il avait fini par s'éclipser.
plaidant pour sa cause et son envie de liberté, de voir autre chose que les murs du domaine.
la tranquillité est agréable, pendant quelque temps, mais avait fini par l'aliéner.
c'est qu'il est parfaitement conscient qu'il est là pour être protégé, à l'abri, qu'il ne devrait pas jouer avec le feu aussi impulsivement.
mais ariel a soif de découvrir, n'importe quoi pour apaiser l'énergie qui l'empêche de rester immobile, coincé dans l'un de ces moments où tout semble trop lent, où le besoin viscéral d'exister l'agite.
il avait promis de ne pas être irréfléchi, pas après la dernière fois — quand un jour s'est transformé en une semaine.
non, cette fois-ci, c'est crims qui avait capturé son attention.

si la capitale du royaume de coeur, malgré ses quelques rares escapades, restait majoritairement inconnue, le brouhaha qui y règne est familier.
pas si différent de neverland ou d'halloween city, seul le décor diffère.
et ça le conforte dans son entreprise, de retrouver cette même animation, de s'y abandonner de nouveau.
sa curiosité le fait fouiner, déambuler dans la foule, observer les enseignes, bifurquer à gauche puis à droite sans se soucier de se perdre.
ce genre de soucis appartient à son futur lui, il n'y a que le présent qui compte.

et il passe rapidement devant lui, un bref coup d'oeil lancé à sa gauche, le fait s'arrêter quelques mètres plus loin.
c'est que les mendiants n'ont pas une telle qualité de vêtements sur le dos, ou d'alcool aussi familier en main.
immobile, dérangeant le flot de passants, ariel pèse le pour et le contre, la raison rapidement mise de côté sans être totalement ignorée — on reste prêt à fuir s'il le faut, alors qu'il rebrousse chemin.
s'appuie contre le mur, à détailler la silhouette silencieusement.

— vous pouvez dire non, ou m'envoyer balader, il ne pourrait pas lui en tenir rigueur, il n'est qu'un étranger après tout, mais vous semblez manquer cruellement de compagnie.

pointe la bouteille du doigt, mince sourire aux lèvres.

— et celle-ci n'est pas très loquace.

il ne savait pas à quoi s'attendre, en abordant l'inconnu.
un refus, peut-être ? plus que probable.
pourtant, c'est un sourire railleur qui accueille ses mots, lui fait incliner la tête, sourcil arqué.
il l'écoute silencieusement, esquisse un sourire à l'idée des bouteilles parlantes — loin de lui l'idée de le remettre en question, ce ne serait pas la première bizarrerie rencontrée.
après tout, wonderland est plein de surprises, bonnes et mauvaises.

lorsqu'il se redresse, bien plus grand et large d'épaules que lui, il reste étrangement détendu, toujours immobile.
le palpitant pulse toutefois plus rapidement, seul muscle conscient du danger qu'il encourt, qu'il ignore délibérément.
il doit toutefois lever le menton, pour continuer de le regarder dans les yeux — alterne entre ceux-ci et le verre entre ses doigts, maintenant à hauteur du visage.
parle maintenant d'un rongeur dérangé, éclatant ensuite de rire.
mais ariel se fige, effrayé pour la première fois depuis le début de l'échange, le fixe d'un air inquisiteur.
drôle de coïncidence, quand il ne porte plus vraiment dans son coeur un certain lapin blanc.

— je vois que les lapins ont la cote, même chez les objets inanimés.

on aimerait se prétendre léger, mais sa remarque est amère, vibre de colère.
il ne pensait pas droit à ce genre de propos, de ceux qui ravivent la rancoeur qu'il peine à étouffer, prévoyant plutôt les habituels bavardages d'ivrognes.

— elles semblent être d'agréable conversation, vos bouteilles.

elles en ont d'autres, des idées aussi charmantes ?

fanfaronne, ariel, masque la peur derrière une apparente nonchalance.
les iris rubis quittent ceux de l'inconnu, attirés par les doigts toujours refermés sur la bouteille, observent les griffes qui cliquètent sur le verre.
l'attention précédemment trop accaparée par sa colère ne s'était pas attardée sur les habitants de crims, et finalement, finalement, les murmures des passants lui parviennent aux oreilles.
bandersnatch
ses sourcils disparaissent sous sa frange, les yeux comiquement écarquillés, à fixer le whisky qui lui est tendu.
secondes qui s'égrènent, avant qu'il ne l'observe de nouveau, toutes traces de surprises disparues.

