Perceval n'a jamais aimé ces papiers volants qu'on le force à remplir pour des raisons qui lui échappent, Perceval n'a jamais vraiment compris pourquoi on tenait absolument à ces feuilles qui finiraient forcément par se perdre sous un meuble ou dans le feu d'une cheminé
(car tel était le destin papier)

Alors hâtif Perceval s'empressait de les remplir, distrait par tout ce qui pouvait passer ─ et oh ! qu'il était étonnant de voir à quel point ce qui nous paraissait quelques secondes plus tôt banal revêtir un aspect soudainement important, relevant des priorités à traiter
Et c'est sans rien dire et sans se montrer qu'il déposait toutes ces feuilles inutiles là où il le fallait avant de repartir tel le vent
(viens et repart Perceval sans jamais qu'on ne le sente vraiment)

Libéré de cette tâche, pense-t-il naïvement, prêt à passer à autre chose
et à vrai dire, il avait déjà tourné la page de tout ça quand c'est ta voix, tonnerre résonnant entre les murs, qui s'élève et s'écrase en fanfare, le faisant sursauter lui et l'entourage témoin de l'orage de ta colère
Pauvre bise prise par la tempête, devant braver foudres et vents contraires, sa voix n'a pas le temps de s'élever, de protester et de s'indigner que déjà tu l'emmène à ta suite sans lui demander son avis ─ mais Perceval insolent, Perceval insouciant, ose tout de même faire porter les faibles notes de sa voix

Ah... Bonjour m'sieur ! C'est pas très gentil, tout ça.

Il n'avait jamais vraiment su de quelle manière il devait t'appeler, aussi s'était-il rabattu sur un simple et formel "monsieur" ─ et tu n'avais jamais eu l'air de t'en offusquer
Seuls à seuls, dans cette pièce hostile c'est face à ces papiers hâtivement remplis que tu le met, et lui les fixe sans réellement comprendre
(c'est qu'on avait toujours écrit ainsi, et jamais vraiment tu ne t'en étais plains ainsi)
Relève les yeux, Perceval, lorsque tu reprends la parole ─ c'est qu'il aimerait dire oui, c'est qu'il aimerait te dire ses quatre vérités comme il le fait toujours
mais sait qu'il ne peut plus
car après tant de corrections il savait bien qu'il ne valait mieux pas te contrarier

Oh... ça... Loin de là, loin de là ! Il faudrait vraiment être fou pour ignorer vos réprimandes, haha...

Et pourtant combien de fois les avaient-ils ignorées, voire pire, moquées ?
Bien trop de fois
Son corps en portait encore les stigmates indélébiles et sa mémoire en avait le souvenir à vif
Sourire crispé, air faussement nonchalant, et pourtant ! qu'est-ce qu'on aimerait être loin de toi loin de tes réprimandes, loin de ce regard inquisiteur qu'il fuit

M... Mais vous savez, je n'avais pas beaucoup de temps et beaucoup à remplir... Donc c'était un peu compliqué...

Excuses qu'on cherche vainement en sachant pertinemment que l'interlocuteur ne sera pas dupe ─ ce n'est qu'une fuite, encore, et un vain espoir d'en finir au plus vite.

Loin d'être apaisé, et il le sent, Perceval, sent ce volcan en toi prêt à exploser à tout moment ; et il sait, oh il sait bien, que le pire est à venir, exacerbé par ton humeur massacrante
il y avait mille et une raison pour lesquelles on ne fournissait que le strict minimum, pour lesquelles on n'avait pas l'envie de s'investir plus ; mais tu ne les entendras pas, n'est-ce pas ? Peut-être qu'au fond ce n'était qu'une forme de rebellion, une forme de liberté qu'on s'est accordé au détriment de tout le reste ─ hiérarchie, bienséance, rien de tout cela n'avait de signification
(on voulait juste vivre malgré les contraintes qu'on nous avait imposé sans qu'on en ai voulu un jour)

Esquive ta question comme il esquive ton regard, Perceval, car il lui semblait bien moins lourd que s'il le soutenait
(mais il le sent quand même l'écraser le piétiner le réduire à néant ah ! insoutenable regard, quand cesseras-tu donc de le fixer ?)
voix qui gronde, qui le fait sursauter ; croise un instant ton regard mais s'en détourne tout aussi rapidement ─ ah, il fallait qu'il sorte de cette situation

J... Je... Non, je fais au mieux...

Et la menace qui tombe, cette fois Perceval blêmit ─ ah, elle est arrivée bien vite ; et il n'avait pas envie d'y retourner, pas encore
ça faisait bien longtemps qu'il n'y avait pas eu droit et il ne tenait pas à retenter l'expérience ─ et il savait, Perceval, qu'il valait mieux te caresser dans le sens du poil, surtout dans une telle colère, alors

Ah...! pas besoin d'aller à de telles extrêmes, voyons ! Non pas que je doute de vos talents, c... c'est juste que ce n'est pas le genre d'expérience à vivre plusieurs fois...

Mal à l'aise et passe la main dans ses cheveux, Perceval, face à tant de colère de pression ─ sait qu'il ne l'apaisera pas, oh non, mais au moins tenter de se cacher le temps qu'il passe
toujours esquivant le regard, sans oser te regarder

Enfin... S... Si vous voulez que je fasse un effort... je vais essyer...

