Quel jeu attrayant. Des règles simples – presque absentes ; tant que l’on obstrue pas au respect. Les mots restent aiguisés sans être assassin, ce qui rend ce divertissement sans fin. C’était surement à celui qui s’avouerait le plus indigné des deux, que reviendrait une défaite humiliante ? Oh, Ernest.

Tu n’es pas bon joueur, mais il fallait avouer, que ce divertissement aussi puéril soit-il, était en ta faveur. C’était surement pour cela qu’il s’osa à te traiter d’individu désaxé. Quel enfant. Immobile tu profites de ce flou qui brouille ton visage pour ne cacher aucun dédain – pas même celui qui s’est dessiné avec mépris et plaisir dans tes lèvres.

Coincé dans les carcans de mes limites, dîtes vous… Je n’ai jamais entendu commentaire plus plaisant. Quoi que les termes soient un peu dévalorisants, mais, vous savez… Moi je n’ai pas à plaire à tout le monde.
Personne ne peut prendre le luxe de te choisir ; personne ne trouverait le prix qu’est le tien pour obtenir le moindre plaisir… Car personne, Ernest, ne t’estime comme un objet. Un idiot, un calculateur, qu’importe – mais un homme, toujours.

Mais vous avez raison. Je reviendrai.
Quittant le mur qui te soutenait tu te mets à vadrouiller dans la pièce, tu applaudis trois fois, le regard curieux sur tout ce qui trouvait sa place dans la chambre des plaisirs. C’est dingue, tout ce qu’on pouvait trouver en commun entre un bordel et sa maison… A croire que ce que les gens cherchent loin de chez eux c’est l’image de ce qu’ils ont toujours eu.

J’observerais comment la déchéance que vous aimez semer vous consume. Je vous regarderai devenir fou de haine, de passion, peu importe... Parce qu’enfermez dans cette pièce où tout ce qui vous anime se résume à votre corps, mon cher Monsieur Grey, alors vous aurez tout le temps du monde de vous rendre compte d’à quel point vous n’êtes qu’un jouet pour les curieux, pour les envieux. Elle était bien, cette métaphore, sur les livres… Vous verrez comme à force de vous manipuler, de vous lire, de se limiter à la quatrième de couverture ou de tourner trop vite les pages ; vous finirez aussi usé qu’inintéressant.
Mais tu n’as pas la prétention de finir tes mots avec autant de théâtre qu’il l’eut fait.

Je reviendrai. Et vous me demanderez de cesser. Parce que vous détesterez que quelqu’un se permette de regarder votre déchéance en silence…

Non. A sa première réponse tu secoues ton visage : non, non, non. C’est stupide, insensé. C’est infondé, même, s’il faut exprimer ton opinion avec plus de style. C’est absurde. Devoir plaire à tout le monde ? Sous quel ordre ? Tout objet, sombre dieu ? Ta tête ne cesse de danser de gauche à droite : tu réfutes chacun de ses termes pour ne pas qu’ils parasitent ta tête… Pourtant ils le font. Trainent. Voleront ta nuit avec leurs questions et tu lui en voudras ; à cet homme de fortune, de s’être permis de tant de non-sens simplement en respirant.

Tu te reportes à ton café ; t’en abreuve comme pour faire couler la colère – amère, noire. Il faudra plus qu’un sucre pour adoucir l’aberration de sa pensée, il faudrait même bien plus que toi pour le sauver de ses tourments… Oui, c’était cela. Des tourments. Qui le consument comme un virus, une chose de la sorte : c’est pour ça qu’il s’empêtrait dans sa parole abrutissante.

Je ne plais pas à ma Reine. Mes pensées plaisent, et quand elles déplaisent elle s’en accommode malgré tout pour croire en la raison. Ce qui plait à Juliette c’est que tout se passe pour son intérêt. C’est différent. On ne plait pas à tout le monde – on ne se plait pas toujours à soi-même Monsieur Grey. Mais vous semblez vous aimer assez pour croire que votre bouche ne déblatère que des prouesses d’intelligence. Vous êtes attristant.
Ah, d’une parole qui t’échappe, la fureur déglutine, se répand, t’échappe. Tu aurais voulu peser tes mots Ernest ne pas laisser trainer derrière toi un excès aussi juvénile, et pourtant. Tu inspires ; déposes ta tasse avec assez de lenteur pour te convaincre qu’il fallait te calmer.

Mais je ne suis pas même encore parti que je vous manque ? Vous êtes vraisemblablement de ces individus qui appelle la souffrance « plaisir ». C’est assez prétentieux, par ailleurs, de croire que je reviendrai pour votre bon plaisir uniquement… Alors que je passerai juste noter comment la corruption de vos songes finissent par entailler votre esprit…
Te mouvant jusqu’à sa place qu’il n’a daigné quitter pour te parler, tu sors de ta poche portefeuille et argent.

Vous êtes un spécimen intéressant, je vous le concède. Du désespoir à l’état pur, quoi qu’encore un peu empêtré dans sa folie. Un nouveau-né dans le chaos, en somme. J’ai hâte. Monsieur Grey. De vous retrouver plus torturé que jamais. J’espère alors, ce jour… Contribuer à votre misère.
Les billets parlants, comme des gouttes au rythme de tes mots, tu laissas trainer sur son lit le tarif d’une nuit complète sans excès, ne parvenant à monnayer le coût de vos mots. Alors à ce prix-là toutefois, tu sais que tu as déjà un peu d’avance sur le paiement de vos futures entrevues ; réservant la première loge de ses futures décrépitudes.