— ai-je réellement le choix ?

ton indiquant son abdication, n'effleurant même pas l'idée de ne pas répondre à son interrogation.
on est pas idiot, reconnaît la demande impérieuse, aussi aimable soit-elle.

— mon histoire est probablement moins intéressante que la vôtre, l'éternité a de quoi rendre la vie des réincarnations... unique, vous m'en voyez navré d'avance.

s'efforçant de sourire, rictus sans joie qui fend son visage en deux, son regard dévie vers les quelques curieux qui contemplent silencieusement la scène.
ça lui fait grincer des dents, puis se concentrer pour les faire décamper, notant avec satisfaction que la foule s'éloigne inconsciemment.
il espère seulement que le bandersnatch n'en a pas fait les frais, loin de lui l'idée de le contrarier.
soulagement presque palpable de le savoir encore présent.
inspire.

— j'ai seulement été trop stupide, à espérer pour quelque chose qui n'allait jamais arriver. après tout, il avait déjà quelqu'un d'autre. quelqu'un qui le... complimentait, complétait, mieux que moi.

hausse les épaules, ariel.

— mais les histoires de coeur ne doivent pas vous intéresser.

au contraire.
oh, il avait secrètement espéré que ce ne serait pas le cas, incertain face à la perspective d'échanger avec le réputé bandersnatch — ce n'est pas tous les jours que l'on se retrouve face à face avec l'un des sbires de la reine de coeur.
même si, selon les rumeurs, son allégeance envers celle-ci est pour ainsi dire, inexistante.
mais les histoires des réincarnations sont compliquées, et s'il est toujours ici, c'est qu'il y a une raison qui échappe à son contrôle.

— ariel.

l'observe s'asseoir, et cette fois-ci, quand la bouteille est tendue, il l'attrape entre ses doigts — évite soigneusement les griffes du bandersnatch, peu désireux de vérifier l'exactitude des dires concernant le poison dont elles sont enduites.
ariel hésite une seconde, avant de l'imiter, sans tenir compte de la crasse et la poussière qui s'accrocherait inévitablement à ses vêtements.
et ses mots le font rire, nerveusement au début, avant qu'il ne doive porter sa paume libre à son visage pour la poser sur sa bouche pour filtrer l'incrédulité qui s'y est mêlée.
drôle de hasard, que d'avoir la même personne en tête, à déverser leur colère respective à un parfait inconnu.
il s'est tapé le crocodile et le lapin n'avait pas apprécié.
le lapin s'est tapé la sirène un peu trop crédule, et pourtant, dundee ne lui avait rien dit, sur la plage.
ni une remarque acide, de s'être immiscé sans le savoir dans... ce qu'ils avaient, ni même un regard.
mais opal... ah, opal.
quel hypocrite

— oh, que je hurle son nom ne lui pose pas soucis, prêt à me damner pour lui, mais quand dundee voit ailleurs...

ricane, ariel, se fiche des détails qu'un étranger ne devrait pas savoir.
mais au vu de la charmante soirée qui se profile à l'horizon, il a la vague impression que sa langue allait se délier — le whisky aidant, brûlure et goût familier qui lui arrache malgré tout une légère grimace.
il est trop sobre pour toute cette histoire, et si finir ivre en pleine rue de crims n'était pas dans ses plans à l'origine, ça lui importait peu désormais.

— à qui ai-je l'honneur, histoire que je ne vous réfère pas éternellement par votre rôle ?

sourire qui se fige.
il est en colère, ariel, a envie de brûler le monde entier, communiquer la douleur qui l'habite de la pire façon qui soit.
mais
mais
malgré toute sa rancoeur, il n'a pas envie de s'en prendre à opal.
ou qu'on s'en prenne à lui.
ou dundee.
sentiments conflictuels qui le font froncer les sourcils — il n'est toutefois pas suffisamment stupide pour protester à voix haute en présence du bandersnatch.
n'émets aucun son, d'ailleurs, quand celui-ci récupère sa bouteille.
balthazar.

balthazar qui se fait fort indiscret, lui arrache un autre rire.
en sont-ils vraiment là ? à discuter du lapin blanc et ses prouesses au lit ?
vraiment, cette soirée ne cesse de le surprendre.

— c'est son amour que je voulais, coucher avec lui était seulement la façon la plus facile de me bercer d'illusions.

s'appuie contre le mur, lève les yeux vers le ciel qui s'était assombrit.

