Entre sans frapper dans la demeure Asmodée. L'habitude collée au corps par les années. Tout droit dans la gueule du loup.
Elle a disparu de la circulation ces derniers jours, ces derniers temps. Asmodée s'inquiète, il a ce mauvais pressentiment qui bat au fond de sa tête. Comme s'il avait raté quelque chose, manqué à son devoir.
Protéger ceux qu'il aime. Blanche est de ceux-là, ceux qui l'ont toujours traité comme un égal. Homme de main, homme de confiance.
- C'est moi.
La voix grave emplit la pièce vide et les yeux rouges balaient l'endroit. C'est morbide, c'est béant. Il cherche la louve dans les pièces et la trouve, allongée sur son lit, endormie.
Elle a l'air du moins.
Et sa peau pâle, ses joues creusées. Asmodée, du coin de l’œil voit bien qu'elle ne va pas bien.
- Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
On ne demande pas si c'est à cause de Belial. On le sait. C'est forcément lui, il n'y a que lui pour te mettre dans cet état, pour te bouleverser autant. Et dans ses poches, il serre les poings.
Appartement plongé dans le noir, depuis plusieurs jours. Depuis ton départ et ton hospitalisation, laissant l'antre de la louve vide. Mais même depuis ton retour, datant de la veille. Lumières éteintes, rideaux entrouverts, filtrant la lumière timide de cet astre lunaire régnant éternellement sur cette ville qu'était Halloween City. Tanière baignant dans une drôle d'ambiance, sordide. Si, d'habitude, l'appartement était chaleureux, en accord avec ce que la tentatrice lupine dégageait, ce soir, il n'y régnait qu'un silence pas à sa place. Quelques verres vides, accompagné d'une bouteille. Pas de vin rouge, mais bien quelque chose de plus fort. Étrange, et plus qu'inhabituel. Une odeur de sang, légère mais présence. Incrusté dans les dalles de sa salle de bain, lieu de crime, et à cause de ces bandages changés et abandonné sur la table, et dans la poubelle.
Étendue dans son lit, la bête trouve le repos. Difficilement. Elle n'est plus capable de profiter d'une nuit paisible ces dernières semaines. Et la douleur, physique, tirant tout le long de son bras, est ironiquement bien le cadet de ses soucis. Corps délaissé, couvert d'une robe de nuit. Satin noir qui couvre ces seins, et dentelle noire semi-opaque sur ce ventre creusé et pâle. Ses yeux ne sont pas fermés, mais plutôt rivés vers la fenêtre qui lui fait face, et qui lui permet d'observer le ciel depuis sa couche. Et cet avant-bras, gauche, dissimulé sous la couette, entouré tout entier de bandage un peu trop serré, pour dissimuler cet instant de faiblesse, cette fragilité, cette honte.
La fatigue te tiraille tant, Blanche, que tu n'entends qu'à peine cette porte s'ouvrir. Ces pas s'avancer. Il pourrait s'agir d'un rival désirant ta peau... Il pourrait venir la récupérer sans peine. Mais c'est une voix familière qui résonne et s'annonce. Pourtant, pour le moment, tu ne bouges pas. Tu avais prit grand soin d'éviter tout le monde depuis ton... Accident. Aucune envie d'étaler ta faiblesse devant tes rivaux, certes, mais encore moins devant tes alliés, ta famille. Mais cette nouvelle résonne. Et ce n'est qu'après quelques secondes, que ta voix, fatiguée se fait entendre en retour.
« ... Quelle adorable façon de dire que j'ai une sale gueule, ce soir... Moi aussi j'suis ravie de te voir, Asmo... »
Au moins, on ne t'avait pas enlevé ton humour ironique et acide. Et malgré le son grinçant de cette gorge nouée, ton invité surprise peut malgré tout toujours sentir cette touche d'affection qui t'habite quand il est prêt de toi. Non sans une légère difficulté, que tu dissimules au mieux, tu viens te redresser du bout des bras dans ton lit... Pour venir t'y asseoir et tourner tes yeux miels sur ceux carmin du bourreau. Tu le balayes d'un œil, le jauges... Et d'un geste de la main, dépliant tes longues griffes acérés... Tu désignes la bouteille à moitié vide de whisky qui trône sur ta commode... Et qui explique l'odeur d'alcool omni-présente, et pas seulement celui qu'elle pouvait utiliser pour désinfecter la ligne qu'elle avait tracé de son doigt le long de son bras gauche.
