le calme n'avait pas duré.
tumulte remplaçant le vide dès que la porte s'était refermée, écarlate rongeant le bois, s'infiltrant dans ses interstices jusqu'à grimper les murs.
sillons colorés tâchant ses joues, alors que les sanglots silencieux continuent de l'agiter.
le myocarde pulse douloureusement, crève dans son agonie et il ne peut s'empêcher de continuer de sourire.
si bête, il était si bête
rien qu'un deuxième choix, un passe-temps.
stupide sirène, qui, malgré tout, avait été incapable de mettre fin à ses propres sentiments, l'avait forcée, elle, à le faire.
parce que voir le lapin blanc se lever et courir pour rattraper dundee, le laissant seul — lui, sa confession, et ses sentiments, à choir dans le sable d'ivoire, n'avait pas suffit.
aujourd'hui, la scène n'est pas si différente.
toujours seul, à genoux, entouré de rouge.
ferme les yeux, ariel.
rigole, ariel.
pleure, ariel.
déteste, ariel.

tout ce qu'il cherchait, c'était un peu d'affection, un peu d'amour.
tout pour émuler ce qu'il avait perdu, en restant irrémédiablement coincé ici.
inspire, lorsqu'il se relève, chancelant une fois debout.
pas incertains qui le mène vers la commode, tire sur le tiroir.
celui-ci grince, reste coincé, et ça suffit à anéantir le peu de contrôle qu'il possédait encore.
colère qui le fait user de bien plus de force que nécessaire, brise ce qui l'empêchait de l'ouvrir, pour récupérer les vieux carnets qu'il y avait entreposés.
la délicatesse dont il fait preuve contraste avec son éclat précédent, lorsqu'il tourne les pages.
une à une.
émotions qui enflent, alors que sa vision se fait de plus en plus floue.
il avait l'habitude d'être si heureux
si plein d'amour
doit poser une main contre le meuble pour ne pas tomber, alors que les cahiers s'écrasent au sol.
maintenant, il ne se sent que misérable
empli de rancoeur.
contre lui, contre elle, contre l'univers entier.

ses doigts se referment sur le premier objet qu'ils trouvent — vase, envoie celui-ci valser contre le mur, ne tire qu'une maigre satisfaction quant à la destruction provoquée.
rouge qui en demande plus, toujours plus.
ne perd pas de temps, ariel, pour poursuivre le carnage, se noie dans sa peine, rien que pour l'étouffer.
ressentir autre chose que son coeur qui bat furieusement, ignorer les mots qui continuent de tourner en boucle dans son esprit.
et c'est comme cela qu'ellen le trouve, la porte maintenant grande ouverte.

— je-

enfant pris sur le fait, obligé d'observer l'étendue des dégâts avec horreur, debout au milieu des décombres de la chambre qui lui avait gracieusement été offerte.
imposée
serre, puis desserre les poings, poitrine qui se soulève à un rythme erratique.
il a envie de disparaître, de se soustraire à la vue du maître des lieux, honteux de se retrouver dans une telle situation.
pince les lèvres, à sa requête, regard fuyant qui s'échoue sur les éclats de porcelaine qui se teintent doucement du même carmin qui macule le reste de la pièce.

— je... fixe les débris blancs se faire dévorer, pourquoi ne suis-je pas suffisant ?

c'est un rictus sans joie, qui ne rejoint pas ses yeux, qui fend son visage en deux.

— pourquoi ne suis-je jamais suffisant ?

protestations qui s'étouffent dans sa gorge serrée quand ellen s'approche.
l'envie d'être seul bataille contre celle d'être écouté, réellement, écouté.
doit se faire violence pour ne pas reculer, ne pas arracher ses mains des siennes. contenant le désastre qui l'agite du mieux qu'il peut, son regard reste obstinément orienté vers le sol.
se refuse de le regarder dans les yeux, degré de vulnérabilité qu'il ne désire pas partager.
mais ça ne dure qu'une seconde, relève brusquement la tête.
se suffire à soi-même ?
le rire qui lui échappe le surprend.

— si ça avait été le cas, je n'aurais pas abandonné qui j'étais, mon nom, pour lui.

il n'aurait pas modelé sa non-mort entière autour d'un amour qu'il n'arriverait jamais à retrouver, ne se serait pas abandonné dans une histoire vouée à l'échec pour l'oublier.
ou l'imiter.
lèvre inférieure qui se coince entre ses dents.
on s'est toujours donné, sans rien demander en retour.
jamais.
goût de fer qui envahit sa bouche, relâche la pression, ariel.

— non, je-

je ne voulais pas m'imposer
je ne voulais pas la perdre
elle, et tous les autres
plus aisé de souffrir silencieusement.
jusqu'à maintenant.

— je suis désolé.

s'excuse, ariel, à la duchesse.
pour l'état de la pièce, de le forcer dans une énième situation délicate — comme si ellen avait réellement besoin d'une autre âme en peine.
pardon, d'être un poids
sanglots, qui jusque-là s'était calmés, repartent de plus belle.
pardon pardon pardon-

sursaute, quand l'un des seuls objets encore intact de la pièce est fracassé contre le sol, arraché à ses larmes par la surprise.
la duchesse propose pots, statues — autres chambres à retourner, briser, détruire, tout pour extérioriser, d'une façon ou d'une autre.
un faible sourire étire ses lèvres, alors qu'il secoue doucement la tête.