— mais pour répondre à la question, sans mièvreries, je semble avoir eu droit à de meilleures expériences que la vôtre.

amusement qui flotte dans ses iris, rictus trop large qui fend son visage en deux.
il n'est peut-être pas prude, ou timide, mais certains détails relevaient du privé, ne méritaient pas d'être évoqués dans les rues de la capitale.
la familiarité de son lit, les marques laissées sur sa peau alors que lui n'en portait aucune, sa voix, sa présence.
tout lui manque, vide qu'il n'arrive pas à combler, qu'il n'a pas cherché à combler.
pas tout de suite, pas quand ses mots insidieux continuent de flotter dans son esprit.

— et vous, pourquoi tant de colère, pour que votre bouteille susurre qu'elle n'a qu'un souhait, paupières qui se referment, celui de l'égorger ?

la curiosité est un vilain défaut, et pourtant, il ne peut s'empêcher de poser la question, de vouloir connaître les raisons de sa fureur.
les histoires des immortels sont bien plus intéressantes, après tout.

laisse le silence s'étendre une seconde, avant d'ouvrir un oeil.
le regard du bandersnatch se fait tout sauf rassurant, à l'image du sourire qui lui étire les lèvres.
ongles qui crissent contre le verre — son discordant dans la ruelle, pas étouffé par les bruits des passants.
dit qu'ils lui ont été arrachés, de même que ses dents et sa langue.
corps brisé sous les coups du lapin blanc, par pure jalousie.
la chaleur octroyée par l'alcool n'arrive pas à chasser le froid qui se propage dans ses veines.
on le savait excessif, opal, mais pas à ce point.
répulsion qui le fige sur place.

balthazar évoque le crocodile, son manque de réactivité.
il ne sait pas à quoi il doit son salut, ariel.
ce n'est pas comme s'il avait dit quoi que ce soit, à la plage, concernant l'endroit où il résidait, à des lieues d'halloween city, désormais.
mais une partie de lui ne peut s'empêcher de songer à leur amitié abîmée.
jalousie qui le consume de l'intérieur.
l'autre est horrifiée de l'étendue des dégâts provoqués par opal.
en colère, aussi, de constater qu'il ne peut s'empêcher de détruire les autres.
rouge qui perle au bout de ses doigts, tâches sur le tissu sombre de son pantalon.
s'efforce d'inspirer, pour calmer l'irritation qui suinte de chacun de ses pores de peau, rictus dénué de sincérité flottant sur son visage.

— je ne sais pas pourquoi je suis encore en vie, pourquoi on ne m'a pas taillé en pièces.

glisse une main dans ses cheveux, ariel, alors qu'un bref éclat de rire lui échappe.

— je me surprends à rêver à la mort, voyez-vous ? que la douleur s'arrête enfin. mais je suis trop lâche pour cela.

ses yeux tombent vers ses paumes, maintenant posées sur ses jambes.

— je suis désolé, que vous soyez mêlé à cette histoire.

qu'ils soient mêlés à cette histoire, tout cela, parce que deux personnes n'avaient pas été aptes à communiquer clairement.

observe la bouteille qui lui est de nouveau proposée — l'alcool pulse doucement dans ses veines, mais pas suffisamment présent pour chasser la morosité.
fini par l'attraper de nouveau, ariel, ne grimace plus à la brûlure du whisky quand il la porte à ses lèvres.
c'est moi qui suis désolé
il l'a pas l'occasion de rétorquer, à peine le réflexe de tourner la tête vers lui que ses doigts se posent sur son menton.
regard bleu qui se plante dans le rouge.
y trouve une douleur semblable.

— me barrer ? je n'ai nulle part où aller.

c'est chez la duchesse qu'il vit maintenant.
on ne sait pas pour combien de temps.
pas tant que cette stupide histoire ne se calme, qu'il se fasse oublier.
crève de mal et d'ennui, c'est bien pour cela qu'il est ici.
voulait chasser ses problèmes et tromper l'agonie, mais en parle plutôt à coeur ouvert avec le bandersnatch.
esquisse un mince sourire ariel, sourcil arqué.

— dois-je vous fuir, vous aussi ?

il connaît les horribles histoires qui entourent les immortels.
pourtant, malgré tout ce qu'on raconte, il n'a pas eu droit au monstre dépeint par celles-ci.
juste une autre âme abîmée, aussi ridiculement humaine que lui.