« Qu'est ce que tu fais là?... »
Aucun reproche, aucune animosité. Plutôt sa manière à elle de dire, de faire entendre, essayant de jouer la carte de la légèreté, surement la meilleure solution pour elle, d'esquiver au mieux ce sujet fâcheux.
« Si j'avais su que tu comptais me rendre une petite visite, je me serait apprêtée... »
Sourire. La louve n'a rien perdu de sa superbe et les mots claquent précis et fiers. Il doit se retenir de s'approcher, il doit se retenir d'aller vers elle et d'effleurer son front, vérifier ses blessures si elle en a.
Besoin irrationnel, désespéré de s'assurer qu'elle va bien. Mais Asmodée se retient. Il sait que Blanche n'apprécierait pas ses soins aussi sincères et tendres soient-ils.
- Je n'ai rien dit de tel, tu surinterprètes, comme d'hab.
Quand elle se redresse, Asmodée ferme les yeux. Pour éviter ce regard si perçant, pour t'épargner le feu de ses yeux. Parce qu'il sait que tu es capable de t'y confronter mais il s'y refuse.
Tu ne mérites pas ses yeux. (celui qui t'a mis dans cet état en revanche)
Il saisit la bouteille de whisky qu'elle désigne du bout des griffes. Il sert deux verres et lui en tend un. L'odeur de l'alcool emplit déjà la pièce et lui en donner n'est pas forcément la meilleure idée qu'il ait eu. Mais ... mais on ne peut lui refuser ça.
Il a capté du coin de l'oeil, la faiblesse de ses bras (de son bras) mais ne relèvera rien dont elle n'ait pas envie de lui parler même s'il en meurt d'envie.
- Je m'inquiétais. J'ai entendu des rumeurs qui disaient que tu avais été hospitalisée.
Il tire une chaise et s'y assoit, courbant sa grande carcasse pour venir auprès d'elle. Incapable de le réprimer, du bout des doigts, il vient saisir une mèche et tendrement la replacer derrière son oreille.
- Dis pas de conneries, tu es très bien.
Il se redresse, s'affale contre le dossier. Boit une gorgée de whisky.
- J'ai hésité à te prendre une carte musicale, tu sais, celle qui chante "bon rétablissement" avec la voix de la Reine Blanche. Mais j'me suis dit que ça ferait tâche sur ta table de nuit.
Rire doux. Il se retient de t'assaillir de questions. Ce n'est peut-être pas ce dont tu as besoin. Juste d'une présence. Il sera cette présence.
Asmodée fait parti de ces rares privilégiés devant lesquels tu ne sais que peu dire non. Si ce fut n'importe qui d'autres qui se tenait à sa place, auprès de ton lit, sans y être invité, à te voir telle que tu es vraiment, surtout en cet instant, animal blessée... Tu ne te serais pas gêné pour chasser l'inconscient comme une belle diablesse, quitte à jouer de tes griffes ou de ton don, quitte à rouvrir ces blessures. Mais c'était lui, alors il en avait le droit. Même si tu n'as aucune envie d'exposer tes plaies, ta faiblesse. Parce que tu ne veux pas lui manquer de respect. Et ne pas être la femme forte et irréprochable que tu te dois être... A tes yeux, c'est le décevoir et le trahir, et il n'en est pas question.
Alors, c'est bien pour ça que tu te tiens le plus droit possible, au creux de ces draps de satin. A défaut d'être sûre de pouvoir tenir debout (et inimaginable pour elle de vaciller ou tituber sous ces yeux, maudits mais précieux) C'est du bout des griffes, et d'un hochement de tête en guise de remerciement, que tu récupères le verre qu'il a daigné t'offrir, caprice stupide mais nécessaire. Tu ne bronches même pas quand il te recoiffe d'une main attentionnée. Un geste qui t'arrache un frisson. Parce qu'on a beau t'avoir des centaines de fois aimé, de cent façons différente... La sincérité de l'affection que vous vous portez mutuellement et bien plus agréable que bien des orgasmes.
