Bienheureux devait être le naïf qui croyait encore que tout changeait avec le temps ; il ne devait pas connaître cette routine assassine qui nous brûlait à petit feu. Nous, les misérables dont les mêmes vingt-quatre heures s’écoulaient à l’identique, jour après jour, numéro après numéro. Aujourd’hui ressemblait à hier comme la veille ressemblera au lendemain.

Des années s’étaient écoulées depuis l’arrivée de cette petite fille dans ce cirque aux faux sourires. Mais à part passer d’une hauteur de trois pommes à celle d’une jeune adulte, rien n’avait changé. Rien.

Le spectacle s’écoulait sous les yeux admiratifs des spectateurs. Tic Tac. Applaudissements et tomber du rideau. Tic Tac. Repos des artistes. Tic Tac. Rires, débarbouillage de surplus de maquillage et bouteilles à la main. Tic Tac. Tous festoyaient sauf une. Tic Tac. Tous dormaient sauf une. Tic Tac. Une personne qui n’avait pas le même traitement que tous. Cette personne s’appelait Wynona.

Comme après chaque représentation, l’ensemble des artistes se précipitaient vers les loges pour s’occuper de leurs petites affaires. Comme chaque jour, l’on oubliait d’apporter à manger et un peu d’eau au pied de la cage. Comme toujours, les pas de Myst l'emmenèrent en face de cette pauvre amie en cage.

- J’ai quelques fruits et un peu d’eau pour toi.

Le noiraud chercha attentivement du regard la belle fleur qui, sans doute, se cachait dans la pénombre. Cette petite fille craintive que tout le monde nommait monstre… Il regarda une dernière fois autour de lui, s’assurant qu’aucune présence indésirable ne se manifestait. D’une poche, il tira une clef volée et délicatement il vint ouvrir cette cage rouillée.

- Nous sommes seuls, tu peux sortir Wynona.

La porte décorée de barreaux s’ouvrit dans un grincement désagréable et audible. Cependant, les autres artistes étaient bien trop occupés par leurs affaires et leur élans quotidien de fêtes pour remarquer quoi que ce soit. Myst ne se donnait même plus la peine de vérifier, avec le temps.

Après chaque représentation, Myst ouvrait la cage du monstre plusieurs minutes, peut-être même une heure pour qu’elle puisse manger et se dégourdir les jambes. Il lui prenait parfois l’envie de lui raconter des histoires ou de décrire des paysages de dehors… De ce monde hors du chapiteau…

L’acrobate n’avait nullement le droit de faire tout ça, mais bien entendu, c’était plus fort que lui. S’étant attaché depuis bien trop longtemps à cette petite « sœur », la voir dans cette cage ne cessait de lui briser le cœur.

Par choix il jouait sous le chapiteau, ce ne fut pas son cas à elle.

Comme toujours et ce malgré les visites quotidiennes du jeune homme, Wynona restait aussi méfiante et apeurée qu’un petit animal sauvage. Rien d’étonnant au vue de la maltraitance qu’elle essuyait chaque jour.

Attendant patiemment devant la cage, Myst laissa échapper un léger soupire de soulagement en voyant la demoiselle colorée s’extirper de sa prison pour se substenter du peu qu’il avait pu apporter. Silencieux, il l’observait sans un mot s’éloigner un peu plus loin, cachant des pleurs sous un masque d’invisibilité.

Myst marcha jusqu’à son niveau, s’asseyant dans l’herbe à une distance raisonnable pour ne pas la déranger. Il ne fit aucune remarque quant à l’apparence singulière qu’arborait Wynona, se contentant de lever les yeux vers le ciel infini et étoilé. Il la laissait pleurer, vider les vannes comme on dirait, sans faire un seul geste réconfortant. Il témoignait simplement de sa présence, de son oreille attentive et d’une épaule si nécessaire.

- En toute honnêteté, je n’en sais rien. Que la pitié soit le moteur de mes actions ou non, voir quelqu’un enfermé n’a jamais rien eu de plaisant à mes yeux.

