L'idée qu'on puisse marquer la peau d'une encre indélébile était à tes yeux un sacrilège et une souillure à ce corps pourtant parfait que le créateur vous avait offert. Tu en avais fait part à cette étrange créature, sublime Alice ayant débarqué à Wonderland en même temps que toi - s'étant installé à la capitale de Crims il y a moins d'un an.

Vous aviez eu le loisir de vous croiser souvent, son salon se trouvant non loin du Moulin Rouge. Même qu'elle s'amuse à dessiner sur les peaux des prostituées - et Daisy n'a pas tardé à se vanter du petit papillon tracé dans le bas de son dos. Si l'art attribué aux belles femmes peut sublimer leurs courbes, il t'était jusqu'à présent intolérable que tu puisses te soumettre à de telles bassesses. Les temps avaient bien changé.


Tu espères qu'Alec n'est pas au courant que tu es de retour sur Crims. Mais le connaissant, il y a moyen qu'il soit déjà en train de te filer le train. A moins qu'il ne soit en mission pour subvenir à ses besoins, n'a t-il donc aucune occupation ?
Tes pas sont déterminés quand tu foules les pavés de brique des rues de la capitale, passes la porte du petit salon.
Aucun client, évidemment c'est l'ouverture aux aurores. Et tu n'as pas l'intention ni de t'attarder ici, ni d'être vu par tes collègues habituels.

— « Bonjour Eponine. »

Tu ne te permets pas encore de l'appeler Nine comme les intimes. Trop séreux, trop solennel, trop oppressant quand tu détaches ton épée de ta ceinture et la déposes soigneusement sur un siège.

— « J'espère que je ne te dérange pas en pleine préparation. Je suis un peu en avance sur tes horaires. »

De vingt-trois minutes exactement.
Les bras le long du corps, chemise blanche bretelles en cuir - l'accoutrement habituel, tu les ôtes pour commencer à déboutonner ta chemise.
Sourire tendre alors que tu fais un pas vers elle.

— « J'ai besoin de tes services. »

Pas ceux qu'elle pourrait s'amuser à penser, au premier abord.

Des morsures humaines ? Tu te pares un peu de rose, fronces les sourcils et grimaces. Tu n'aurais pas pensé qu'on puisse faire le rapprochement si vite. Mais soit, autant les assumer devant elle. L'expression nébuleuse, tu lèves les yeux au plafond et fais claquer ta langue sur ton palais. Tu la laisses s'approcher Aslan, légèrement perverti par son parfum du matin. Légèrement déconcentré par le mouvement de ses cheveux et le contact de ses mains.

— « Ne pose pas trop de questions, s'il te plait. Je te prierai d'éviter de trop fantasmer. Ce n'est pas ce que tu imagines. »

Du moins, pas tout à fait.
Agacé de paraitre aussi déshumanisé face à elle, Alec te paiera cher cette humiliation d'aujourd'hui. Tu allais devoir t'abaisser au dessin pour colorier un vilain bobo qui refuse de partir. Cicatrices à vie - autant permettre à l'artiste de les sublimer au lieu de les maudire.

Ta main glisse sur sa joue pour venir replacer une mèche rebelle derrière son oreille. Tu inspires, expires. Calme-toi Aslan, tout ira bien si c'est elle qui s'en occupe.

— « J'ai besoin que tu en couvres certaines. Les plus profondes, celles qui ne partiront pas sans laisser de traces. »

Tu as la gorge serrée, la fierté a du mal à se l'avouer.

— « J'aimerai... un... »

Dis-le, dis-le.

— « ...tatouage. »

Rage au fond des yeux.

— « S'il te plait. »

La tape sur la main te surprend, et tu la toises l'espace d'un seconde. Avant de lui sourire avec tendresse et innocence. Tous le monde n'est pas à l'aise avec le contact, et si tu le cherches constamment - tu dois faire attention aux réactions Aslan.

Eponine est lumineuse, la nouvelle semble la ravir. Du moins, c'est ce que tu analyses en voyant son sourire s'étirer. Tu es désormais plus à l'aise, quoiqu'un peu anxieux quant à ce qu'il va se passer. La douleur tu ne la crains pas, mais laisser quelqu'un altérer ta peau pour l'éternité, ce n'est pas rien. Car la notion d'une vie est remise en question quand on est éternel.

