L’emploi du temps se sacrifie partiellement ; tu avais trouvé malgré tes obligations loyales le temps de chercher de quoi répondre à ces interrogations qui fleurissent sans jamais perdre leurs pétales – et Dieu sait comme tu en as, des questions pour te garder éveillé tard la nuit, et tôt le matin.

Tu t’étais donc engouffré pour une seconde fois là où la débauche était un art, notamment celui de ne pas t’attirer franchement. Les pupilles fixent le premier qui se montrait presque égaré ; le happant par cet air sérieux qui glace le sang : aujourd’hui et malgré les traits qui se confondent, on discerne tes yeux perçants, aussi avides qu’incorruptibles.

Bonjour. Ernest Facenicht ; conseiller de Madame la Reine. Je pourrais avoir la liste détaillée du personnel ; ainsi que le descriptif des tâches selon les postes ? Je ne viens pas contrôler les incohérences, c’est à titre informatif. La dernière fois vous m'aviez déjà rembarré, j'ose ne pas subir la même chose aujourd'hui.
Sans plus prouver ton identité on n’ignore pas au pays rouge que celui qu’on ne reconnait jamais c’est pourtant toujours le même. Ton interrogé s’exécutant dans une absence quasi immédiate ; tu te demandais cependant s’il reviendrait avec le document escompté ; bras croisés. L’attendre ne te tuerai pas et, tu consentis dans un silence à rester ici trois minutes (et pas un quart de seconde de plus) pour recevoir tes renseignements imprimés à l’encre noire. Au-delà ; tu serais bien obligé d’admettre qu’il y a des secrets dont l’on veut te préserver – il te faudra alors enquêter de façon quantitative, à défaut d’avoir le qualitatif dans l’immédiat. Mais quelle perte de temps.

Et comme elles sont longues, les secondes ; quand traînent autour de toi tous ces corps et ces bruits propre à l’érotisme. La quiétude de ton bureau te manque soudainement alors que tu soupires, les paupières closes pour ne pas supporter trop de ce spectacle intime propre au Moulin Rouge. C’était jusqu’à ce que quelqu’un vienne mettre un terme à ton mutisme indolent.

Alors les yeux s’ouvrent à nouveau, s’abaissants au visage de quiconque t’accapare, comme sorti de leur repos – ils semblent dérangés, mécontents. Mais c’est simplement un air qui ne parvient à disparaitre, face à l’absence de toute autre mimique sur ton visage. Tu n'es pas méchant Ernest; juste trop franc.

Je ne suis pas venu en tant que client ; vous pouvez changer de cible, merci bien. Quoi que.
Scrute une seconde la montre à ton poignet mais les trois minutes ne sont pas encore révolues.

Non, rien.

Mais tu patientes, Ernest ; jusqu’à ce que s’écoulent les dernières secondes qui te liaient, professionnellement, à l’attente d’une réponse qui aujourd’hui encore finira par t’échapper.

Alors ton regard, agacé, finit par atteindre une seconde fois le jeune homme qui s’était tenté à t’accaparer. De par sa stature face à toi, il semblait être d’une fragilité trop précieuse pour un métier si dur – quel air étrange.

J’étais venu satisfaire une curiosité puérile. Mais il faut croire que la façon dont fonctionne le Moulin Rouge est un secret bien gardé. Ou peut-être je ne m’adresse pas à la bonne oreille.
Mais tu ne voudrais pas abuser du privilège de ton titre pour t’immiscer là où tu ne devrais pas être. Alors tes yeux dévisagent ton interlocuteur, puis vagabondent pour scruter la pièce. Tu finis néanmoins par céder à cette pensée qui te travaille en silence alors que tu examinais ton environnement.

J’ai du mal à comprendre pourquoi payer pour un rapport sexuel. Enfin, si ; c’est le principe de l’offre et de la demande, après tout. Auriez-vous quelques minutes à m’accorder?
Pensant qu’il t’inviterait dans sa chambre à l’abri des regards forcés, qu’on écoute pas tes questions et qu’on ne juge pas ses réponses, tu ne prétendais d’ailleurs pas avoir le moindre écart de conduite dans cet interrogatoire improvisé. D'une main dans la poche de ta veste; tu sortis ton portefeuille pour y compter ta monnaie sans y toucher.

