les jours s'enchaînent dans une routine qui se fait de plus en plus familière et pourtant, une énergie presque nerveuse le ronge.
d'ordinaire curieux et chaleureux, il s'était muré dans un silence méfiant, comme s'il s'attendait à voir ses démons le tourmenter jusqu'ici.
c'es en aspirant à une existence simple et sans fracas qu'il se retrouve flanqué d'une paranoïa grandissante, gracieuseté des actions inconsidérées du lapin blanc.
s'il y a une infime partie de lui qui se délecte de se savoir protégé, elle est étouffée par le reste.
c'est qu'ariel ne sait toujours pas s'il doit dire le remercier ou le maudire.
merci d'avoir foutu ma vie en l'air ?
ah, il doute qu'il apprécie l'attention.

et c'est cette même agitation qui l'empêche de se mêler aux autres, quand ses services ne sont pas requis.
préférant plutôt errer dans les jardins, et s'asseoir près de l'étang — maigre réconfort quand on a plutôt l'habitude des étendues d'eau immenses.
jusqu'ici, personne n'avait cherché à lui tenir compagnie, ébauches de tentatives avortées, comme repoussées par une force invisible.
pourtant, ça ne semble pas l'affecter, lui.
ariel ne remarque pas le bruissement des feuilles, ni le craquement des branches.
mais quand son champ de vision est obstrué par un inconnu, tête en bas, qui plus est, il ne peut s'empêcher de reculer, exclamation surprise coincée dans le fond de la gorge.
bonjour.

— tu- bonjour ?

il l'observe, figé et interdit, lorsqu'il descend de son perchoir avec adresse.
c'est une entrée en scène bien singulière, dont il applaudirait volontiers l'exécution si son coeur n'était pas déterminé à s'échapper de sa cage thoracique pour se noyer dans le point d'eau, quelques mètres en face de lui.
à peine arrive-t-il à en calmer les battements erratiques, qu'il s'active de nouveau à la mention du casino.
et ce n'est plus la surprise qui se lit sur son visage, plutôt l'horreur.
terreur qui lui fait instinctivement serrer la main gauche, vilaine cicatrice bien en évidence.
il se reprend bien vite, ariel, esquisse un sourire qu'il devine bancal.

— était, serait plus approprié.

son piano lui manque.
la scène lui manque.
mais ce n'est pas le temps d'être sentimental, ou vulnérable.
alors il adopte un autre masque, plus familier.

— charmante technique, d'ailleurs.

c'est qu'il ne peut pas s'empêcher, malgré tout, de le charrier un peu.
son embarras précédent définitivement plus agréable que la mine sombre qu'il affiche toujours.

— à qui ai-je l'honneur ?

dommage.
ah, s'il savait.
t'as une belle voix.
oh, ça, ça lui fait légèrement baisser la tête, le compliment adoucit son rictus pour quelque chose de plus timide et réservé.
ce n'est peut-être pas la première fois que l'on commente la beauté de sa voix, mais chaque instance le laisse sans mots.
il sait, à force de lire et relire ses carnets, que sa musique n'avait pas été appréciée de son vivant — n'avait-il pas traversé la moitié de la planète pour trouver un public qui l'accepterait ?
visiblement, la gêne et l'émerveillement ne s'étaient pas estompées après son trépas.
la soudaine proximité le ramène à l'ordre, son regard alternant entre celui de l'inconnu et l'index qu'il lui agite sous le nez.

ce n'est pas le propriétaire des lieux qui l'avait invité, mais plutôt opal qui l'avait poussé à trouver refuge ici et jusqu'à présent, rien ne s'était produit pour contredire la véracité de ses propos.
en sécurité, ça semble presque trop beau pour être vrai.
ariel aimerait bien que la partie irrationnelle de son esprit accepte que ce soit bel et bien le cas, mais ce n'était pas gagné d'avance.
toutefois, la nonchalance de son interlocuteur est communicative, et si elle n'apaise pas complètement sa frayeur, elle arrive tout de même à la reléguer au second plan.
tant et si bien qu'il prend place à ses côtés, jambes repliées contre lui, qu'après une brève hésitation.

— ce n'est pas la description qui met le plus en confiance, tu sais ?

c'est lancé sur un ton rieur, son propre sourire faisant écho à celui qu'il affiche toujours.

— mais tu sembles honnête, alors je vais te croire sur paroles.

sa boutade concernant ses techniques de drague lui tire un rire bref.
d'ordinaire, il aurait été plus réceptif, se serait volontiers aventuré dans cette voie, mais on a plus tout à fait le coeur de s'ouvrir aussi rapidement.
le nom familier le force toutefois à se concentrer, à désespérément chercher à savoir où il l'avait entendu, mine pensive flottant sur son visage.
jusqu'à ce que la surprise s'y invite.

— oh. oh !

c'est qu'il se redresse subitement, ariel, mélange de panique et de gêne bataillant pour son expression.

