À genoux, un bandeau sur les yeux, Asmodée est jeté au sol. Il ne bouge pas, tend l'oreille. Il entend son coeur qui bat à ses tempes et son souffle qui résonne dans sa gorge.

À errer autour du manoir, les Dark Shadows ont fini par lui tomber dessus et malgré ses yeux assaillants sans relâche, ils l'ont rapidement maitrisé.

Leurs cris sonnent encore aux oreilles d'Asmodée et dans sa rage (démon) il regrette de ne pas les avoir menés à la folie. Arracher sa valeur par la force, que celui qui se trouve de l'autre côté de ce bandeau n'ait d'autre choix que de reconnaitre son utilité.

Asmodée, amnésique volontaire, ne connaît plus vraiment son passé. Mais il sait, sent que c'est au coeur du chaos qu'on a la liberté la plus absolue. Et si c'est eux qu'il faut servir, et s'il faut entendre des hurlements comme comptine, alors on le fera.

Que les chaines plus jamais ne nous entrave.

Des mots derrière lui, l'un des types qui l'a attrapé semble présenter la situation. On le rudoie, le redresse mais le bandeau sur ses yeux reste en place.

Les mains liées dans le dos, à genoux sur le sol du manoir hanté, Asmodée se tient droit.

Parce qu'il ne ploiera plus.

Derrière le bandeau, Asmodée ne peut qu'entendre ce qu'il se passe autour de lui. Le parquet eu haut des escaliers qui grince. Et il imagine le croque-mitaine à son sommet. À lui aussi, enfant, on a parlé du monstre des ombres, de celui qui se cachait sous les lits pour dévorer les marmots turbulents. Et lui, n'en avait aucune crainte, déjà fasciné par la nuit.

Et le sifflement est moqueur. Asmodée serre les dents mais ne laisse rien entrevoir. Son dos reste droit. Déjà, il déroule dans sa tête ses chances de s'en sortir. Faibles. Et le gourou les accroit d'autant plus. Grince des dents. Cette situation lui en rappelle beaucoup trop une autre, dans une autre vie.

Mais ici, ici Asmodée a du poids. Ses yeux en ont. Ils semblent intéresser le croque-mitaine qui descend. Le bois craque sous ses pas et le prisonnier ne bronche pas. Il sent l'odeur de la cigarette embaumer l'espace. Un mouvement face à lui et la fumée droit dans ses poumons.

Asmodée ne bouge pas.

- Faudrait leur demander pour être totalement sûr ...

Dans la mesure où ils sont encore capable d'en parler. Insolence crasse, assurance totale. C'est sa dernière carte avant de fuir comme un chien, de ramper comme le rat qu'il est prêt à tout pour sa survie.

Qu'il arrachera à la force de ses prunelles maudites.

Le bandeau tombe et Asmodée dévore du regard l'homme face à lui. Depuis son arrivée, il ne fait qu'éviter les visages de gens, ne les voit qu'à moitié. Personne ne soutient son regard. Et lui, oui.

Il doit contempler ces yeux noirs, si noirs, et ces iris rougeoyants qui diffusent dans son corps une souffrance sans nom.

Et Asmodée, lui, voit le chaos et la mort. Le chaos et sa liberté, le chaos et la vie qu'elle lui apporte.

C'est à cette vie qu'il va s'accrocher.

Alors souffre, Alastor et fais nous esclave de ton chaos.

On a jamais imprimé autant un visage dans notre esprit. Le visage de la survie. Le visage du Croque-Mitaine. Un gourou. Une secte.

Chaque nuance dans ses yeux, chaque ride qui se crispe, les dents qui grincent et la peau qui se tend. Asmodée retient chacun de ces détails. Le mégot tombe au sol et il sent le pouvoir à portée de main. Il sent la satisfaction intense d'avoir en sa possession les armes pour lutter.

survivre.

Il le laisse tomber en arrière et Asmodée referme les yeux, le démon s'endort, voilant son feu aux pauvres mortels qui ne le supportent pas. Alastor lui, rit. Rit aux éclats, sa folie est contagieuse et on a aucun mal à comprendre pourquoi il a tant de gens derrière lui.

Et pourtant, Asmodée le vendrait sans hésiter si sa vie était en danger.

Les mots tombent et il sourit. Le genre de sourire arrogant de celui qui savait comme ça allait se passer. Le genre de sourire tranquille insupportable mais pourtant, sonne si doux sur ses lèvres. Douceur obsédée.

Il plie les genoux et se relève souplement, les mains liées dans le dos. Loin de lui l'envie de dominer le gourou. Mais, il commençait à avoir des fourmis. Et on ne s'adresse pas à un ami à genoux alors qu'on est debout.

Ses yeux fuyants ne l'effleurent même pas. Il maitrise désormais, suffisamment son corps pour ne pas infliger quand il ne le désire pas.

- Asmodée Yi.

Nouveau sourire.

- Je choisis librement de vous rejoindre.

Parce que ce choix de devenir ta chose, ton pion, c'est le chemin qu'il a trouvé vers sa liberté. C'est mort de ta main qu'il aurait retrouvé ses chaines.

Drôle de mot, bénédiction, quand on accueille un démon.

- Je compte sur vous pour l'utiliser au mieux.

Mon potentiel, mes yeux, moi.
(mon obsession que tu lis peut-être déjà)

C'est scellé, comme un contrat tacite entre deux bêtes sauvages. Asmodée n'a pas la prétention d'être à l'aune du croque-mitaine, mais il est conscient (un peu) de son potentiel dangereux.

Choisir de vivre n'est pas un choix, c'est un instinct, un ordre ancré au plus profond de ses veines, un devoir qui l'a conduit, il l'ignore encore, à trahir ce qu'il avait de plus cher.

Il semble surpris, le gourou. De la réponse, ou de sa rapidité. Sourire tranquille d'Asmodée, comme si sa vie n'avait pas tenu qu'à un fil quelques secondes avant.

Un des hommes derrière lui vient trancher la corde qui liait ses poignets. Il est leur égal désormais, et n'a plus aucune raison d'être entravé. Il se laisse aller contre le corps robuste d'Alastor, une étrange fierté l'étreint et il ne remarque pas le dégoût de l'autre.

Comme les pièces d'un puzzle qui s’emboîtent parfaitement. Asmodée à sa place.

Il incline doucement la tête.

- Vivre dominé n'est pas vivre. Tout réduire en cendre et chacun pour soi.

Que meurent les faibles et que s'effritent les chaînes, c'est en devenant le plus fort qu'on survivra, qu'on perdurera à jamais. Ancré comme un parasite dans ce monde, qu'il faille le regarder brûler et être de ceux qui allumeront la mèche.

Il frotte ses poignets endoloris et s'engage à la suite de son nouveau chef dans les escaliers.

- Sont-ils si nombreux ? Je suis ici depuis peu mais j'imagine que vous avez déjà des yeux et des oreilles partout.

C'est comme une partie de carte. Et Asmodée soudain, devient un atout caché au creux d'une manche.