l'étang avait quelque chose d'apaisant.
soumis à l'appel de l'eau, surtout quand ses pensées étaient troublées, ses pas finissaient bien souvent par l'y mener.
comme une horloge parfaitement réglée.
énergie nerveuse qui vibre sous sa peau, devenue une habitude.
il peut partir, il le sait.
mais pour aller où ?
pour faire quoi ?
il n'a plus rien, tout a été laissé derrière lui, dans sa fuite désespérée-
grimace, yeon, sous le tambourinement du mal de crâne qui ne fait que s'intensifier depuis des heures.

il avait déjà fuit le soleil, préférant l'ombre d'un grand arbre.
tout pour se soustraire aux rayons de l'astre.
au fond, il sait qu'il devrait rentrer.
dormir, et espérer que ce qui l'affecte s'estompe.
et c'est ce qu'il s'apprête à faire, fait mine de se relever, croise le regard de sasha.
surprise qui cède sa place à un sourire un peu trop large.
comme si rien ne s'était passé.
c'est sans trop chanceler — ou grimacer, qu'il se hisse sur ses deux pieds, ouvre les bras pour le serrer contre lui.
mais bien vite, trop vite, il lui file entre les doigts.
pathétique pathétique pathétique

— il n'y a aucun problème, tu es le bienvenue ici, mais ça, ellen doit te l'avoir rappelé.

s'il allait bien ?
mentalement ?
ce n'est absolument pas le cas.
physiquement ?
j'ai déjà été plus en forme.
hoche la tête, yeon.

— rien de particulier, je... réfléchis.

ton plus réservé qu'à l'accoutumée, ça le fait grincer des dents.

— mais ce n'est pas important. quel bon vent t'amène à crims ? c'est un peu loin de christmas town- pas que je ne sois pas heureux de te revoir, au contraire ! juste-

inspire.

— et toi, comment vas-tu ?

son expression se fait instantanément plus sérieuse, à la mention de sa mère.
se souvient du sujet sensible, yeon.
mais il semble serein, indiquant que tout s'était bien passé à ce niveau — tension qui quitte peu à peu les muscles de son visage.
définitivement chassée quand il évoque la différence de température entre christmas town et le royaume de coeur.
son rapide séjour dans la ville enneigée avait suffi à cimenter son aversion pour le froid.
c'est joli, la neige, mais pas pour lui, pas en grande quantité.
sourire amusé aux lèvres, il secoue doucement la tête.

— il fait bon vivre, tu veux dire. pas besoin de se déplacer avec un manteau et des bottes, au risque de dire au revoir à ses orteils.

lui confirme qu'il va bien, sasha, après un instant de flottement.
risette toujours en place, même quand leurs regards se croisent de nouveau.
ça le rassure, au fond, de retrouver l'aisance familière qu'il avait avec lui.
mais quand ses doigts trouvent les siens, rien qu'un instant, il reste figé.
ombre fugace dans ses prunelles écarlate.
étouffe ce que l'euphoria avait fait remonter à la surface, yeon.
il n'a pas envie de rendre les choses plus compliquées qu'elles ne le sont déjà.
et toi ? t'as l'air fatigué.
il perd son air détendu, sourcils légèrement froncés.
pourquoi se montrait-il aussi insistant ?
soupire, avant d'abdiquer.

— je le suis. je ne sais pas. je ne me sens pas très bien depuis ce matin, mais rester à l'intérieur m'agace, alors j'ai décidé prendre l'air.

et, comme pour illustrer ses propos, la douleur diffuse, qui jusque-là était restée supportable, se fait plus poignante.
inspire, en reculant pour s'asseoir de nouveau dans l'herbe.
il désigne l'étang, d'un vague mouvement de la main, alors l'autre reste serrée contre sa cuisse.

— et j'aime bien venir ici.

c'est tranquille, lui permet de réfléchir.
lève les yeux vers lui, yeon.

— tu songes rester combien de temps ?

s'il voulait qu'il parte ?
ça en est presque risible, à quel point ses yeux s'écarquillent, l'offense bien lisible sur son visage.
ce n'est pas ce qu'il sous-entendait, yeon.
véritablement curieux, concernant son séjour.
égoïste, aussi.
regard qui suit sa main, reste fixé sur l'eau un instant de trop.
ça le fait sursauter, le contact sur son front, puis doucement reculer.
lèvres qui se pincent bien malgré lui, réticences bien scellées derrière celles-ci.
il n'a pas envie de l'inquiéter, mais se taire ne ferait qu'accentuer sa curiosité.
et les questions qui viennent avec.