Durant un instant, ses iris s’égarèrent au loin, imaginant le monde au-delà des murs de Partout, au delà d’Ailleurs qu’il ne connaissait désormais que trop bien. Courir, fuir paraissaient si simple… Mais il y avait toujours ces chaînes invisibles et ce boulet au pied. Encore aujourd’hui, il n’écoutait point ses envies et se laissait volontairement enchainé à ce cirque de malheur.

- Jamais assez ? Je dirais plutôt que tu en fais toujours trop… avoua-t-il, posant son attention à nouveau sur Wynona. La scène du cirque ne correspond pas à ton univers et ce ne sera jamais le cas.

Meilleure écoute que bon conseiller, comme toujours. Myst se gratta l’arrière du crâne, se demandant s’il ne venait pas de sortir une énormité.

- Quand on en a gros sur le cœur comme toi, il vaut mieux que ces excès d’émotions négatives ressortent. Alors… N’hésite pas à cracher ton venin. Ce n’est pas moi qui irait te faire la morale.

Des conseils que lui-même n’appliquait jamais, que c’était ballot.

Myst n’était pas le meilleur des conseillers ni la personne la plus délicate de Wonderland, mais il pouvait imaginer et comprendre, ne serait-ce qu’un peu, le mal qui rongeait la jeune caméléon. Même si elle se cachait, même si elle se rendait invisible, il distinguait nettement les sanglots de sa collègue. Quel monde bien cruel pour certain.e.s et bien trop opportun pour d’autres.

La panthère grinça des dents. L’injustice était l’un des pires fléaux.

Ne chuchotant pas un mot, ne bougeant pas d’un pouce, mais la suivant du regard, il porta sa pleine attention sur Wynona et sa rage étouffée. Triste. Très triste, mais pourtant bien plus vivante qu’à l’accoutumé. Elle s'époumona discrètement, personne d’autre ne pouvait entendre cet appel à l’aide.

Puis vint le silence après que leurs pupilles se soient croisées, rare fois durant lequel elle désignait le regarder. Myst ferma les yeux un instant avant de se lever à son tour, il s’approche d’un pas, son expression n’avait pas changée, sauf peut-être l’éclat dans ses iris.

Comment rester indifférent à cette situation.

- Si tu souhaites t’en aller, alors je t’aiderai.

Il n’avait rien à gagner, si ce n’était un brin de vent d’indépendance. Se résignant à rester sous le chapiteau, se privant d’un départ couvert d’une raison incompréhensible, Myst voulait au moins que celles et ceux qui clamaient haut et fort leur liberté puissent encore le faire rêver. Espérer.

Il tendit sa main pour sécher une larme, bien que conscient qu’elle n’appréciait guère ce genre de proximité. Il lui redonna de l’espace.

- Je préfère ne plus jamais te revoir que continuer de t’observer dans cet état. Si tu as pris ta décision, je t’aiderai.

La panthère tourna les talons vers le chapiteau.

- Il faudra se faire discret, mais tu auras besoin de nourriture et d’eau potable. La nature n’est pas toujours clémente à Wonderland… Prends quelques affaires si nécessaire, je t’emmènerai à l’entrée du bois d’Hollywood.

Il jeta un regard par dessus son épaule.

- Si bien sûr tu aspires toujours à briser tes chaînes.

Ces chaînes métaphoriques qu’il pouvait nettement apercevoir, agrippées aux poignets et aux mollets de Wynona, tels de vicieux serpents. Il les remarquait tant qu’il en oubliait les siennes.

Clément. L’esprit de Myst n’était pas teinté de mauvaises pensées, mais méritait-il un tel compliment pour autant ? Il resta silencieux à ces mots, laissant son esprit vagabonder durant un cours instant dans un monde de « Si » et « Peut-être ».

La panthère sourit avec douceur face à la confidence de Wynona. Elle était courageuse. Très courageuse. Sauter le pas vers l’inconnu sans garantie d’un monde meilleur, c’était tentant… Mais pas donné à tout le monde.

