L'obscurité. Cela fait des jours qu'il fait noir. Ils ne te laissent jamais voir, à peine parler, même pas hurler. T'as eu tout le loisir de réfléchir, d'encaisser l'idée d'être à leur place aujourd'hui.
Tout ceux que tu t'es amusé à briser Alastor.
Et par ego, tu t'en veux pas. Tu regrettes rien. Tu te forces à encaisser la douleur ; t'imagines comme un sacrifice nécessaire pour servir la cause.
Espères secrètement malgré tes idéaux un jour sortir d'ici, t'ériger en martyr pour mieux les détruire. Mais tu te doutes que pour toi c'est foutu. Judas dirigera la secte, comme il était prévu depuis le début. Lui as cédé les pleins pouvoirs avant de partir.
Une partie de toi acceptait la probabilité de ne jamais revenir.

Des doigts sur ta peau et l'odeur est reconnaissable entre mille. Un parfum fort qui vient contraster (à peine masquer) la puanteur des cachots.
Tes yeux ont du mal à s'habituer aux formes, tu bats des cils et posent un regard fermé sur son visage. Si pur, si lisse, immaculé par rapport à toi - couvert de crasse et de sang. Beaucoup de membres cassés.

D'abord tu ne réponds pas.
Tu la toises, paupières mi-closes, lèvres fendues.
L'observes se déplacer comme un prédateur aux aboies. Avant de te racler la gorge et de lentement tirer sur tes chaines pour réveiller les muscles de tes épaules.
Ta voix est grave, caverneuse, éteinte. Sans intonation particulière.

— « Judas n'est pas assez bête pour venir jusqu'ici. Il va reprendre la secte et faire vivre mes idéaux. Je n'étais que la tête, les pattes peuvent encore bouger. »

Tu as l'air de réciter une leçon.

— « La tête, c'est lui maintenant. »

Sourire faible.

— « Bonne chance avec ça. »

Tu es confus Alastor, éteint. Tu ne sais plus ce que tu dis, et tu ne te rappelles que vaguement avoir dit ce qu'elle te souligne. Un sourire étrange s'étire et tu baisses les yeux, des perles de sang séchés encore coincées dans tes longs cils.

— « Ah, oui. Peut-être. »

Tu n'as plus beaucoup de force Alastor, sembles vraiment déjà mort à mesure qu'elle te tourne autour. Jouerais-tu la comédie ? Te préparerais-tu silencieusement à un nouvel acte ? Personne ne le sait - parce que personne n'est dans ta tête.
Mais Opal sait pertinemment qu'il est dur de briser la coquille pour atteindre ce coeur inexistant, et que la douleur est certes insupportable mais que tes ambitions demeurent inébranlables.

Tu relèves un oeil, l'observes.
Calcules silencieusement à quelle distance elle se trouve de toi.
Aurais-tu encore un peu de ressources pour utiliser tes pouvoirs ? Engloutir cette tâche blanche de noir, pour taire cette vision infâme - faire choir au sol les regrets qui te bousillent corps et âme.

Mais elle te stoppe dans ton élan, ravive une flamme dans le fond de tes yeux alors que tu t'étrangles.
Tu déglutis, gorge sèche. De l'eau, bordel, de l'eau.

— « Pourquoi... tu me poses cette question ? Tu sais très bien. »

La défies du regard, la jauges d'une colère sourde. Elle fait remonter des souvenirs violents.

— « As-tu vraiment envie d'amener cette discussion là ? »

Mais réponds, tout de même.

— « Gin. »

Elle disparait, revient avec de l'eau et un linge. Tu la toises avec dédain mais la laisses t'approcher, immobile et maussade. Elle t'avertit et tu trouves la force d'étirer un rictus. Tu n'es pas assez stupide pour gâcher un tel breuvage - cela fait combien de jour que tu n'as pas pu en avoir ne serait-ce qu'une goutte ?
Tu te désaltères puis bascules la tête en arrière, quand elle t'essuie le visage.

— « Si tu peux passer par tes petits portails pour aller me ramener du rhum. Je serais presque capable de te pardonner. »

Passes ta langue sur tes lèvres.
L'humidifies et l'écoutes, déglutis aussi.
Pour l'instant tu demeures calme (tu es bientôt à bout de forces, tu économises celles qu'il te reste) - et écoutes le seul conseil valable que t'as donné Ambre.
Prendre des informations, jouer avec les ombres.

Même si... tu vas sûrement mourir ici, alors à quoi bon ?

— « L'illusion dans laquelle tu m'as bercé couvre à peine l'affront d'avoir osé revenir en homme après m'avoir abandonné pendant plus de dix ans. »

Tes prunelles s'illuminent, tout ton corps s'électrise, réveille les douleurs fantômes des tortures de la veille, éteint les espoirs vains sans lendemain.
Tu ne la crois pas.

— « Qu'est-ce que tu insinues ? »

Judas avait été formel. Judas n'aurait pas condamné quelqu'un dont il n'était pas certain.
Judas sait le sort que tu réserves au traitre. Un sort pire que la mort - dont seul Opal a réussi à réchapper aujourd'hui.

— « Qui ? »

Souffles-tu, à la naissance d'une rage dévastatrice.

Ne me fait pas croire que ça aurait été différent.
Tu baisses les yeux, ourles un rictus carnassier qui se meurt lentement dans la noirceur des aveux.

— « En effet, ça ne l'aurait pas été. J'aurai cherché par tous les moyens à te détruire. »

Et vous vous regardez, intensément. Tu cherches à retrouver la passion d'antan, au travers ces traits que tu chérissais (de la mauvaise manière) autrefois.
A la naissance de ton royaume, que vous n'étiez rien que des rats dans cette ville de la peur.
Tu ne l'aurais jamais laissé diriger à tes côtés, tu as volé ce manoir pour y construire ton trône, et tu t'es approprié - a lavé sa participation, avide d'être le seul roi de ce monde.
La seule reine que tu tolères sera à tes pieds.