Et on finira pas oublier de le faire, cet effort

Les minutes sont heures et les heures éternités face à tes sermons qui seront presque déjà oubliés lorsqu'il sortira enfin de cet enfer, Perceval ; délibérément ne répond rien, esquivant ton regard, refusant de croiser ce visage courroucé ─ mais il le sent peser sur lui tout de même, ce regard qu'il avait affronté des milliers de fois

Ta main vient soudainement se saisir de son poignet, le forçant cette fois à te regarder ─ sent, Perceval, les entailles de tes lames percer sa peau ; mais il ne te fera pas le plaisir de crier, non, ni même de te supplier d'arrêter ─ il savait cet instinct erreur face à toi, alors il sert les dents sans rien

L'art de la plume est bien plus difficile que celui de l'épée, vous savez, ose-t-il te répondre, massant son poignet endoloris

Se permet de répondre, Perceval, cette fois sans baisser son regard ; sait très bien qu'il joue à un jeu dangereux, qu'oser ainsi te provoquer était suicidaire ─ mais il ne peut, quelque part, s'empêcher de jouer avec le feu
comme pour te rappeler qu'il ne s'est jamais vraiment totalement plié aux volontés supérieures
(qu'il ne sera jamais vraiment soumis comme tu voudrais qu'il le soit)

Quoique, dans mon cas, je triche un peu, j'avoue, finit-il par avouer en haussant les épaules

Quitte ton regard, Perceval, attitude désinvolte qui vibre dans tout le corps ─ comme si toute provocation était déjà oubliée, comme si rien n'avait été dit
(comme s'il avait commencé à prendre conscience qu'il valait mieux ne pas pousser plus loin
pour sa propre sécurité)

Quand ta voix à nouveau s'élève, Perceval encore daigne croiser ton regard ; malgré lui un sourire se dessine au coin des lèvres ─ nerveux

Puis-je me permettre d'être surpris et honoré que vous ne me menaciez pas de me décapiter, mais de me pendre ?

Et soudain la menace, encore, mais cette fois qui passe sur sa jugulaire pour s'arrêter à la nuque ; à tes mots son regard s'assombrit, et tout amusement disparaît pour laisser place à un sérieux que rarement on lui voit
Ta vie n’a de sens que parce que je te donne le droit d’exister
Colère qui l'envahit à ces mots, lueur de rage qui traverse le regard mais Perceval se contient ; rappel de la triste évidence qu'il a été forcé d'accepter ; de l'évidence qu'il refusera toujours, qu'il ignorera de toute ses forces aussi longtemps qu'il vivra
il sait, Perceval, que tu aurais voulu le voir autrement, que tu aurais préféré qu'il se conforme à ce que tu voulais faire de lui
et c'est parce qu'il le sait que jamais il ne s'y résoudra, jamais il ne s'y pliera ; il garde précieusement le peu de liberté qu'il a encore, la liberté d'être lui-même, peu importe les conséquences ─ parce que c'était bien la seule chose qu'il lui restait encore qui ne soit pas brisée
Sans rien dire, d'abord, il prend ta main et l'éloigne de sa peau, doucement, quoiqu'un peu plus brusquement qu'il ne l'aurait voulu
et alors, le visage fermé, peint d'une expression qu'on ne voyait pour ainsi dire jamais chez lui

... Si, très.

Les paroles sont simples, mais le regard, lui, en dit bien plus, et révèle ce qu'il ne peut dire verbalement ; peux-tu y voir, Knave, cette rage qu'il retient de faire éclater, cet éclat de défi qui luit au fond ?
Il sait toute tentative de résistance frontale et évidente vaine, Perceval, pour les avoir essayées ; alors il ne lui reste plus qu'à ne pas s'effondrer entièrement, rester fidèle à lui-même et continuer de défier en silence le monde, toi inclus, comme seule protestation à tes réprimandes et tes ordres

Il a la rage qui bout dans les veines et qui manque d'exploser face à ton mépris ta condescendance ; il aurait voulu t'arracher ce sourire de ta face et t'envoyer à jamais en enfer sans que jamais tu ne reviennes
(mais c'était un bien doux rêve qui jamais ne se réalisera)

Serre les poings, Perceval, laisse les doigts glisser le long de sa mâchoire, tentant de se calmer ─ et finalement tu le vois, son regard, mais tu n'en a cure et y répond par un sourire puis un rire
il sait, Perceval, qu'il ne pourra dire quoique ce soit, mais il sait surtout que tu en profites ─ bien trop, même, car tu sais qu'il ne peut répondre, qu'il ne peut que (te) subir

Rien
Parce que tu sais déjà ce que je veux dire, tu sais déjà ce que je pense
n'ai-je pas été assez clair, moi non plus ?

Et brutalement se dégage de ton emprise, sans quitter tes yeux ni même baisser le regard
(sûrement aura-tu préféré plus de concessions, mais on t'en a bien assez fait)
et sans un mot sans attendre le moindre de tes ordres s'en va déjà, fermant sans délicatesse la porte derrière lui
Reste quelques secondes, Perceval, comme reprenant son souffle, avant de finalement lâcher dans un chuchotement

... Enculé

Et finalement s'en va, Perceval, sans laisser de trace, te laissant toi et tes colères dans ton coin
(puisse-t-on ne pas avoir à les subir encore avant longtemps)