— « Des... envies... ? »

Tu hésites, lèves la tête vers le plafond. Tu te laisses aveugler par les spots de lumière, puis fermes les yeux.

— « Hm... Je m'en fiche, tant que ce n'est pas obscène. » Tu sembles particulièrement curieux. « Tu sais absolument tout dessiner ? »

Elle te demande ta date de naissance et tes yeux se rouvrent, un peu surpris. Tu ne l'as pas oublié jusqu'à présent mais si tu te souviens du mois, tu as du mal à te rappeler du jour précis.

— « Le 10 ou le 11 juin. Jinu, pardon. Dans ces eaux-là. Mais en quoi connaitre ma date de naissance peut t'aider, Eponine ? »

Tu te redresses sur le siège hydraulique, les mains appuyées sur le cuir. Ton visage proche du sien, tu la détailles, l'expression aussi froide que distante.
Pourtant le sourire aux coins des lèvres.

— « Je veux te faire confiance. »

Mais ne me déçois pas.

Elle lève les yeux au ciel - pas insensible à ta personne mais elle n'a pas les réactions escomptées, attendues, espérées. Tu baisses le regard, la mine fermée et écoutes attentivement ses explications. Elle te dit que tu es gémeaux et que c'est ton signe astrologique. Tu penches la tête sur le côté, un peu confus mais sans vraiment le montrer.
Qu'est-ce que c'est que ça ? Et en même temps, ça te parle un peu, c'est lointain. C'est sûrement dû à la position des étoiles sur terre. Ah oui, ça te revient.... et ça influe sur ta personnalité.

— « Je vois. »

Elle te décrit le comportement type des gémeaux et ça te fait hausser un sourcil. Ça t'interpelle. Est-ce que tu as deux visages Aslan ? Pourtant tu es Aslan, tu ne penses pas être deux personnes. Tu n'as qu'un seul prisme de désir, tu n'as pas l'impression d'être... différent.

Enfin..
Eponine parle beaucoup trop. C'est agréable, en un sens, de fournir peu d'efforts pour communiquer. Tu la laisses te guider, te perds un instant à fixer le mouvement de ses lèvres.
Elle t'informe qu'elle part dessiner et tu restes assis sur la chaise, la tête accoudée comme un prince dans l'attente. La regardes gribouiller, les paupières mi-closes - souffles de temps à autre pour chasser des mèches blondes tombant devant le visage.

Quand elle revient, tu observes d'un air surpris le résultat proposé.

— « Oh. Ne le prends pas mal mais je ne m'attendais pas à quelque chose d'aussi joli. J'aime beaucoup la constellation. »

Sourire carnassier, un peu désabusé.

— « Je ne suis pas trop à l'aise avec les doubles visages. Je veux bien croire que sur terre des gens croyaient à ces bêtises, mais ce n'est pas... moi. »

C'est totalement toi Aslan, mais tu ne veux pas te l'avouer.
Tu n'as pas non plus le recul nécessaire pour traiter cette information sur toi-même.

— « Penses-tu pouvoir proposer quelque chose avec des lunes ? J'aime bien.. la lune. »

Tu t'allonges pour de bon, effleurant sa main du bout des doigts alors que tu te saisis du premier dessin.
Appuies de ton index et de ton majeur droits sur la morsure du torse.

— « Et tu peux commencer. »

Tu ne t'attendais pas à une réaction aussi vive mais tu restes calme, patientes lorsqu'elle gribouille de nouveau. C'est normal d'être exigeant, non ? Après tout ça va rester sur la peau pour l'éternité. Cette perspective ne t'enchante pas plus que cela, mais les dessins ont le mérite d'être jolis et poétiques.

La tête allongée sur le fauteuil, tu te laisses bercé par ses coups de crayon sur le papier et soupires. Te redresses pour regarder une fois qu'elle eut terminé.

— « Oh. C'est surprenant. Et je trouve cela approprié. C'est d'accord Eponine, je te laisse champ libre désormais. »

Elle s'installe et tu fais craquer les articulations de ta nuque dans un mouvement, prêt à te tenir tranquille - du moins c'est ce que tu crois.
Elle note que t'aime bien les étoiles et l'espace. En réalité c'est surtout la lune. Un astre fascinant, toujours relégué au second plan. Parfois éclairé, parfois dans l'ombre. Ça te caractérise bien au final, mais t'en as pas vraiment conscience Aslan.

