La mort, à bien des égards, s'érigeait en apogée de la peur chez pléthore d'êtres vivants ; non seulement les hommes, gouvernés d'une démesurée raison au point d'en éveiller l'égoïsme, mais tout forme, quelle qu'elle soit, d'entité consciente, indépendamment de leur intellect : nombre d'esprits ployaient sous la doucereuse approche de l'immuable et du terme, inaptes à concevoir ce que nulle âme n'avait pu surmonter — à notre exempte !

Pour d'aucuns, le cycle des réincarnations marquait non seulement l'immortalité, mais s'immisçait en déclencheur irrémissible de la dépression : à terme, tout esprit périssait sous la lassitude, l'entrain dilué en l'acceptation de notre vaine vanité. Ah, que d'ignominies ! Il n'était de plus lâche qu'un abandon conscient, juste rétribution accordée aux plus fragiles d'entre nous — la docilité et le déni se voulaient égaux aux yeux mon mépris, car ne subsistaient en ce monde que les plus robustes d'entre nous. À l'occasion, je submergeais mes pensées du courroux de quelques acides salvateurs, élevant mes choppes vers les cieux comme une divine bénédiction accordée : ma lucidité s'immolait sur la place de ce qui fut jadis ma fierté, ne laissant que le lointain souvenir d'un aventurier téméraire — non sans regrets !

À l'inverse de celui de Wonderland, le sentier de la débauche ne s'arpentait sinon en belle compagnie, en la personne tant juvénile qu'audacieuse d'une entité vampirique : l'alcool n'était sans doute qu'une honteuse tartufe aux yeux d'un Ambre dévoué à la suprématie de la gastronomie sanguine, mais que voulez-vous ; il n'existait d'homme exempte de vices. Ambre, mon cher, ne te l'ai-je déjà dit : ta dévotion aux forces du mal est remarquable, mais je te verrai davantage dans la fonction publique. Ainsi se marquait le début d'une trépignante soirée : deux hommes — bien que l'un fut en éternelle croissance — dont l'autre demeurait à moitié avachi à même le comptoir sur lequel il s'appuyait autrefois dignement, non par ivresse, mais dans l'inexplicable désir d'observer son comparse.

Et s'il n'existait là nulle intention sinon l'enfantine volition d'apercevoir les crocs de mon camarade, et qu'il dissimulait avec une pudeur démesurée, j'ignorais la sensation tant grisante que menaçante d'une lointaine somnolence. J'ai longtemps cru que ton palais altérait les goûts au point de te priver de la divine bénédiction des alcools, mais que nenni ! Nos juvéniles constitutions nous feront sombrer ensemble dans les abîmes du coma éthylique ! Existe-t-il de fin plus glorieuse qu'au champ de bataille vignoble ?

En un esprit aussi vaste que pragmatique, ma remarquable capacité à juger autrui se voulait fer de lance d'une lucidité sans pareille : un intérêt tout particulier se portait envers les entités, quoi qu'il ne s'attardait sur la monotonie des plus invariables d'entre elles, et leur intimité toute particulière avec la mort. Il se dégageait d'eux – de leurs paroles à la logique embrumée, de leurs défaitisme infernal – une mélancolie sans pareille, comme la sobre acceptation de ce qu'ils n'auraient jamais dû connaître : le terme de toute chose, tout modeste qu'il était, car ils en revenaient incessamment, bien qu'en une forme différée. Plus organisé, et bien davantage, car peu d'hommes partagent ton sens de la moralité. Cette droiture implicitement imposée au monde sous la silhouette tantôt mystérieuse, tantôt effrayante d'une entité antique, si profondément ancrée dans les réminiscences humaines que son origine semblait tenir du plus sombre cauchemar – ou de l'imagination.

La manifestation juvénile de ce que d'aucuns craignaient plus que toute autre chose : l'image-même de la mort, de son au-delà, ou tout du moins de tout ce qui s'y opposait – la volonté farouche, irascible, et irrémissible d'une âme accrochée à la vie, et dont son extinction tenait de la plus grande terreur. À ce titre, la mort – si tant est qu'il ne s'y était pas déjà habitué, au terme de ses innombrables renaissances – s'imposait comme une juste punition pour qui péchait d'un égoïsme anarchique. Ces quelques réflexions noyées dans le confort d'un alcool au goût altéré par le rire, le contact de ses prunelles rutilantes n'en demeuraient pas moins difficile à soutenir. Ma façon de mourir m'est égale, car j'admets qu'aucune ne m'effraie vraiment. Cependant, s'il m'était accordé un dernier vœu, j'aimerais prendre le temps d'une tasse de thé aux côtés de cette chère Mort, afin de cerner les us et coutumes de son devoir. Ô tyrannique curiosité, ne te lasseras-tu donc jamais d'imposer ton règne aux plus étriques cellules de mon esprit ?

En mon cœur, je ne cessais d'entretenir ce désir irrépressible – sinon téméraire – d'éplucher les origines de notre monde : et si cette volition s'avérait aussi sincère qu'à l'aube de mes aventures, propulsées par quelques excès d'adrénaline, sans doute éprouvais-je un semblant affection à l'égard d'un monde dont je semblais être l'un des plus intimes explorateurs. À ce titre, j'aimerais te demander quelque chose – quoi que pour un vampire, la question peut te sembler diablement ironique : comment est la mort ?