— ATTENTION MESDAMES ET MESSIEURS !

Sur une petite caisse de bois, il domine l'assistance. Ton domaine, c'est une caverne aux merveilles pour les affaires. Sous ta protection des gens démunis, éreintés par la vie. Des gens qui n'ont vu que du laid, qui sont en manque des jolis. Et il se fait un plaisir d'en mettre plein les mirettes, Malone, d'offrir à cette jeunesse en mal de beau de quoi parader comme parade les rois. Pour lui, c'est rendre service, on offre du magnifique à moindre prix. Alors bien sûr, contrairement à ce qu'il dit, cette coupe ne vient pas de la table du Duc de Sugarcupcake et ce mouchoir soigneusement brodé pas des affaires personnelles, du seul et unique Dodo, mais qu'importe, Ellen. Parce que ce qui compte, c'est le rêve, la joie qui brille dans les yeux. Et Malone est un vendeur de rêve de première qualité.

— J'ai pour vous aujourd'hui les plus beaux objets ! Se parer du meilleur n'est pas réservé à l'élite, mesdames et messieurs. Un petit salto sur sa caisse pour ponctuer son discours. Les bonnes gens comme vous et moi ont aussi le droit de parader avec ce qui se fait de mieux et c'est ce que je vous propose ET A TOUT PETITS PRIX ! Regardez, regardez, prenez en plein les yeux, admirez, touchez, laissez-vous tenter !

À ses pieds une petite fille aux grands yeux curieux. Il ne se souvient pas l'avoir vu avant, une nouvelle, il se demande dans un éclat de tristesse qu'est-ce qu'elle a dû vivre, cette petite fille, pour trouver refuge ici. Alors il sort de sa poche quelques balles et jongle pour elle, saute pour se mettre sur les mains et jongler avec ses pieds. Fait le pitre et quand elle rit aux éclats, il sort de sa manche une jolie barrette ouvragée sur laquelle Susan avait fait un boulot fantastique.

— Et pour toi, demoiselle, c'est gratuit. Regardez-moi ça, on dirait une petite princesse !

Elle rougit de plaisir, Malone est satisfait. Il s'apprête à voler d'un client à un autre quand tu déboules enfin. Il mime le geste de regarder sa montre en haussant les épaules, l'air de te dire "on est en retard, Duchesse" puis il s'incline bien bas, son grand sourire de gamin aux lèvres.

— Ah Duchesse, mon tendre ami, je commençais à croire que j'allais pouvoir faire affaire tranquille. Et il ne peut s'empêcher d'ajouter. Vous êtes tout en beauté, aujourd'hui, un ravissement pour les yeux !

Il est habitué, Malone, à te voir surgir furibond, il se dit que tu pourrais l'égorger parfois. Toujours son même sourire quand il s'assoit en tailleur sur sa (ta) caisse en bois.

— Je ne comprend toujours pas ce que tu as contre mon commerce, Ellen. Je ne traite pourtant pas tes protégés comme je traite ma riche clientèle.

Une mine boudeuse, quand il te regarde, il a déjà commencé à jongler de nouveau avec ses balles.

Petits charlatans des prés... Ça nous fait sourire, Ellen, il y a toujours de la poésie dans tes mots, tu sais ? Même quand tu insultes, c'est toujours empreint de classe et de délicatesse, non, c'est chantant, oui voilà ça chante quand tu parles. Nous quand on insulte, on dit merde, putain, connard, bâtard, des mots qui déformeraient peut-être ton visage et qui feraient siffler tes oreilles, on est comme ça. C'est peut-être la différence entre les gueux comme nous et les grandes dames comme toi. M'enfin, ça n'empêche pas de jongler comme un idiot dans la plus douce des provocations.

— Oh, ça, c'est un secret !

Sourire espiègle quand on fait passer les balles habillement d'une main à l'autre, finit par tout rattraper et saluer l'assistance (toi en l'occurrence), moue étudiée sur son visage de (faux) ange.

— Mais je ne force personne, tu sais ? Que ce soit Jean-Eudes ou Patrick, on pourrait me dire d'aller voir mon trou du cul si j'y suis que je tournerai des talons. Mais Jean-Eudes et Patrick me laissent passer, et je n'ai même pas besoin de menacer ou de battre des cils pour ça. Tes protégés aiment mes visites, ils ont l'impression d'être à la foire, de pouvoir avoir et faire comme tous les autres à l'extérieur. Ça a beau être joli chez toi, tu peux pas leur faire oublier qu'ils sont hébergés, pas propriétaire.

Pas une insulte, juste un simple fait. Quand on pose nos (pas) royales fesses sur la caisse, pose les bals, est-ce qu'on va cesser de faire le pitre, enfin ? Peut-être, c'est qu'on aime bien parler avec toi Ellen, c'est qu'on aime bien parfois ne plus être un clown.