— « Les phases de la lune, je trouvais ça fascinant sur Terre. Je ne me souviens plus dans quelles circonstances. Ce monde est cruel, il nous laisse des vestiges sans nous permettre de nous souvenir de leurs origines. »

L'aiguille pique la peau, tu serres les dents. Te retenant de geindre.... Oh quelle mauviette tu fais. Alors tu fermes les poings. Inspires. Expires.
Et t'abandonnes à ses doigts, non pas de fée, mais de sorcière.

— « Ça va aller. »

Tu fronces les sourcils à la provocation. Qu'est-ce que c'est censé signifier ? Est-ce que tu as le profil des gens qui pleurent facilement ?
Tu te perds un instant à l'observer... c'est que tu l'imagines elle, pleurer. Tes yeux se voilent d'une illusion jubilatoire et soudain la douleur t'extirpe violemment de tes pensées.

Tu serres les dents, encaisses la douleur dans un mutisme rationnel. Elle te parle, mais tu te pince l'intérieur de la joue pour ne pas répondre, pour ne pas articuler un seul mot d'ailleurs.
Tu fixes avec détermination la pointe des multiples aiguilles qui agressent ta peau, qui réveillent les douleurs fantômes des morsures ayant déformé le derme.

— « Tu vois, je ne pleure pas. »

C'est presque dit trop fièrement. Il n'y a pas que la peau qui est piquée, l'égo aussi a besoin de se rassurer.
Elle te parle de la lune et ça t'intéresse. Intense réflexion sur le mystère de la deuxième lune d'Halloween City. Décidément rien n'a de sens ici, c'est peut-être pour ça que tu t'es perdu aussi vite.

— « Je ne sais pas. Je trouve cela beau. J'aime l'idée d'un voyeur solitaire, qui nous observe silencieux depuis le ciel. »

Tu étires un sourire doucereux.

— « Tu dois me trouver étrange, je me trompe ? »

Tu sais que tu mets les gens mal à l'aise. Ils te le disent souvent, du moins ceux qui en ont le courage. La vérité, ça te mets toujours dans une rage sourde qui se perçoit sans avoir besoin de dire quoi que ce soit.

Nine finit le premier tatouage.
Tu penches la tête pour observer, mais attends qu'elle te propose un miroir pour t'admirer.
A sa proposition, tu réponds solennellement.

— « Je veux bien, merci. Tu as besoin d'une pause ? »

Tu ne comprends pas pourquoi son pouvoir se déclenche à chaque fois qu'elle te voit. Tu ne comprends pas ce que tu fais de mal, et pourquoi donc son instinct lui chuchote que tu es un danger pour elle. Tu es bienveillant Aslan, innocent. Le Prince Charmant ne doit pas inquiéter sa Princesse et Eponine a tout de l'archétype. Ses beaux cheveux roux que tu rêves de peigner de tes doigts, sa peau de porcelaine que tu chéris de caresser, ses belles jambes, fines et harmonieuses. Son sourire, sa douceur... diablerie que ce satané pouvoir qui s'amuse à traquer tes intentions insidieuses.

— « Je ne sais pas. C'est bizarre. Ton alarme est peut-être cassée, car je ne te veux que du bien. »

Et tu es sincère Aslan.
Tu ne veux que du bien à Eponine - mais peut-être est-ce là le principal problème. Car tu as cessé de savoir discerner le bien du mal, du moins tu essaies.
Mais ton esprit se ment encore à toi même.

Elle va chercher un verre d'eau, te le ramène et tu le portes à tes lèvres alors qu'elle érige un miroir. D'un oeil furtif, tu t'observes - l'air inexpressif.
Détailles les traits du dessin sur ta peau.

— « C'est.... Je ne m'attendais pas à cela. Ça rend mieux que ce que je craignais. Bravo Eponine, tu es vraiment une artiste accomplie. »

Tu souris, doux.

— « Je suis prêt quand tu veux pour la suite. »

Et tu reposes le verre vide sur la petite table d'appoint en métal, t'abandonnes de nouveau à ses doigts d'une sérénité exacerbée.