues jambes et se rattrape, de fait, le plus fort possible à son sauveur d'infortune. « Ah ! » S'écrie-t-il avec latence. « AH ! » Plus fort encore lorsqu'il réalise qu'un pas de plus et sa nuque se brisait douloureusement quelques mètres plus bas.
Le regard grand ouvert vers l'inconnu, un rire le dépasse finalement dans un mélange de nervosité et de soulagement : « Oh ! Eh bah ! Eh bah eh bah ! C'est que c'était pas passé loin cette fois ! Fiouh et dire que j'aurais pu mourir c'était vraiment pas de bol ! » Il observe encore la limite devant eux en défaisant lentement sa poigne autour des pans de manche. « Chez mère-grand tu as dit ? Bah pourquoi j'irai chez mère-grand ? Quelle mère-grand d'ailleurs, spécifiquement ! » Les détails l'obnubilent mais il se doit de s'expliquer.

Chanel se frotte les yeux d'une main avant de tapoter le sac en bandoulière bien rempli contre sa hanche : « Non non, moi j'allais jusqu'au prochain bled tu vois, j'ai du courrier à poster ! Oh tu verras d'ailleurs, les nouvelles sont marrantes, il paraît que la petite dame à l'entrée a non pas un amant mais deux. Tu es qui toi déjà ? Je crois que j'ai jamais vu ta tête et ah ça je m'en souviendrai tu vois, j'aime bien les gens et je me souviens de toutes les têtes, tous les noms et toutes les histoires ! Salut d'ailleurs, moi c'est Chanel. » Et ravi, il tend la main dans sa direction. « Tu n'as pas la dégaine d'un messager, est-ce que tu es un aventurier solitaire ? Tu allais où comme ça, tiens ? Il n'y a visiblement qu'un ravin ici et... ah ! D'ailleurs merci de m'avoir sauvé la vie ! »

Il y a deux règles à ne surtout pas transgresser lorsque l'on fait face à Chanel.
La première : il ne faut pas le lancer sur la conversation des courriers. La seconde : il ne faut, en fait, pas lui adresser la parole d'une quelconque manière.

Anaël, pauvre victime qui s'ignore, devient le rocher de sa moule - jamais Chanel ne pourra envisager de se séparer de lui alors qu'il vient de lui offrir, sur un plateau d'argent, une clé vers moult ragots qui ne le concernent même pas. Car Anaël, en plus d'être cette sorte d'aventurier et soldat de la reine, se présente pour un partenaire idéal de discussion. Les sourires sont faciles, solaires des deux côtés et lui, ne peut s'empêcher de répondre aux sens en miroirs plus éblouissants encore. L'arbre est aussitôt oublié car mille questions fusent déjà dans sa tête - aux bords des lèvres. « Un soldat-aventurier de la reine ! Incroyable ! Mais est-ce quu'n soldat ne serait pas un aventurier de toute manière ? Oh tu me diras, tous les aventuriers ne sont pas des soldats... haha, suis-je bête. » Il fait un geste dramatique de la main, accompagné d'un soupir.
À son invitation, Chanel glisse son bras autour du sien, ne lance pas un regard au chemin détourné dans lequel il les engage toutes les eux car ces sentiers n'ont, de toute façon, plus aucun secret pour lui - il connait cette région sur le bout des doigts.

« Ok donc, » il plonge sa main libre dans sa sacoche bien remplie et en tire une lettre au hasard ; c'est tout comme un jeu finalement. L'enveloppe se présente jaunie par le temps et son facteur s'essaye à en sentir le parfum. « Ça sent l'vioc. Tu vois c'est souvent des gens qui écrivent jamais qui utilisent ces enveloppes là. » Avec une habilité suspicieuse, la tête penchée vers Anaël, il ouvre le petit emballage et en sort la lettre. La gorge éclaircie, le ton théâtral, c'est avec entrain qu'il fait la lecture : « Mes chers enfants,
J'ai ouïe dire que votre mère n'a su me présenter comme votre géniteur - balayé de sa vie, oublié, mon nom tait à jamais ; sacrilège ! Voilà : je suis votre père » il ouvre grand les yeux, choqué par cette déclaration alors qu'il n'en connait aucun protagoniste, « je suis votre père, j'ai subvenu à vos besoins dans l'ombre en pensant un jour recevoir un signe de vie de votre part. Mais voilà que j'apprends que cette dragonne - votre mère, toujours - n'a jamais mentionné mon existence auprès de vous ! » Sa moue se transforme en une fausse compassion. « Sur ce, si vous m'aimez, répondez moi à cette adresse que je ne donne plus un sou sans amour. Signé : papa ou pas papa, il faut choisir ! »

Aussitôt, Chanel se jette sur l'adresse indiquée pour en retenir les noms : une chose est sûre, il n'oubliera certainement pas cette histoire. « Ah ouais chaud... » Cela n'a pourtant pas l'air de profondément le bousculer, il dévore en fait ces histoires comme un enfant le nez plongé dans un conte de fée.