il se sent enfin l i b r e.
les rues pavées flanquées de bâtiments sombres ont été troquées pour les quatre murs du domaine de la duchesse, eux-mêmes oubliés pour du sable blanc s'étendant à l'infini
la nuit éternelle d'halloween city pour le soleil qui brille partout ailleurs.
on en vient presque à oublier le trajet pour arriver jusqu'ici.
oublier les problèmes qui l'affligent, le train de vie qui l'avait mené là-bas et son coeur malmené.
il n'y a que lui et la mer qui s'étend à perte de vue.
ou du moins, c'est ce qu'il avait espéré.

une silhouette sombre contraste avec le paysage immaculé.
ça pique sa curiosité,
c'est qu'il lui en faut peu pour être intrigué,
surtout quand on a l'habitude d'être seul, sans croiser âme qui vive à des lieues à la ronde — elles occupent plutôt les abysses.
ariel s'approche, la prudence que lui conseillerait sa conscience a été délaissée depuis longtemps, et reconnaît
dundee

n'importe qui ferait volte-face et tournerait les talons.
mais ariel s'en est toujours sorti avec tout ses membres encore présents et affectionne le crocodile malgré leur première rencontre.
si ça le fait rire aujourd'hui, il se souvient parfaitement de sa panique à l'époque.
la distance est franchie avec toute l'assurance du monde, toujours présente quand il s'incline au-dessus de lui — étalé de tout son long.

— c'est nettement plus charmant que ton marais.

sourire amusé qui lui ourle les lèvres, alors qu'il observe l'autre entité.

— sans vouloir t'offenser, bien entendu.

ah.
c'est qu'il ne fait pas bonne mine, le crocodile, avec son expression renfrognée et ses mots tout aussi maussades.
les larmes silencieuses sont avalées par le roulement des vagues, terminent leur course pour s'échouer sur le sable ivoire.
ça lui abîme le coeur, de le voir ainsi, et le sourire perd de son éclat, disparaît, alors qu'il s'agenouille près de lui.
il en cueille délicatement une du bout des doigts, avant qu'elle ne tombe au sol.

— c'est promis, dundee.

il n'avait pas l'intention de s'y rendre un jour,
mais si ça peut chasser l'orage, ne serait-ce qu'un peu, il peut bien lui en faire la promesse.
son regard quitte l'autre, s'oriente vers l'horizon et la marée inversée, laissant le silence entre eux s'étendre.
on se laisse bercer par le bruit du ressac, de l'eau qui racle les fonds marins et se heurte aux pierres qui jonchent ceux-ci, sa main ayant migrée pour se poser dans les cheveux d'ébènes du reptile.

— ça ne te ressemble pas, d'être dans cet état.

ariel se veut délicat, malgré le constat brutal.
ses mots sont à peine plus audibles que la houle.

— est-ce que tu veux en parler ?

tu n'es pas obligé, tu sais
il ne lui en voudrait pas si ce n'était pas le cas.

mes sentiments.
c'est ce qu'il avait dit, mais ariel ne retient que le nom du lapin blanc qui s'est glissé dans sa phrase.
ses doigts, qui jusque-là, lissaient distraitement ses mèches noires, s'étaient arrêtés.
sa respiration aussi, gorge soudainement nouée par une émotion qu'il exècre, jalousie qu'il s'efforce tant bien que mal d'étouffer.
de faire disparaître.
il n'a pas besoin de ses états d'âme.

— oh, dundee...

les murmures sont contrits,
incapable de réellement pouvoir être contrarié face à lui, pas quand il lui avait offert une réponse aussi vulnérable.

— je-

quoi ?
que pouvait-il bien répondre à cela, quand il y a son propre coeur qui saigne un peu plus à chaque battement.

— je suis désolé.

bien entendu qu'il est désolé d'entendre ça, personne ne mérite de voir ses sentiments bafoués.
le crocodile ne fait pas exception à la règle, encore moins quand on le connaît ne serait-ce qu'un peu.

