rouge rouge rouge
rien n’échappe à la colère qui le consume de l’intérieur, et il ne fait aucun effort pour l’arrêter.
chaque fois qu’il ferme les yeux, il est  confronté à la même scène, comme si elle s’était imprimée sur ses paupières.
l’un et l’autre, ensemble, et lui, forcé de rester derrière, délaissé avec son coeur en mille miettes.
pour la première fois depuis longtemps, il se permet de haïr.
opal.
dundee.
son amour, pour le premier.
son attachement, pour le second.
et surtout, lui-même, trop stupide pour apprendre de ses erreurs, à toujours recommencer dans l’espoir, qu’un jour, ce soit réellement réciproque.
le temps n’a fait qu’amplifier l’illusion dans laquelle il se berçait naïvement, et il s’en mordait aujourd’hui les doigts.

l’esprit ailleurs, ariel ne remarque pas tout de suite qu’il n’est pas seul, relève la tête quand on l’interpelle, la fureur au fond de ses iris promettant un triste sort à la pauvre âme qui venait de croiser son chemin.
ne peuvent-ils pas comprendre qu’il ne désire qu’une chose, c’est d’enfin être s e u l ?
son irritation s’intensifie à chacun de ses pas, atteint son paroxysme quand le nouveau venu trébuche, manque de les faire tomber tous les deux.
ses propres mains se sont agrippées à lui, laissent derrière elles des empreintes écarlates sur ses vêtements quand il s’empresse de reculer, sourcils froncés et une expression outragée flottant sur son visage.
mais lui, il sourit.
trop large, trop serein, trop heureux.
ça l’énerve, lui fait ouvrir la bouche pour exprimer le fond de sa pensée et-
ça va ?
ses mots restent coincés dans sa gorge.
non.
non, ça ne va pas.

— oui.

le ton est sec et son agitation réprimée.
il ne mérite pas son emportement, si bien qu’ariel s’efforce tant bien que mal de reprendre contenance, étouffe le brasier en portant plutôt son attention vers le jeune homme plutôt que le fiasco qu’est son existence.
remarque l’état de ses vêtements, et l’aspect de ceux-ci.
familiers et pas tout à fait adaptés à wonderland.
ah.

— perdu ?

ou alors personne n’est venu le chercher.
et il ne sait pas quelle option est la plus désespérante.

il l’écoute silencieusement, pas réellement surpris de voir sa supposition confirmée.
c’était souvent le cas des nouveaux arrivants, mais qu’il n’ait aucune idée de l’endroit où il se trouve est… étrange.
à l’observer, ariel note son regard qui tombe sur les traces que ses paumes ont laissées sur ses vêtements, la surprise qui lui fait écarquiller les yeux et il frotte nerveusement ses mains l’une contre l’autre.
par chance, elles allaient s’estomper rapidement, à l’image des arbres qui reprennent peu à peu leur couleur d’origine, un émeraude vibrant qui contraste avec les éclaboussures écarlates qui maculent encore une trop grande partie des alentours.

son débit de parole lui fait hausser un sourcil, alors que l’ébauche d’un sourire se taille une place sur ses lèvres, adoucit la dureté de ses traits dans une mine plus détendue.
il aimerait nager en plein délire, que la douleur soit factice et seulement dans sa tête, mais elle est bien nichée au creux de sa poitrine.
trop présente, trop vive, trop trop-
sauf qu’il est bien forcé d’admettre qu’un alice perdu est une excellente distraction, chasserait temporairement la peine et lui offrirait un bref répit.

levant une main, il claque doucement des doigts pour récupérer l’attention de l’inconnu qui s’éparpille dans toutes les directions à chacun de ses mots.
sa nervosité est palpable et parfaitement compréhensible, vu la situation dans laquelle il se trouve.
si ariel ne se souvient pas tout à fait de son arrivée, il ose présumer qu’il devait être dans un état semblable. sauf qu’on ne l’avait pas laissé seul, à errer dans nulle-part.
et ça, c’est un problème.

— respire.

c’est intimé, presque ordonné, mais il n’y a plus aucune trace du ton tranchant précédemment employé.
il s’efforce d’arborer une expression qu’il espère réconfortante, sans réminiscence de la colère qui frémit malgré tout sous sa peau.

— pour répondre à ta question, oui.

faux.
certains comptent des siècles d’errance, à arpenter wonderland, mais il préfère tenir sa langue concernant le temps et ses caprices.
il semble déjà suffisamment perdu comme cela.

— on entre tous par la porte d’entrée. l’arche en pierre, plus précisément. et nous sommes dans la forêt d’hollywood.

ah.
si tout cela lui semble pourtant bien évident, à lui, ce n'est définitivement pas le cas pour l'alice.
ça le fait grimacer, parfaitement conscient qu'il doit avoir l'air d'un illuminé perdu en pleine forêt, en train de raconter n'importe quoi.
ce monde dénué de sens ne l'a jamais autant agacé qu'à cet instant précis.
et son manque de souvenirs, est une malédiction dont il ne se souvient que trop bien désormais. hollywood, pas celui-ci, mais celui-là, lui rappelle vaguement quelque chose, sans qu'il n'arrive à mettre le doigt dessus.
n'arriverait plus jamais à le faire.
puis il parle d'une soirée, de ses amis.
une mort un peu idiote, visiblement.
covid ?

