13.01

Constance
Marmoreal



Chère Madame,

Je salue le courage dont vous faite preuve et le destin qui vous a amené à frapper à ma porte. Votre lettre m’a fort touché et je me suis trouvé dans l’obligation d’y répondre le plus rapidement possible.

Sachez que votre voeu d’enfanter est un voeu qui soit des plus beaux et je ne peux que soutenir celui-ci et vous soutenir vous, évidemment, dans votre quête aux allures désespérées. Il est en effet de fait notoire que certaines personnes peuplant notre vaste monde sont bannies sur les bancs de la stérilité. J’ose imaginer que vous êtes de ces personnes ?

Pardonnez d’avance mon indiscrétion, Madame, mais il va me falloir beaucoup de renseignements quant à votre situation physique et biologique - ainsi que quelques renseignements au sujet de votre époux.

Vous l’aurez deviné, je tiens à vous aider. Certes, l’appât du défi lancé à Mère Nature est une des raisons qui m’inclinent en ce choix - mais c’est surtout et d’abord, Madame, un souhait. Je souhaite voir vos espérances se réaliser.

Pouvez-vous me dire depuis quand précisément essayez-vous de procréer ? Aussi, quel est le dernier traitement médical en date que vous avez tenté ?

Je vous remercie pour votre sollicitation,
Sachez que la discrétion est mère de mes vertus,

En attendant votre réponse,
Veuillez recevoir Madame,


Mes regards dévoués,

17.01

Constance
Marmoreal



Chère Madame,

Je suis bien heureux d'avoir trouvé si riche réponse à ma lettre et vous remercie de votre témoignage de confiance et de vos confidences.

Il est douloureux de constater votre malédiction, au moins autant qu'il est douloureux de lire vos mots qui la cache si humblement. J'ai connaissance de certains médecins pratiquant des traitements à base de compléments alimentaires, des traitements tels que ceux que vous m'avez décrit. Hélas, ce ne sont là que des promesses illusoires - Mère Nature n'est pas dame à se laisser avoir par de si faibles tentatives.

Aussi, j'ai ardemment planché sur mes livres et précédentes recherches scientifiques. Il apparaît que, pour certaines personnes, il est préférable de se rallier directement à la chirurgie. Or, avant de vous alarmer avec celle-ci, il me faudra trouver le moyen de préparer votre corps à des changements hormonaux - je tâcherais de composer des potions aux formules adéquates et sans conséquences dangereuses.

Présentez-vous des allergies notoires à quelques plantes, graines ou fruits ? Aussi... Ah... Cela me gêne Madame, mais il me faut tout de même vous en faire la requête : sauriez-vous me dire à quelle fréquence s'élève vos rapports intimes avec votre mari ? De plus... Sont-ils stimulants ? Le corps d'une femme est à l'image de Mère Nature, il n'est pas temple à se laisser féconder sans être premièrement correctement honoré.

Je m'excuse si je vous noie sous mes babillages d'apothicaire - je suis très excité par ce désir de vous aider...

Quant à votre question au sujet de ma situation personnelle... Sachez... Madame, sachez qu'il n'y a pas, à mes yeux, d'êtres plus précieux que les enfants et, les Cieux m'en soient témoins, j'aurais aimé jouir de leur compagnie et de la félicité qu'apporte l'amour d'une famille. Seulement, je suis de ceux que la vie loge à la solitude, aux plaisirs succincts et au travail ! Je ne suis pas à plaindre pour autant - l'espoir de rencontrer un jour une personne susceptible de m'offrir pareille trésor n'est pas voué à la vacuité...

N'avez-vous jamais songé à l'adoption ? Je me permets - curiosité pure.
Il me tarde d'avoir de vos nouvelles...

En attendant votre réponse,
Veuillez recevoir Madame,


Mes regards dévoués,

17.01

Constance
Marmoreal



Très chère Madame,

Je suis ému de trouver mots si doux à mon égard et telle dévotion quant à mes qualités humaines et professionnelles… Je vous dois à présent quelques rougeurs sur mes joues et vous offre en conséquence mes plus humbles gratitudes.

Je prends bonne note de vos confessions au sujet de vos rapports intimes et de votre passé en tant que mère. Par ailleurs, cela m’attriste sincèrement d’apprendre que vous ayez eu à subir les chagrins d’un enfant dont la fin n’aura pas été heureuse. L’adoption est, à bien des égards, un acte difficile… J’ose espérer qu’avec le temps, cette béance logée au noir de votre coeur saura disparaître. Pardonnez-vous, Madame et pardonnez à vos rêves.

Concernant l’opération, n’ayez crainte ! Votre taille ne sera pas un problème, ni même vos précédents traitements. Je tâcherais d’être le plus délicat possible. En elle-même, cette opération n’est pas dangereuse. Elle allie mes connaissances en chirurgie et quelques soupçons de magie… J’ai planché récemment sur des incantations de grands savants, toutes ayant pour ligne conductrice le respect des équilibres, le respect de Mère Nature et de notre volonté de réussite. Avez-vous déjà fait usage de magie ou eut recours à elle, Madame ? Je questionne et résume de manière succincte les tenants et aboutissants, hélas. Nous en discuterons plus amplement de vive voix je l’espère, et longuement bien sûr.

Aussi, si je puis rebondir sur vos tendresses relatives à mes souhaits de famille et votre trouble… Ce serait pour vous informer d’une réalité en demi teintes. Je rêve de famille et d’enfants, c’est un fait et je le concède volontiers… Or, il me semble ne pas être en droit de prétendre à un tel bonheur. Tant de raisons vont en ce sens... Vous les énumérer ne ferait que me porter au banc des pathétiques geignards.

Je ressens chez vous ces privations que nous sommes seuls à créer et respecter. Me tromperais-je ? Voyez-vous, mon état d’Entité me soustrait à ma mémoire et à cette vie humaine jadis mienne et qui, aujourd’hui, me semble si lointaine que Time lui-même ne saurait la placer sur ses rails chronométrées. Ai-je eu des enfants ? Ai-je aimé ?

Je vous demande pardon, encore une fois je m’égare… C’est que… Réellement, je ressens, je ressens chez vous ces vagues à l’âme qui sont coutumiers de mes jours et de mes nuits… Je ressens chez vous ces punitions et prisons invisibles dont nous façonnons les murs et dictons les règles. Madame, suis-je trop impudent ? Suis-je trop prétentieux ? Ces ressentis sont-ils vôtres, comme je le présume ?

Ce sont vos mots que je lis, votre lettre que je froisse sous mes doigts avides - certains diraient qu’il est sot d’affirmer des émotions et des idées en se basant sur un manuscrit de ce genre… Or, je ne peux m’empêcher de croire qu’il m’est possible de vous voir, de vous connaître un peu, un tant soit peu, au travers de ce dernier…

J’attends de vos nouvelles avec impatience,

Portez-vous bien, Constance,
et veuillez recevoir,

Me amitiés sincères,