— ce- ce n'est pas moi, tout ça.

on a jamais été violent, même dans ses plus grands instants de faiblesse.
mais les choses ont changé, psyché qui se mêle un peu plus à l'instabilité d'une couleur rimant avec passion, bonne ou mauvaise.
désordre, débris et rouge.
il ne veut pas abîmer son domaine, à ellen.
rien ici ne méritait d'être victime de sa douleur, pas même de simples objets.
l'écoute, ariel, chagrin silencieux qui roule sur ses joues — lève une main pour chasser celui-ci.
il comprend, de façon rationnelle, ce qui est entendu.
mais le coeur, quant à lui, n'est pas apte à le faire, continue de s'agiter, de saigner un peu plus à chaque battement.

— je veux seulement que ça s'arrête. je suis fatigué, ellen. fatigué de vouloir plaire, fatigué de chercher à être aimé.

inspire, voix tremblante.

— fatigué d'aimer, aussi.

qu'est-ce que ça lui a apporté, au fond, si ce n'est que misère ?
tellement abîmé, qu'on en a oublié ce que c'est, un amour heureux.

cesser d'être lui-même ?
pince les lèvres, ariel.
c'est qu'il ne l'est plus depuis longtemps, lui-même.
on a oublié ce que c'est, d'avoir de l'ambition, de ne pas s'offrir corps et âme en échange d'un brin d'affection, de ne pas se perdre dans une spirale d'auto-destruction pour se sentir vivant.
on avait besoin de rien, avant.
le vide n'était pas aussi béant, insatiable.

— je vois.

s'efforce de ne pas trembler, de ne pas laisser la colère gagner.
parce qu'ils ont toute l'éternité, eux, pour se remettre de leurs peines.
son immortalité à lui est factice, seulement soustrait aux caprices du temps, mais pas des aléas de la vie.
et qu'il avait passé le tiers de sa stupide existence en ce monde à aimer en silence.
à souffrir en silence.
larmes rageuses remplaçant la tristesse, roulent de nouveau sur ses joues malgré les efforts d'ellen pour les assécher.

— je vois.

murmure grinçant, sifflé entre ses dents serrées.
il veut crier, veut hurler, mais sa voix reste coincée dans sa gorge.
se refuse, ariel, de hausser le ton face à la duchesse — elle ne le mérite pas.
il avait refusé de se montrer vulnérable face à la seule qui aurait dû en être témoin, l'avait poliment chassée, avant de craquer.
regard fuyant qui s'ancre finalement dans le sien, lorsqu'il est forcé de lever le menton, de l'observer, réellement, cette fois.

— je veux juste oublier.

elle, lui, e u x
se débarrasser des souvenirs sur la plage
il ne veut pas, ne veut plus, être consumé par la douleur.

— mais comment suis-je censé oublier, ne plus y penser, quand tout ce qui m'a mené ici y est lié ?

rouge, son passage en entité, la raison même de sa présence chez ellen.
comment oublier, si tout est orchestré pour qu'il y soit constamment confronté ?

esquisse un faible sourire, à ses mots.
que ce soit les poètes romantiques ou une réincarnation, ils n'ont pas réponse à sa question.
c'est bien dommage, qu'il n'y ait pas de moyen pour que wonderland lui arrache de nouveau ses souvenirs.
il les offrirait sans hésitation, cette fois, ne chercherait pas à s'y raccrocher désespérément.
tout pour annihiler la peine.
mais bien vite, son expression se fige.
comprend l'implication de ses paroles et s'empourpre, ariel, honteux .
invité visiblement fort ingrat, qui, après avoir repeint la pièce écarlate et détruit des biens qui ne lui appartenait pas, venait d'avouer à demi-mot son ressentiment quant à sa présence au domaine.
on n'est plus rouge de colère, plutôt rouge de gêne.

— je-

mais ellen n'a pas tort.
il ne resterait pas éternellement ici.
le croquemitaine semblait avoir détourné son attention vers autre chose, lui retirant du même coup un poids des épaules.
petit oiseau réalisant que, s'il le désirait, il pouvait retrouver sa liberté tant convoitée.
le soucis, c'est qu'il n'est pas sûr d'en avoir envie, là tout de suite
trouve réconfort en la duchesse qui, encore une fois, sait quoi dire pour momentanément chasser la peine — lève une main, essuie ses joues et paupières du revers de celle-ci.
ne pas s'isoler, hein ?

— je veux bien essayer.

mais ariel est un éternel pessimiste, sait que l'orage finirait par revenir, tôt ou tard.

— je ne peux toutefois rien promettre.

honnête, la sirène, et espère, au fond, qu'ellen l'empêcherait de se noyer de nouveau.
les mauvaises habitudes sont tenaces.

secoue la tête aux allégories, un peu plus souriant.
c'est qu'on a du poisson, que ses écailles — ça ne l'empêche toutefois pas de s'en amuser.
et d'espérer aussi, bien fatigué d'être seul pour affronter les marées.
compte sur les doigts d'une main les personnes à qui il oserait demander de l'aide, heureux de maintenant pouvoir en ajouter une autre.
maigre réconfort qui l'empêche de glisser un peu plus loin dans les abysses.
il se laisse entraîner à sa suite sans opposer de résistance, ravi, au fond, de quitter la pièce et tout ce qui s'y était déroulé.

— si j'avais su tenir ma langue, opal, trébuche sur son nom, inspiration sifflante, n'aurait pas eu à confronter le croquemitaine.

mais rien ne sert de ressasser le passé, il ne changera pas.
porte une main à son visage, ariel, doigts qui glissent finalement dans ses cheveux.
bienvenue chez toi

— désolé, encore. je ne voulais pas cracher sur ton hospitalité, c'est bien grâce à toi que je ne me suis pas écroulé sous la paranoïa. ou, je ne sais pas, mort dans un caniveau.

bien qu'il ait eu l'impression que ce serait le cas, quelques jours plus tôt.
au final, il est encore en vie.
le palpitant agonisant, mais en vie.

— et... merci. je ne l'ai pas dit suffisamment, mais merci.

pour tout.