— tu- vous- ah. je me sens bien bête, il glisse nerveusement une main dans ses cheveux, est-il trop tard pour m'excuser de m'être moqué ? je ne m'attendais pas à être en compagnie de...

l'une des seules personnes qui semble réellement se soucier des alices ? ou de l'injustice qui règne un peu partout à wonderland ?
il ne se souvient que trop bien du coup d'éclat au casino, et ça le rassure, de savoir d'où il l'avait reconnu, chasse finalement ses réserves.

— pardon, vraiment.

ce n'est qu'après quelques instants de mortification la plus totale que la gêne subsiste — visiblement, ils sont deux à être mal à l'aise.
ariel porte une main à son visage, sourire partagé entre le dépit et l'amusement à moitié dissimulé par celle-ci.
oublier le vouvoiement ? pas de soucis, il peut faire cela.
effacer les dernières seconde de l'existence, un peu moins, à son plus grand désarroi.
au moins, il ne semble pas lui en tenir rigueur, ce qui le rassure. ce serait bien bête d'offenser la première personne ayant osé venir lui adresser la parole, encore plus si c'est robin des bois.

— mon ex-patron ? ah, aucune idée, son expression s'assombrit un peu, et son bras retombe le long de son corps, et disons que je n'ai pas vraiment envie le savoir, si je dois être complètement honnête.

il n'est pas resté suffisamment longtemps pour le découvrir, préférant prendre la poudre d'escampette dès que le vent avait tourné.
puis, il ne se fait pas d'illusion, remettre les pieds à halloween city, aurait été une idée des plus stupide qui lui aurait probablement valu un arrêt simple au cimetière.
ou pire — il doute aussi de la clémence des monstres qui rôdent dans les ombres, on se souvient un peu trop de la promesse qui s'est immiscée dans le portail, en même temps qu'un lapin plus tout à fait blanc.
rien que le souvenir du hurlement du croquemitaine suffit à lui arracher une inspiration audible.

et, avant qu'il ne glisse un peu trop sur la voie des mauvais recoins de sa mémoire, meliodas lui sert de point d'ancrage, le sort de sa torpeur momentanée.
ça le fait cligner des yeux, cette question, le fait muser un instant.
ariel ne se considère pas comme une bonne personne — tout le monde possède son lot de fautes et de défauts, mais vu les personnages qui arpentaient les rues de la ville perpétuellement plongée dans les ténèbres...

— je ne suis pas exempt de torts, mais certainement pas à leur niveau, non.

le seul sang qu'il a sur les mains est le sien, après tout.
il n'a assassiné que son coeur, sans faire de mal à autrui. tout en côtoyant des actes odieux commis à foison, se désensibilisant face à ceux-ci avec une rapidité déconcertante.
c'était plus facile d'ignorer le mal qui semblait s'être infiltré dans chacune des pierres des routes pavées que de chercher à y changer quoi que ce soit. il n'était là que pour divertir la galerie, pas pour rendre le monde meilleur.
à s'être habitué à la violence et l'excès, tout, ici, lui apparaît soudainement trop paisible.

— et toi ? les rumeurs semblent s'en donner à coeur joie, à te dépeindre tour à tour comme sauveur et voleur.

il l'observe, le menton poser sur ses genoux.

— est-ce difficile à vivre ?

loin d'eux ?
physiquement peut-être, mais ils hantent toujours ses pensées, qu'il le veuille ou non.
mais il n'a pas envie de l'accabler avec ses problèmes — ça a trop dérapé la dernière fois qu'il a ouvert la bouche, hoche doucement la tête, assentiment silencieux face à ses dires.
sa surprise est comique, le fait rire.
les ragots vont vite, encore plus venant d'une clientèle éméchée aux avis partagés.
au moins, il ne semble pas trop s'en faire, clamant que cela forme son identité. sauveur et voleur, hors-la-loi au grand coeur, cela sied bien au personnage, vu ce qu'il laisse entrevoir.
le clin d'oeil et ses mots lui font tourner la tête, cramoisi des joues à la pointe des oreilles.
et charmeur, visiblement.

— ah, oublie ce que je viens de dire, crapule est définitivement plus adapté.

c'est soufflé d'un ton pétulant, lèvres pincées.
ça faisait bien longtemps qu'il ne s'était pas senti aussi embarrassé, son assurance habituelle brille par son absence.
c'est... léger, comme échange.
différent et bienvenu.

— n'est-ce pas une tâche... impossible ? difficile ? il y a aura toujours des inégalités.

ariel déplie ses jambes, s'appuie sur ses mains pour finalement observer le ciel.

— mais je suis de mauvais foi. c'est bien, des gens comme toi, qui cherchent à faire changer les choses malgré tout.

— touché.

on lui a effectivement forcé la main, deux fois plutôt qu'une.
l'obscurité lui manquerait presque, après des années passées sous le couvert de la lune.
mais le soleil, même s'il avait été trop brillant au début, est un changement apprécié.
lui fait découvrir de nouveau ce que c'est de vivre dans la lumière, et rencontrer ceux qui y vivent.
et si le rictus de meliodas possédait le même éclat, il s'était assombri, tout comme sa mine.
encore une fois.
mais vu ses mots, il devine qu'il venait de toucher une corde sensible, et ça le fait grimacer ariel.