Elle l'a compris, alors peut-être était-ce un châtiment du destin pour te punir de lui avoir tant manqué de respect ; qu'il te l'a fait disparaitre en lumière.
L'a fait aimer un autre.
Qui l'aimerait en retour.

Ses lèvres se glissent à ton oreille, alors que tu t'accroches à tes chaines. De plus en plus tendu. Déjà perdu.
Tu n'es pas prêt à l'entendre Alastor, car il ne peut y avoir qu'un seul menteur dans ce jeu - et c'est bien sûr celui à qui l'on ne peut mentir.

j u d a s
Et le monde s'écroule.
j u d a s
Et tu remets tout en doute.

D'abord dans le déni, tu te fais plus hargneux.

— « Tu mens ! Je ne te permets pas de te foutre de ma gueule une deuxième fois. »

Mais prendrait-elle un aussi malin plaisir à te mentir ? Tu la connais, tu décèles une certaine satisfaction à l'énonciation de la vérité.

Judas t'a donc trahi.
Ça te plonge dans une colère noire, ravive en ton sein une volonté enfouie dès que tu es entré dans ces cachots. Celle de tout détruire, de voir souffrir, de faire périr (de ta propre main).
Judas t'a donc trahi alors que tu te gonfles d'une aura vengeresse, tu fais grimper les ombres pour engloutir la cellule dans les ténèbres absolu.

Seule ta voix gronde.
Mauvais (et abattu).

— « Explique moi pourquoi ce chien t'aurait-il libéré sans prendre en compte mes ordres ?! »

Tu le tuerais Alastor. De tes propres mains, tu te l'es juré.
Et c'est pour ça que tu vas sortir d'ici. De l'enfer dans laquelle, elle, t'a plongé.
Ils vont te rendre fou.

Parce qu'il travaille pour Esthef Belgrade.
Les ombres retombent immédiatement. Tu as besoin de lumière Alastor, le visage figé dans le vide. Tu repenses à toutes ces années, à toutes les discussions, à l'arrivé de Judas au manoir - prisonnier insolent et audacieux que tu as décidé d'épargner et qui a creusé son trou au fur et à mesure. Qui a pris la place de n'importe qui pour devenir essentiel. Le seul que tu tolères, parce qu'il n'est pas comme les autres - un brin tempéré dans un monde chaotique et tempétueux.

Parce qu'il travaille pour Esthef Belgrade.
Ah il t'a bien eu ce chien. Après le marchand de glace, il n'a pas hésité à réitérer son entreprise, à infiltrer la secte de nouveau. Il a du jubiler oh, jubiler des informations de Judas. D'avoir place un pion aussi proche de toi.
Tires sur les chaînes violemment dans un cri de rage, à t'en casser les poignets Alastor, à briser le peu d'os qui ne le sont pas déjà.

— « Je vais le tuer. »

Le hurles pour être certain d'extérioriser.

— « JE VAIS LE TUER ! »

Le regard aussi fou que ton esprit détraqué. La terreur d'avoir confié l'avenir de la secte à un traitre. La colère d'avoir été stupide, naïf alors que tout le monde t'avait pourtant averti.
Ça brûle dans ta poitrine, consume ton cœur d'une rage inébranlable qui pourrait engloutir le monde tout entier autour de toi.

La haine d'apprendre ça de sa bouche a elle, dévasté par son petit sourire satisfait alors que tu fais craquer ton poignet droit dans un cri animal.
Souffles du nez, les larmes aux yeux.

— « Tu.. tu le savais. Depuis le début tu le savais... »

Rires déments qui résonnent sur les parois. Rire désespéré surtout.

— « Hahaha.... je suis entouré de menteurs, de traitres ou d'incapables... c'est parfait. »

C'est parfait.
Balances la tête vers l'arrière, alors que tu cambres le dos pour tirer sur tes muscles.
Te débat comme un fou furieux.
Oui, c'est ça. Fou et furieux. Les choses ne changent jamais.
A trop vouloir gagner tu t'es toi même enfermé dans la roue de la défaite.

— « Je peux pas... crever maintenant. »

Non, tu ne peux pas.
Tu ouvres les yeux Alastor, fixes le plafond. Les lèvres éclatées, entrouvertes.
Tu contemples l'immensité du vide, bats des cils pour en changer les couches et les prismes.
Non, tu ne peux pas mourir ici.
Pas avant d'avoir atteint ton rêve, pas avant d'accompli ta vengeance. Larmes qui perlent sur la peau fatiguée, grisâtre et ensanglantée, privée de lumière du jour depuis trop de jours.

Elle presse ses doigts sur ta joue et t'incite à baisser la tête pour que vos regards se lient. La rage au fond des prunelles qui s'animent d'un feu conquérant, tu fronces les sourcils Alastor.
La toise d'un mépris incertain, puis fermes les yeux, laisse couler les dernières larmes qui s'effacent. La douleur qui se lance dans ton poignet brisé est salvatrice, elle te permets de rester en vie, de ressentir de nouveau.

Tu auras tout le loisir d'y réfléchir Alastor.
Dans l'attente qu'on vienne de nouveau s'occuper de toi, convoquer Juliette et lui proposer de nouveau un marché - un échange.
Sauvegarder ta tête contre une âme innocente.

— « Un sacrifice.. »

Que tu murmures, exaltant d'un espoir insolent.

— « Elle cherche... un enfant... n'est-ce pas ? »

Sourire douloureux, mais carnassier.

— « Ça tombe bien, j'en ai plein. »