— ok, ok, stop.

ariel porte une main à son visage, frotte l'une de ses tempes, avant qu'elle ne se perde dans ses cheveux.
ça allait être plus compliqué que prévu.

— j'aimerais vraiment pouvoir expliquer les choses simplement, mais ce n'est pas mon boulot et tu es le premier à qui je dois le faire-

où est le lapin blanc quand on a besoin de lui ?
ah oui, en train de filer le parfait bonheur avec dundee.
ça le fait grincer des dents, irritation qui s'agite rien qu'à penser à eux.
oublie ça, oublie-les, concentre toi.

— nous sommes à wonderland. c'est ça, le monde dans lequel on se trouve.

pour le meilleur et pour le pire.
surtout le pire.

sa mine déconfite atteint de nouveaux sommets.
il ne le croit pas.
bien entendu, qu’il ne croit pas à un seul mot de ce qu’il venait de dire, et il ne peut pas réellement le blâmer.
ça ne l’empêche toutefois pas d’avoir envie de le secouer, jusqu’à ce que l’information soit comprise, que tout cela était malheureusement bien réel et qu’il était coincé ici jusqu’à ce qu’il trouve sa stupide porte de sortie.
mais ariel ne dit rien.
se contente de souffler d’agacement, avant de potentiellement commettre l’irréparable — rouge est un peu trop enthousiaste à l’idée et ça ne l’enchante absolument pas.

toi aussi t’es défoncé, mec
il ne trouve pas la force de réfuter ses propos, hausse les épaules plus par dépit qu’autre chose.
c’est qu’il en est au stade de tourner les talons et de le laisser à ses pérégrinations, plus tout à fait d’humeur à lui donner un coup de main.
se morfondre semble être une option plus agréable, finalement.
mais ça, c’était avant de le voir attraper et gober un papillon qui passait par là. comme si la faune étrange de wonderland ne semblait pas plus l’affecter que cela.
et pour couronner le tout, il lui tend la moitié du cadavre comme si c’était la chose normale à faire.
là, il est bien prêt à s’avouer être en train de nager en plein délire, à l’observer aussi ébahi qu’horrifié.

— est-ce que tu- non en fait, je ne veux pas réponse à cette question.

vu l’aisance avec laquelle il s’est exécuté, il n’a pas à se questionner concernant son alimentation des trois derniers jours.

— je te remercie pour la proposition, mais je vais décliner.

ariel s’efforce de sourire, histoire de masquer son dégoût — ce n’est pas après quinze ans qu’il se risquerait à manger un insecte volant, même si celui-ci s’apparentait plus à la biscotte beurrée qu’au papillon.
il hésite une seconde, à se mordre l’intérieur de la joue, avant de soupirer.
il ne peut pas laisser un alice errer comme ça, il n’est pas assez cruel pour l’abandonner à son propre sort, malgré l’irritation occasionnée.
parfois, il maudit sa conscience, préférait presque n’avoir aucun scrupules et le planter là sans que ses états d’âmes s’emballent.

— il y a une auberge, dans la forêt, désigne vaguement la direction à prendre d’un mouvement de la main, et tu sembles en avoir besoin.

pique à peine dissimulée quant à l’état de ses vêtements.

— si tu acceptes de suivre le mec en plein délire, bien entendu.

une pieuvre-citrouille.
c'est qu'il en sourit, ariel, de l'imaginer courser la pauvre créature à huit tentacules.
puis, ce n'est pas comme si celle-ci allait se laisser attraper aussi docilement et facilement que les papillons.
mais bon, il suppose qu'il ne doit peut-être pas sous-estimer un homme affamé dont le premier réflexe est de se mettre le premier truc qui vole sous la dent plutôt que de se hasarder à goûter la flore qui non seulement, ne bouge pas, mais semble déjà plus appétissante.
à chacun ses goûts, n'est-ce pas ?

le désarroi qui se lit sur son visage a finalement raison de ses réserves, lui arrache un rire qui efface les derniers vestiges de son irritation.
ça aussi, ça ne le surprend pas vraiment, la forêt d'hollywood s'étend à des lieues à la ronde, et sans un minimum de repères, c'est ridiculement aisé de s'y perdre.

— à continuer par-là, tu aurais débouché sur le lagon.

ce qui aurait occasionné une scène fort gênante, si elle s'était produite un peu plus tôt.
ariel ne peut que remercier le hasard d'avoir bien fait les choses, pour une fois, pas spécialement enclin à avoir un spectateur assister à l'un de ses énièmes déboires amoureux.