— aucune idée, je-

reste tétanisé, quand ses doigts trouvent les siens, sur sa jambe.
il doit se faire violence pour ne pas ramener sèchement son bras contre lui — relâcher la pression n'aiderait pas, être aussi distant non plus.
qu'est-ce qu'il déteste se sentir dans un état déplorable.
il était mort une fois, et même après cela, il n'était pas à l'abri des caprices de son corps.

— non. enfin, si, j'ai pensé à m'hydrater.

avant de sortir.
il y a quelques h e u r e s.
secoue la tête, yeon.

— c'est rien, c'est pas grave.

on peut parler d'autre chose ?

ça ne lui prend qu'une seconde pour réaliser la grossière erreur qu'il venait de commettre.
trop pressé de changer de sujet, sans faire attention à la réelle inquiétude qu'il lui porte.
une partie de lui est touchée.
l'autre ?
l'autre s'agite au ton de sa voix.
à la colère qui lace ses mots.
serre les dents, yeon, à le fixer sans détourner le regard — sa propre irritation nageant dans ses iris.
contrôle qui s'étiole, jusqu'à disparaître.
les remontrances l'agacent
je n'ai pas demandé à ce que tu t'inquiètes pour moi
pression qui augmente, craquement dans sa mâchoire
encore moins te faire pitié
inspire.
pars pars p a r s
non-
reste, pardon, je ne voulais pas-

expiration tremblante qu'il doit forcer hors de ses poumons.
c'est qu'il n'arrive plus à le regarder en face — ses excuses tombent dans l'oreille d'un sourd.
il les a entendues.
les comprend, quelque part.
trop occupé à reprendre les rênes de son pouvoir.
trop occupé à se souvenir comment respirer.
papillonne des yeux, en portant une main à son cou.
pardon pardon pardon
tourne la tête vers sasha, esquisse un sourire.

— non- tu.

souffle trop court qui le fait froncer les sourcils.
attends quelques secondes, yeon, poitrine qui se soulève irrégulièrement.

— tu as raison.

il ne fait aucun effort, devenu complaisant dans son malheur trop familier.
rire qui se meurt avant d'avoir pu franchir ses lèvres.
ah.

— arrête de t'excuser.

enfonce ses ongles dans sa peau, gratte.

il a envie de se recroqueviller sur lui-même.
de disparaître.
mais ses jambes l'élancent, plus que quelques instants auparavant.
et couplé à son apparente incapacité à respirer correctement, il panique doucement.
sensation étrange, de se faire trahir par son propre corps.
secoue la tête, yeon, ridiculement borné même dans sa détresse.
sa faute ? qu'est-ce que porte-malheur aurait à voir avec-
déficience respiration et urticaire.
allergie ?

— je- jamais eu de crises.

tente désespérément de calmer les battements frénétiques de son coeur.
de se calmer, lui.
main qui retombe au sol — irriter son épiderme n'aide pas, ajoute seulement une sensation de picotement désagréable à tout le reste.
il doit se retenir de rouler des yeux, quand il menace de s'excuser une énième fois.
ses mots lui ont fait du mal, certes,
ils l'ont rassuré, aussi, d'une certaine façon.

— besoin qu'on me dise les choses clairement.

c'est qu'il trouve malgré tout le moyen de sourire.
sauf que ça ne dure pas bien longtemps.
respiration toujours trop courte.
grimace qui remplace le rictus, notant que sa vision se fait de plus en plus floue avec un détachement déconcertant.
ses poumons ne semblent pas apprécier le manque d'air.
ou le contraire.
douleur lancinante au niveau des côtes, qui le fait finalement se replier sur lui-même, malgré ses muscles raides.
le frottement de sa chemise contre sa peau, à chacune de ses inspirations, ne jette qu'un peu plus d'huile sur le feu.
il nage en plein délire, lorsqu'il commence à maladroitement déboutonner son haut, cherchant à s'en débarrasser le plus rapidement possible pour atténuer le contact.

ses doigts s'arrêtent quand son regard tombe sur les fines lignes qui zèbrent désormais sa poitrine.
il ne pensait pas, au réveil, que les quelques ridicules symptômes dégénéreraient ainsi — ne sait pas non plus s'il doit en rire ou en pleurer.
n'est pas apte à faire ni l'un, ni l'autre, de toute façon.
il déteste wonderland.