— vous...

l'amertume se fait éclipser par la tristesse, l'inquiétude.
ariel se force à inspirer, à reprendre son manège et s'occuper les mains, tout pour se distraire.
pour faire quelque chose et retenir le mince contrôle qu'il impose à son stupide pouvoir, malédiction qui ferait vite en sorte de tout faire déraper.

— tu l'aimes, n'est-ce pas ?

la bonne humeur s'est envolée, mais ce n'est pas grave.
si ça peut aider dundee, on se forcerait à sourire jusqu'à en avoir mal aux joues et que le rictus s'imprime sur celles-ci.

les iris sombres sont fixés dans ceux plus noirs encore du crocodile.
il note la même lueur dans ceux-ci que celle qui doit briller dans les siens, et ariel hoche la tête, faiblement.
déplie ses jambes pour s'asseoir, plutôt qu'être agenouillé à ses côtés, lui fait signe de s'installer plus confortablement.
ses doigts se perdent de nouveau dans ses cheveux, chassent délicatement les grains de sable qui s'y accrochent, sans se soucier qu'ils tombent désormais sur ses vêtements.
et il inspire l'air marin, observant maintenant l'océan.

— my one heart hurt another, so only one life can't be enough,

sa voix s'élève, doucement.
la scène est différente, il n'a pas de piano sur lequel jouer sa mélodie, aucune foule à impressionner, aucuns applaudissements desquels il tire son habituelle satisfaction.
il n'a que dundee pour public, les vagues pour l'accompagner, et pourtant, il y met tout son coeur.

— there's no hope for the weary, if you let them win without a fight

dieu qu'il est fatigué.
d'aimer, de se battre et d'exister.
l'éternité ne lui est jamais apparue aussi morne.

— if one heart can mend another, only then can we begin...

dit dundee,
sais-tu à quel point je t'envie ?
à quel point je suis prêt à m'abîmer pour te faire sourire ?

— so won't you hold on a little longer ?

alors ne t'avise pas d'abandonner.

ça le ferait sourire, d'ordinaire.
de le voir s'abandonner si rapidement au sommeil,
oublier le tic tac qui l'empêche de fermer l'oeil.
mais on a plus la tête à se réjouir de ce fait, pas quand il est ravagé par un vide bien trop familier.
la solitude, au final, est sa plus grande amie, et la seule qu'il n'arrive pas à chasser, aussi désespéré soit-il.

— and don't let them get away.

ariel grimace, quand l'inflexion de sa voix tremble.
cligne des yeux.
une fois, deux fois, trois fois.
note l'humidité sur ses joues et ne peut retenir un rire étouffé.
c'est pitoyable, de pleurer pour une tragédie alors qu'il connaît chacune des notes, des lignes et des scènes.
au fond, il avait caressé l'espoir égoïste que les choses seraient différentes, même si elles avaient commencées maladroitement.
toujours trop pleines de non-dits qu'il avait ignorés, parce que c'était plus facile de se contenter de ce qu'il avait.
plutôt que de mettre des mots sur ce qu'il ressentait.
levant une main pour chasser ses larmes, il s'arrête à mi-chemin.
l'attention est accaparée par un mouvement en périphérie de sa vision, lui fait tourner la tête et son coeur se fige.
son corps entier, se fige.
ah, il est si fatigué.

— opal-

son rire le fait grincer des dents.
son expression le fait tiquer.
il n'est pas idiot, il sait pertinemment à quoi la scène ressemble.
devine la colère qui se profile à l'horizon — on en a jamais réellement fait les frais, du moins, pas jusqu'à maintenant.

— ce n'est pas ce que tu crois.

ariel baisse les yeux vers le crocodile assoupi contre lui.
inspire, puis exhale, respiration tremblante qu'il force hors de ses poumons comprimés par l'émotion.
on ne doit pas le réveiller, n'est-ce pas ?
pourtant, il n'a qu'une envie, et c'est de partir d'ici.
fuir et recoller les morceaux pour la énième fois — c'est qu'il a perdu le fil, à force, c'est une danse qu'il connaît parfaitement.
il ne pipe mot, n'esquisse pourtant aucun geste quand le lapin blanc s'est accroupit à leurs côtés.
il ne ramène ses mains vers lui que lorsque l'autre glisse l'une des siennes dans les cheveux noirs de dundee, teinte ses mèches de blanc.
complémentaires.