« Et bien comme tu peux le voir... Je vais pourtant parfaitement bien ! Il faudra que je pense à trancher la gorge de ceux qui osent faire courir de telles rumeurs ~ »
Oui, tu as l'audace de prendre ça à la légère. Surement pour dédramatiser la situation. Adoucir le fait que, si tu t'y étais mieux prit... Tu ne serais plus de ce monde pour en rire. Regrettais-tu ton geste... Ou le fait de l'avoir raté? Difficile à dire. Tu étais un véritable puzzle à déchiffrer, parfois, et qui voudrait s'ennuyer à essayer? Le bout de tes lèvres trempes avec un certain plaisir, difficilement dissimulé, dans le remède qu'il t'a servit. Une gorgée qui te brûle l’œsophage, mais qui t'offre tellement de bien. N'étais-tu pas la première à trouver bien trop de plaisir dans la souffrance? Ce qui expliquait bien des choses... Puis, un rire bref, mais sincère, alors que tes yeux d'ambres se fixent un instant sur les larges mains d'Asmodée au fond de son siège.
« Tu aurais du... J'aurais au moins eut de quoi me défouler, je manque d’exercices dernièrement. Cela aurait fait une reine que j'aurai pu réduire en miettes, littéralement... Mais surement trop facilement. Ca gâche le plaisir, mmh? »
Un air pensif passager, qui quitte aussi vite qu'il y est venu ton visage de porcelaine. Du bout de ses griffes, elle balaye ses propres mèches blanches, comme pour finir le travail du bourreau et te donner l'air d'être coiffée, un peu. Tu sais qu'il sait. Il n'est pas dupe et il ne l'a jamais été. Surtout quand il s'agissait de connaitre ta façon de marcher, Blanche. Alors, comme pour tenter de se sauver, ses lèvres se mouvent à nouveau. Et sa voix résonne.
« ... Les affaires tournent bien ? Je n'aime pas prendre des congés, il se passe toujours quelque chose quand je ne suis pas la pour veiller sur vos bêtises. Qui est-ce qu'on doit tuer, cette fois? »
Faible éclat de rire qui accompagne cette conclusion.
« Tu sais que pour tes beaux yeux, je tuerais n'importe quoi. »
Vous êtes une bien drôle de famille, vous les Dark Shadow. Mais une famille quand même. Pour qui, Blanche, tu ne rechignerais jamais de tuer. Parce qu'à défaut de prendre soin de toi, tu peux, tu dois veiller sur les autres. Surtout ceux qui comptent. Comme Asmodée. C'est un rôle qui te sied à ravir. Celui de mère, amie, gardienne vengeresse. Bien plus que celui de la bête blessée qui tente maladroitement de faire comme ci de rien était.
Jamais tu ne vacilles, Blanche. Perfection hautaine et arrogante. Si droite, pour soutenir le monde. Il aimerait, Asmodée que parfois tu t'écroules et qu'il porte ton fardeau à ta place. Que l'espace de quelques instants, tu respires et légère, tu avances.
Ne serait-ce que quelques pas.
Sourire tordu alors que d'une parole, tu balayes ton état déplorable. Il le voit, tu le sais mais tu continues de prétendre.
- Sois sans crainte, ils se taisent déjà.
Il y a veillé Asmodée, il sait la grandeur que tu inspires et tes faux pas, personne non, ne doit en entendre parler. Il a laissé trainer ses sales yeux sur les fous qui osaient parler, qui osaient mentionner la faiblesse de la louve.
Détruire une carte qui chante, quelle idée. C'est celui qui t'a poussé jusque là qu'il faut détruire. Mais tu n'en es pas capable, hein Blanche ? Il n'est pas idiot Asmodée, depuis les quelques années qu'il est là, il a bien vu, du coin des yeux, les passions dévorantes qui vous agitent. Toi et Belial.
Aveugles sont ceux qui l'ignorent. (ou alors, Asmodée est simplement attentif (trop) à ceux qu'il aime)
Elle rit et il rit aussi. Noir le rire, sombre le rire. Les affaires tournent évidemment bien. Il hoche la tête. Sourire.
Ah oui ? Pour ses beaux yeux ? Drôle de formulation, drôle de nom pour ce regard maudit si cher à la secte. Si pratique. Terrifiant et Asmodée dans les couloirs du manoir parfois s'agace et frémissent les imprudents.
- S'il faut vraiment donner un nom à éliminer, peut-être commencer par celui qui depuis des années te malmène.
Sujet dangereux, il le sait. Il fixe le verre entre ses mains, serre les doigts.
- Je ne veux pas savoir ce qu'il s'est passé. Mais ne me prends pas pour un idiot. Si tu es dans cet état, ça ne peut être qu'à cause de lui.
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