— Tu te plains que je ne suis pas honnête, mais quelle importance ? Quand on dit aux enfants que la petite fée va venir leur insérer de beaux rêves c'est tout autant un mensonge, mais ce n'est pas grave, c'est pour préserver leur innocence. Dit toi que je fais pareil, encore une fois, je n'arnaque pas ces gens, ce que je leur vends, je pourrais le vendre quinze fois le prix chez le duc de mon cul ou la baronne de machin. J'suis pas là pour le profil, j'suis là pour.. Lève les yeux, les écarquille, tiens, c'est vrai, pourquoi on est là ? Qu'est-ce qu'on fiche au milieu de sans-le-sou quand on pourrait se remplir les poches. Illumination dans son regard à Malone. Bah, disons que je suis là pour me racheter une conscience et ne pas oublier d'où je viens.

Quand on arpentait les routes, jamais dans l'opulence, toujours à bouffer les restes d'un tel ou dormir dans la poussière d'un autre. Avec ce qu'on fait aux privilégiés (à ta meilleure copine Sa Majesté) on pourrait tout aussi bien finir la tête au bout d'une pique. On ne veut pas appeler ça révolution, parce que ça c'est des mots de héros et qu'on n'a pas assez d'amour pour s'en dire un. Mais ça n'empêche pas de contester à notre échelle, à défaut d'être Robin des Bois on est Robin du pauvre.

— Enfin, c'est pas toi que j'irai convaincre, d'autant plus que je serai bien content de pouvoir venir me cacher dans tes jupes quand j'aurai froissé l'égo du gars de la cour de Crims de trop. Sinon, tu comptes m'inviter à prendre le thé où on va rester planter au milieu de tes vignes encore longtemps ?

Sourire angélique, on le dira pas mais on aime profondément chacune de nos visites.

Haussement d'épaules, peut-être Ellen, peut-être. On ne peut pas dire qu'on soit d'accord, tes fables et nos tours de passe-passe, c'est du pareil au même. Tes histoires et nos spectacles, ça provoque la même étincelle. Toi, tu matérialises ça avec des mots, nous avec des objets. C'est la seule différence qu'on note, est-ce qu'elle est si grande que ça ?

On décolle nos fesses de la caisse, se décale un peu. Ne va pas croire qu'on devient galant ou quoi, Ellen, va pas croire qu'on s'est acheté une politesse. Juste, ce serait dommage que tu te fatigues, tu es si délicat comme personnage. Après tout, on t'appelle Duchesse, chez nous, ça éveille mille idées reçues. Et quand on se reçoit la balle sur le nez on louche, fronce le dit nez dans des grimaces qu'on espère que tu trouves charmantes, parce que dans le cas contraire, ça en dirait beaucoup sur tes goûts.

— Justement, tu penses pas que tu les desserres plus qu'autres choses ? C'est sérieux, Ellen. On reprend la balle, la fait bondir dans nos mains, mais toujours en te regardant. J'veux dire, c'est le paradis ici, mais qu'est-ce qui se passera quand ils quitteront ton paradis, hein ? Moi je ne voudrais pas qu'on me chouchoute, je suis du genre feignant, si tu prends trop soin de moi je perds mes armes et je deviens un vieux chat dépendant. Ils sont ici pour se soigner et repartir, non ? Alors tu devrais les armer, Ellen. J'dis pas que ce que je fais est bien et honnête, mais je joue avec les vraies règles, j'en invente pas d'autres.

Et Dieu qu'on est effronté, on mérite probablement ton royal pied dans notre royal faciès. On se demande si tu iras à punir le culot par la violence, c'est que tu n'as pas l'air d'être comme ta reine, c'est aussi pour ça qu'on revient à chaque fois. Soupir théâtral, on se laisse tomber au sol comme déjà éreinter par la tâche, notre bras levé vers le ciel, le pouce en bas.

— Bouuuuh, exploitation, esclavagisme ! Je vais m'écrouler sur ton matelas en puant la sueur tu vas rien comprendre.

On se roulera dans tes draps justes pour la gloire de voir ta grimace, juste pour la satisfaction d'avoir mis un peu de notre puanteur dans ton délicat foyer. On est farceur, tu sais, on en est pas à notre premier acte de rébellion dans ta maison.

— Enfin, plus vite ce sera fait, plus vite je pourrais taper dans tes réserves. Sinon, y a beaucoup de nouvelles têtes, tu comptes pousser les murs ou bien ?  

Et on peut s'empêcher de rire, Ellen. Même quand tu t'énerves, c'est charmant. T'as toujours des expressions que nous-mêmes, on n'aurait jamais été en capacité d'inventer et pourtant, crois-nous, de l'imagination, on en a. Mais au travers du rire, on te lance un regard intéressé, curieux. C'est qu'on dirait presque, tu prépares une petite révolution dans tes vignes Ellen.

— Voilà des paroles très énigmatiques, mais t'es bien sûr de vouloir que je les entende ? Tu sais, les rumeurs sur ton domaine, ça se revend chère à Crims et il se trouve que je ne roule malheureusement pas sur l'or.