Je devrais avoir assez pour vous avoir le reste de l’après-midi ; mais je ne pense pas avoir besoin d’autant de temps.

Pas le temps de dénombrer les billets Ernest tu avais déjà été tiré dans une chambre sans comprendre cet engouement presque strict, militaire – quelque chose que même toi, dans la hâte, n’infligeait pas sans consentement. Il ne fallut pas trop cogiter pour que tu comprennes ce qu’impliquait ces conditions d’accueil, entre le lit qui te sert de siège, et toi qui le sers lui. Ce n’était pas particulièrement ce que tu attendais d’un rendez-vous en tête à tête ;
pourtant cela prend sens. Ici, finalement, c’est ce que la moindre pensée devait dicter.

Chuchotements à ton oreille et en l’écoutant tu scrutes la pièce, distingue chaque détail comme épris d’une curiosité malsaine. Ça te rendrait fou, Ernest, de négliger le moindre détail, de rater ne serait-ce qu’indice… De ne pas remarquer ce qui pourtant traine sous ton nez.

J’ai déjà eu quelques réponses la première fois que je suis venu ici, toutefois j’aurai aimé que l’on me confirme ce discours.
Tes mains conquises dans les siennes tu n’en as pas véritablement besoin pour discuter : dans ta générosité questionnable tu lui laisses ce contact sans pour autant lui donner ses libertés. Tu avais donc saisi ses poignets, d’une délicatesse qu’on ne reconnait pas dans la douceur, mais bien dans l’agilité abrupt d’un soldat qui ne cherche que l’efficacité.

Je n’avais pas la prétention d’initier le moindre jeu – auquel cas j’en ignore les règles. Eclairez-moi, pour savoir qui gère ce bordel, que dois-je céder ? Vous avez mon argent dans ma poche. Piochez ce qu’il faut pour des mots, mais je ne paierai pas la moindre coucherie.

Impossible de comprendre ce qui avait pu provoquer cet infime rictus que tu décryptais sous tes yeux – de quoi s’amusait-il ? De savoir que tu venais ici pour la seconde fois ? Ou que tu étais prêt à payer pour des mots mais pas pour des ébats ? Plutôt exceptionnel pour quelqu’un qui finit assit sur des draps, les cuisses tenues au chaud par le corps d’un autre, il fallait l’admettre. Tu conclus donc que cette situation lui plaisait, quand soudain tu te renverses en arrière, son poids pour t’y forcer.

Et alors les règles deviennent plus claires et tu ne vois aucune raison de te débattre – même quand ses lèvres parviennent à effleurer les tiennes ; mais à la tradition des baisers tu ne respectes pas les fondements : tes yeux restent ouverts pour le scruter, sans gêne.

Plus crédible. A quel degré ? Ça n’arrive jamais que quelqu’un vienne pour un peu de compagnie ? Tant que le rendez-vous est payé. Je ne vois pas où ça pèche.
Comme une erreur de calcul dans le fonctionnement du bordel, tu te demandes pourquoi le client doit consommer pour ne pas se faire jeter. On aime pas le lèche vitrine ? On a peur des espions, des détraqués, de ceux qui jettent un œil et qui finissent par tout rafler ? En le laissant guider tes mains, tu te permets de lever son haut comme demandé, tes yeux qui regardent ce qu’il te dévoile. Tu es curieux, Ernest, et c'est ce qui t'as fait gravir les échelons.

Pas mon premier baiser non, et j’aurai du mal à tous les citer, mais passons. Un corps pareil, excusez-moi…
D’une main qui venue vers son torse pour l’effleurer du bout des doigts.

Vous faîtes du sport à côté ? Pourtant votre silhouette est presque frêle. De la gym ?
Avec une marge d’erreur suffisamment grande en tête pour que tu ne te détestes pas avoir eu les idées trop figées.