ses paumes trouvent ses bras, s'accrochent à ceux-ci — sent ses ongles s'enfoncer.
c'est douloureux, mais il s'en fiche.
être témoin d'autant de chagrin le ruine déjà suffisamment, les morceaux déjà bien éparpillés de son myocarde se fragilisent un peu plus encore.
les larmes silencieuses continuent leur course, s'écrasent contre ses vêtements, sans qu'elles entraînent sa tristesse dans leur sillage.

il ne l'écoute que d'une oreille,
mais suffisamment pour enregistrer ses mots.
retiens-toi.
l'amertume fait place à l'incrédulité.
l'incrédulité se transforme bien vite en colère.
il a bien conscience de son manque de contrôle, que l'attraction provoquée dérape bien souvent — n'a-t-il pas le parfait exemple à ses côtés ?
un recoin de son esprit voit parfaitement où il veut en venir, mais l'implication fait trop écho à celle du croquemitaine, lui laisse un goût amer en bouche.

— tu- tu penses vraiment que j'ai utilisé mon pouvoir sur lui ? suis-je vraiment qu'une catin qui couche avec n'importe qui à vos yeux ?

l'irritation filtre au travers de l'étau qu'il s'est lui-même imposé.
le force à remettre la bride sur celui-ci avec une violence qu'il ne se reconnaît pas.

— je ne l'ai jamais fait. pas avec lui. je n'ai jamais voulu qu'il se passe quelque chose.

ce n'est pas lui que je veux.
ce n'est pas son affection que je cherche désespérément.
s'il avait précédemment accueilli le contact de ses doigts contre les siens sans protester, ariel se dégage sèchement.
serre les dents pour retenir les sanglots qui veulent s'extirper de sa gorge.

— ce- ce n'est pas à moi qu'il faut s'excuser opal.

c'est à l'entité toujours endormie, paisible.
et pour ça aussi, il l'envie terriblement.

sa respiration se fait laborieuse.
c'est qu'il a envie de rire, ariel.
deux entités dans le même bateau, pour un immortel ridiculement aveugle et sourd.
et ça lui échappe, lui déchire la gorge, incontrôlable et sans joie. il en vient à oublier le crocodile qui dort toujours sur ses genoux, l'hilarité désabusée qui le secoue aura tôt fait de l'arracher à son sommeil pourtant bien mérité.
mais c'est relégué au second plan, comme tout le reste.

— j'y ai cru, qu'est-ce que je suis stupide.

la première fois, il s'était dit que ce n'était qu'un accident.
de la pitié aussi, quand ses maigres chances de retrouver sa vie d'avant, de retrouver ariel, s'étaient officiellement envolées.
il ne se souvient que trop bien de cette nuit-là.
puis de la seconde, et toutes les autres.
à nourrir l'espoir, alors qu'il n'y avait
r i e n

— je suis terrifié à l'idée d'être seul, et tu es toujours revenu. toujours.

son sourire anxieux trouve écho dans le rictus grimaçant qui lui ourle les lèvres.

— bien entendu, que j'espérais, mais j'étais aussi ravi de me contenter de ce que tu avais à m'offrir, peu importe ce que cela pouvait être.

des marques qui fleurissaient sur sa peau aux baisers échangés,
tout avait toujours été précieusement conservé, chérit.
désormais, ils s'apparentent plutôt à une boîte de pandore qu'il n'a plus jamais envie d'ouvrir.

— mais bon, qu'est-ce que ça change, au final ? absolument rien.

sa voix se fait plus grave, lacée de la même colère sourde qui vibre sous sa peau.
sous ses doigts, s'étend un vermillon qui tâche ses vêtements.
et ses iris, quand ils s'ancrent dans ceux d'opal, sont tout aussi rouges.

— je l'envie. je l'envie tellement que ça me crève le coeur.

parce que malgré tout, ariel est horrifié à la perspective de le perdre.
ça le consume de l'intérieur et il se déteste, de se sentir ainsi.