— je ne voulais pas remettre en question ta cause ou tes convictions, encore moins les critiquer.

au contraire, il était bel et bien sincère quand il lui avait dit que ce monde avait besoin de gens comme lui.
qui cherchent à faire le bien, même si la tâche s'apparente à une montagne infranchissable.
peu avait réellement la volonté de le faire, lui le premier — ravi de se contenter d'être un spectateur passif des événements qui agitent wonderland sans lever le petit doigt.
subir toute sa vie ? c'est déjà le cas, l'a toujours été.
haussement d'épaule accompagné d'un hm peu convaincu.
il déclare préférer mourir aujourd'hui
ariel arque maintenant un sourcil.

— de bien grands mots que voilà. une mort définitive ne serait-elle pas contre productive à ce que tu cherches à accomplir ?

quand un symbole meurt, l'espoir aussi.
son regard cherche le sien, l'ébauche d'un sourire aux lèvres.

— et ce monde serait un peu moins accueillant, libre, non ?

son regard s'oriente vers le nouveau venu qui s'invite sans gêne dans la conversation, bienheureux de l'attention qui lui est portée, au vu du ronronnement qui lui échappe.
et ça le fait sourire un peu plus doucement, tendre le bras pour effleurer son pelage.
sensation presque alien, trop habitué aux félins fantômes d'halloween city et du froid qu'ils amenaient avec eux.
celui-ci est bien tangible sous ses doigts.
ça aussi, c'est un changement grandement apprécié.

— si elle a été clémente une fois, je doute qu'elle le soit pour la seconde.

ils n'ont pas tous le luxe de ne pas avoir à craindre la fin de leur histoire, à vivre éternellement.
mais il suppose que l'immortalité, la vraie, est un cadeau empoisonné. être condamné à être éternel ? à inéluctablement perdre tout ceux à qui on s'attache ?
c'est une existence un peu triste, au fond.
mieux vaut vivre l'instant présent.
mieux vaut vivre.

— ravi de l'entendre.

c'est sincère.
parce qu'il a beau ne pas réellement le connaître, il préfère les discours plus optimistes — ils lui permettent de se laisser porter un instant par ceux-ci, étouffent son côté horriblement terre-à-terre, défaitiste.
il s'apprête à répliquer, quand leur invité s'agite, visiblement insatisfait, plante ses griffes dans la peau de son perchoir improvisé.

— les animaux t'adorent, hein ?

il ne fait pas l'effort de retenir le rire amusé qui nait dans sa gorge, agite l'herbe pour attirer l'attention du chat, qui, une fois qu'il remarque le mouvement, saute des genoux de meliodas pour partir en chasse.
ariel caresse le menton de l'animal, secoue la tête quand il miaule, désappointé d'avoir perdu son nouveau jouet aussi rapidement.
quant à son autre main, elle attrape la sienne, relève celle-ci alors qu'il s'incline vers lui pour inspecter la blessure.

— tu devrais être sauf pour un autre jour.

son attention dévie, quitte sa main pour son visage.
remarque la teinte qu'adoptent ses joues.
il devrait reculer, lui laisser un peu d'espace, mais ariel n'esquisse aucun mouvement, les doigts toujours posés sur sa main.
son clin d'oeil, cette fois-ci, est accueilli avec moins de réserve. il arrive même à lui tirer un sourire en coin, alors qu'il incline la tête de côté.

— ça devrait aller, monsieur sherwood.

et meliodas se redresse, s'approche — avec une habitude effarante, danse qu'il ne connaît que trop bien, son regard quitte le sien, se pose un instant sur ses lèvres-
mais le moment est rompu, quand il se laisse tomber vers l'arrière, dans l'herbe. ça le fait cligner des yeux, surpris. oh.
à son tour de se parer de rouge, plus amusé que réellement embarrassé, alors qu'il reprend finalement ses distances, ramène doucement son bras contre lui.
son coeur qui s'agite douloureusement dans la poitrine, comme pour l'accuser d'oublier si rapidement sa peine.
la réalisation assombrit son expression, rien qu'une seconde.
parce qu'il ne cesse de le surprendre, avec ses paroles qui font mouche.
ne fait pas des promesses que tu ne peux tenir
qu'il a envie de dire.

— merci.

qu'il souffle, dans un murmure presque inaudible.
ariel triture le bord d'une des manches de sa chemise, avant de s'étendre lui aussi, à observer le ciel.
laisse le silence s'étirer, musant sur leur échange, et fini par éclater de rire, léger.

— ce n'est pas ce à quoi je m'attendais, en m'isolant ici, seul, insiste sur le dernier mot, malice lacée dans sa voix, mais je ne peux pas dire que je regrette.

ta compagnie.
et le réconfort qu'il lui offre, avec son optimiste et ses grands discours.