— puis, ne te fustiges pas trop avec cela, la forêt est immense, c'est normal de ne pas s'y retrouver dès le début.

au moins, tu es tombé sur quelqu'un, qu'il ne dit pas à voix haute.
l'alice, sasha, ne semble pas trop se formaliser de devoir faire confiance à un parfait inconnu pour s'y retrouver, ce qui l'arrange — puisqu'il n'a pas vraiment envie de le laisser à ses propres moyens, et qui, d'un autre côté, l'inquiète un peu trop.
à faire confiance trop facilement aux gens, on risque vite de s'empêtrer dans des ennuis et dieu sait à quel point ce monde sans dessus dessous en regorge.

— ariel.

on pourrait y aller, après ?
non, aurait été sa réponse instinctive — la douleur est trop vive, et il ne veut pas prendre le risque de les recroiser, mais ariel reste interdit.
trop préoccupé par le on qu'il avait employé.
ça ne devrait pas le rendre si stupidement heureux, et pourtant, ça allège sensiblement son humeur-
il chasse ces pensées, préférant ne pas s'y confronter tout de suite.
ou même un jour.
allait-il réellement le recroiser, après cette escapade en forêt où il s'improvise bon samaritain?
wonderland est grand, avec des personnes bien plus intéressantes et hautes en couleur que lui, il finirait bien par se lasser.
lui aussi.

le fil de ses réflexions moroses est interrompu à la mention de son nom.
de son entité.
ses doigts se posent instinctivement sur sa hanche, et force est de constater que sa chemise n'est pas relevée, que ses écailles ne sont pas visibles.
ça le laisse pantois, incapable de faire autre chose qu'acquiescer silencieusement, à chercher à comprendre comment il avait pu le deviner.
alors ariel préfère fuir, figurativement parlant, entame finalement le fameux périple qui doit les mener à l'auberge.
c'est qu'une petite voix lui souffle un scénario plus improbable que le précédent à chacun de ses pas.
les joies d'une paranoïa naissante.

le silence ne dure pas, et vu sa question, il aurait grandement préféré que ce soit le cas.
elle le fait presque s'arrêter, trébucher sur une racine qu’il n’avait pas remarquée, mais il continue sans piper mots, un air pensif au visage.
comment lui expliquer sans le brusquer ?
difficile d'amener le fait que la vie de quelqu'un ne tient qu'à un fil sans paraître plus fou qu'il ne devait l'être.

— c'est... compliqué.

à peine.

— considère que ce monde est un entre-deux, entre la vie et... la mort, je suppose ?

à peine ont-ils franchit ses lèvres que la gravité de ses mots l'atteint, le fait se retourner vers lui avec précipitation.

— pas que tu sois mort ! c'est- ah, compliqué. je sais que cela peut paraître gros, et complètement illogique, j'aimerais vraiment dire que tout ce que je raconte n'est qu'une blague-

ah, c'est lui qui est nerveux, maintenant.
respire, ariel.

— fait comme si les trois derniers jours n'existaient pas, concentre toi sur... avant ? de quoi te souviens-tu ? tu parlais d'une soirée, non ?

ariel ne peut qu'observer son expression se décomposer.
et il regrette, oh, comme il regrette en avoir parlé.
il ne se souvient de sa mort que parce qu'il l'avait écrit, quand sa mémoire ne lui faisait pas cruellement défaut, et la moitié des mots couchés sur le papier ne font plus de sens à ses yeux.
ça ne l'empêche toutefois pas de faire preuve d'empathie envers sasha,
il avance d'un pas, vers lui, avant de se raviser — il n'a pas envie de l'accabler plus encore, pas quand il semble enfin comprendre la gravité de la situation.

— pas mort. simplement dans un entre-deux.

qu'il lui rappelle, doucement.
sa détresse lui serre le coeur, et égoïstement, il se dit qu'il préférait largement le voir sourire.
ou même nerveusement déblatérer tout ce qui lui passe par la tête.
n'importe quoi, mais pas un regard vitreux et une mine aussi hagarde.
toi aussi, t'es mort ?
ça le fait sourire, ariel, risette triste qui n'atteint pas ses yeux.

— pour moi, c'est réellement terminé. wonderland est mon présent et mon futur.

quinze ans, c'est court, quand on a encore toute une éternité devant soit.

— c'est possible de rentrer chez toi. tu pourrais repartir, si tu trouvais...

c'est à son tour de froncer les sourcils, un instant.
comment expliquer qu'une pièce importante de leur vie leur est arrachée, et que la seule façon de quitter cet étrange purgatoire est de se remémorer celle-ci ?
lui-même ne l'a jamais trouvée, forcé de rester coincé ici jusqu'à ce qu'il soit cueillit par la mort, définitive, cette fois.

— en arrivant ici, tu as perdu quelque chose. ta seule porte de sortie, c'est de le retrouver.

il aimerait être moins cryptique.
mais s'il avait une réponse claire à cette interrogation, il ne serait plus ici depuis longtemps.