— hey-

gorge parcheminée dans laquelle s'ébrèche sa voix sifflante, piètre tentative de communication.
quelques heures, sans boire, hein ?
lève le bras — l'autre serre maintenant son torse, yeon, pointe l'étang.
parce qu'au point où il en est, autant s'étouffer avec l'eau du bassin.

c'est qu'il ressemble davantage à une poupée de chiffon, quand sasha le soulève, le prend dans ses bras.
on aimerait offrir un quelconque support, ne pas être un poids mort.
pathétique pathétique pathétique
points noirs qui dansent dans sa vision.
ah, il n'a pas envie de tourner de l'oeil, être plus inutile qu'il ne l'est déjà.
à l'accabler une énième fois avec ses problèmes.
doute, toutefois, avoir été apte à se traîner jusqu'à la berge, s'il n'avait pas été là.
ce n'est pas le verglas qui aurait eu raison de lui, mais plutôt lui-même.
c'est ridicule.

la première inspiration — une fois le choc passé, eau plus froide que l'air ambiant et lourd, est libératrice.
ferme les yeux, yeon, se concentre sur l'air que son pauvre corps semble enfin pouvoir apprécier à sa juste valeur.
branchies qui se soulèvent en rythme avec sa poitrine.
c'est... étrange.
sensation peu familière qui le fait froncer les sourcils, mais toujours trop faible pour réellement s'y attarder.
il faut croire que respirer correctement est une notion qu'il avait pris pour acquise, et ô comme wonderland s'était amusé à lui prouver que ce n'était pas le cas.
paupières qui se soulèvent, croise le regard de sasha — sourire mi-figue, mi-raisin aux lèvres.

— ce n'était p- pas voulu.

il se serait bien passé de tout ça, yeon.
reste immobile quelques secondes de plus, constate que ses pieds s'enfoncent dans la vase.
qu'il est assis, dans la vase.
grimace qui tord ses traits.
ça va mieux ?

— oui.

s'appuie contre lui, à défaut de céder à l'envie de se hisser hors de l'étang.

— mes vêtements, non.

il plisse le nez, en tentant d'étirer une jambe.
membre qui proteste presque aussitôt, le fait trembler et resserrer sa prise sur lui.

— pourquoi- aujourd'hui ? je n'ai pas envie de passer l'après-midi à agoniser parce que la vie a décidé de me lancer une autre saloperie sur le coin de la gueule.

frustration palpable qu'il étouffe — refuse de perdre le contrôle une deuxième fois.
rouge qui lui perle aux bouts des doigts.

contact sur sa nuque qui le fige sur place.
à peine avait-il retrouvé la capacité de respirer, qu'elle s'envole de nouveau.
secoue doucement la tête, force ses poumons, ses branchies, peu importe, à s'activer, tout en ignorant allègrement les battements de son coeur qui résonnent dans ses oreilles.
l'écoute, malgré tout le boucan causé par le myocarde.
laisser la transformation continuer sa course ?
lâcher prise ?
il n'en a pas envie.
souhaite que les choses restent telles qu'elles sont, sans mauvaises surprises.
se hérisse, yeon, expression outrée bien en place sur son visage quand il relève la tête vers lui.

— princesse-

ton pétulant qui contraste avec le sien, mais sa répartie se meurt dans sa gorge.
retirer ses vêtements ?
sourcils qui disparaissent sous les mèches de cheveux qui lui retombent sur le front.
c'est qu'il n'a pas le temps de réagir, train de pensées qui s'est arrêté net, que sa chemise glisse déjà de ses épaules.
fini par être en sous-vêtements, yeon.
dans un étang.
dans la vase.
après qu'il l'ait déshabillé sans plus de formalités, ou de protestations de sa part.
trop faible pour opposer une réelle résistance, et définitivement trop interloqué pour traiter l'information comme il se doit.
et quand son cerveau percute enfin, il blâme le manque d'air précédent et la douleur, qui le font délirer.
oui, voilà, c'est ça, et son visage ne s'est définitivement pas empourpré pour s'accorder à sa tignasse.

— tu-

s'étouffe pitoyablement sur ses mots, quand il se retourne vers lui.
à le fixer retirer ses vêtements.
il préfère agoniser et asphyxier en silence.
ne pipe pas mot tout de suite, lorsque sasha le rejoint de nouveau, s'enquiert de son état.
chaque stupide fibre de son stupide corps semble s'être enflammée, l'exhorte d'abandonner et de simplement accepter que oui, ça se passait maintenant.
que non, il ne pouvait rien faire pour y échapper.
serre ses bras contre son torse, les yeux posés sur l'eau trouble.

— je présume, oui.

prudent. résigné
terrifié, surtout.