Il serra la main invisible. Nul temps de jouer le sentimental, il allait devoir agir intelligemment et vite. Il se mit en marche, parlant bas.

- Je m’excuse sincèrement, mais il faudra d’abord passer par la cage. On ira dans la cuisine après...

Quel horrible endroit. Il aurait préféré s’y rendre seul que d’être suivi par Wynona… Cependant, il ne fallait courir aucun risque et élever le moins de soupçons possibles chez ses collègues. Myst vérifia les alentours de la petite prison avant de sortir de nouveau les clefs. Il ferma la porte, la verrouillant à double tour - cette fois, sans remords et sans garder captif qui que ce fut.

Tenant toujours fermement cette petite main, il se dirigea vers la cuisine en bazar comme convenu. Puis il lâcha cette main pour fouiller les placards.

Il en sortit un large torchon, une gourde, quelques fruits, du pain et des biscuits. Ce n’était pas le grand luxe, malheureusement.

- Il faudra que tu suives un cours d’eau dans la forêt et que tu remplisses régulièrement ta gourde, murmura-t-il. Boire est impératif, peu importe l’endroit dans lequel cela te guidera. Si tu as faim-

Un bruit de porte. Un léger sursaut. Des bruits de pas. Un arôme d’alcool. Et enfin un rire bien gras.

- Et bien mec, ça cause tout seul ? Je savais qu’il te manquait des cases mais quand même.

La panthère se tourna légèrement, naturellement, arborant son visage neutre habituel, un tantinet hautain. Il observa le clown chercher quelques bouteilles dans l’espace dédié - si encore, en restait-il. Il profita de son dos tourné pour chercher la quelconque présence de Wynona.

- Je passe la nuit dehors. J’ai besoin de réfléchir. Et tu es bruyant.

La panthère boucla le polochon. Le clown râla du manque de provision, agacé.



Hors rp : j’ai casé un pnj, libre à toi de le faire interagir si tu en as envie. Bibiz !

Il était vrai que Myst attendait impatiemment un quelconque signe de vie de sa collègue invisible, mais il ne pensait pas que cela serait aussi imposant. La table manqua de peu de se renverser, mais une partie des affaires posées dessus s'éclatèrent au sol.

La panthère sursauta et, par réflexe, manqua de peu d’écrabouiller le contenu du polochon entre ses patronnes. Il allait être compliqué de négocier toute forme de paix en présence d’un ivrogne colérique.

- Tu n’étais pas obligé.e de frapper la table. Elle ne t’a rien fait… fit-il remarquer aux deux personnes présentes dans la pièce, tout particulièrement au clown pour reposer la faute essentiellement sur lui - bien qu’il n’ait rien fait mis à part sortir la tête du frigidaire.

Même si le fracas lui avait donné une petite idée de la localisation exacte de Wynona, il était encore difficile d’évaluer sa présence. Sa maladresse lui jouait des tours, mais son camouflage restait parfait. Myst imaginait bien la pauvre enfant apeurée par sa propre bêtise.

- J’lui ai rien fait à ta table, achètes toi des lunettes… Oh merde !

Ah oui… Pauvre première bière préalablement sortie et éclatée au sol. Que c’était dommage.

Avant même que le clown ne s’énerve, frustré, Myst se rua sur le paquet de farine par terre, balançant le contenu un peu partout dans la pièce. Quelques formes commencèrent à apparaître.

- Navré.

Un mot, une fois de plus, à l’attention de ses deux interlocuteurs. Le noiraud jeta sans ménagement de la farine dans les yeux du clown pour l’éloigner avant d’embarquer la petite caméléon dans ses bras. Ignorant si elle était tétanisée, il ne pouvait pas prendre le risque de la traîner par la main. Au diable la discrétion et le manque de réalisme concernant ce polochon qui semblait léviter entre ses bras, posé sur Wynona. Il se précipita vers la sortie du chapiteau.

- As-tu besoin d’autre chose ? Si non, on part tout de suite.

En prévision de sa transformation complète, des oreilles félines noires et des moustaches apparurent en un claquement de doigts.

@Wynona Oleon