Mais on ne le fera pas et on a l’impertinence de croire que tu le sais. C'est que, tu vois, on n'a pas beaucoup d'affection pour ta reine, on irait même jusqu'à dire que sa clique ne nous inspire pas de la sympathie. La reine rouge est forte, puissante, mais elle est aussi pleine de colère et tu sais, Ellen, on pense que la colère est jumelle de la tristesse. Pas besoin de haïr quand on est heureux, pas besoin d'être violent quand on le cœur qui bat avec amusement. On aurait presque pitié d'elle, tu sais. Mais toi, toi ce n'est pas pareil, toi t'es pas triste, on n'aime pas les gens tristes, tu vois. Ça nous effraie, ça nous fait même fuir parfois. La tristesse, on a l'impression de l'avoir connue comme une amante, mais on s'en souvient pas, c'est juste un sentiment qui reste. On perdit notre regard dans le vide quelques secondes avant que le clown ne refasse surface. Ah ! Ellen ! Évidemment qu'on te trahira pas.

— Ariel ? Le gars aux cheveux rouges ? Aaaah, ça me revient, il bossait au casino. Connais pas personnellement mais paraît-il que c'était un sacré chanteur et un sacré pianiste. J'en avais plus entendu parler, paraît-il qu'il avait disparu, c'était donc là qui se cachait ? Enfin, c'est pas nouveau que des gens disparaissent à Halloween City, c'est même une norme. Nan, c'est quand ils restent que ça devient inquiétant.

On observe la vigne, on se dit qu'on avait pour des heures, qu'on allait du coup sûrement dormir ici, mais ce ne serait pas la première fois. Alors on s'active, commence à ramasser les grappes mûres, évidemment, tu nous accompagnes, n'est-ce pas ?

— Ainsi donc, tu entraînes tes employés ? C'est audacieux. Enfin, bon, si t'étais pas une personne audacieuse, tu serais une personne fichtrement ennuyante et j'irai pas te faire la cour à coup de pitreries et de travail forcé et non payé.

— Après, vous la tronche de l'épouvantail qui fait la loi dans son manoir... Je connais pas personnellement le gars, mais j'ai un bon ami qui fait parti de sa bande. Il me raconte des trucs, ça a l'air d'être un homme charmant, mais peut-être un peu trop pour que j'accepte d'être son voisin.

Pardon Simon, pas forcément très respectueux de critiquer ton boss, mais tu vois c'est un peu trop sombre chez-vous, un peu trop porté sur les ténèbres et ce genre de chose dont on se fiche. Avec John au moins on philosophe mais on va dessiner des parties génitales sur les vitres d'Esthef après. Mais le chef de Simon, il a l'air du genre à philosopher et sacrifier des bébés ensuite. C'est pas trop notre tripe on avoue.

— Je comprend les gens qui partent, comme je comprends les gens qui fuient Crims en vrai. En fait, depuis quelque temps j'ai l'impression qui fait plus bon vivre nulle part en Wonderland. Du coup, je pense que mes conneries sont d'autant plus importantes et ton domaine d'autant plus indispensable. Frotte le crâne, on sait pas trop comment tourner ça. On a de la chance de t'avoir, Ellen.

Pour ce que ça vaut, de la part d'un idiot. Tu fais du bon boulot. On en revient à ramasser les fruits, quand tu détournes les yeux on gobe de temps à autres un raisin. On est rebelle tu vois, on travaille gratis on peut bien grignoter un grain ou deux. Sourire amusé, Ellen, on t'imagine plus maître de maison tout en subtilité, qui sous ses grands sourires prépare des plans qui dépassent l'entendement. La figure du grand guerrier, ça nous semble surprenant. On se demande si tu vas au combat dans tes sublimes tenues et avec tes perles. On comprendrait, quitte à mourir autant le faire dans ses plus beaux habits.

— Disons que bibi sait très bien fuir et esquivé.

On est pas un guerrier tu vois.

— Fin, j'irais pas jusqu'à dire que je sais me battre, mais je sais me défendre et survivre, j'imagine que c'est un début. Mais si tu veux un garde du corps personnel et de l'avis de tous sympathique et plutôt beau garçon, je veux bien prendre de cours pour satisfaire tes critères, Duchesse.

Sourire, admire comment on a les dents blanches, Ellen. Sourire d'autant plus fier quand on jongle avec quelqu'un grain avant de les poser délicatement dans le panier, parce qu'on vaut pas te faire faire une syncope non plus.

— .... Je suis la meilleure main d’œuvre que tu trouveras, Ellen. Je suis tellement meilleur qu'il serait peut-être pas culotté de ma part d'espérer pouvoir pioncer au pied de ton lit ou sur ton canapé après mangé ? C'est que la route est longue et olalalalala comme je me fais vieux Ellen, si tu savais !

Ça pourrait presque être convainquant si on avait pas fait une dizaine de clins d’œil idiots entre temps.