Tel un cauchemar ambulant, tu erres en ces terres colorées. Epris de la nuit, c'est pour le rencontrer (lui) que tu braves les néons, les chansons et les guirlandes aveuglantes de pureté déplacée. Tout ce monde te donne envie de vomir, te fait trembler d'une haine insoupçonnée - et tu te sais presque en danger à fouler de tes bottes sales la neige immaculée de Christmas Town.

Tes yeux balaient le territoire, et tes pieds envoient valser les lutins affairés (épuisés). Dans l'éclat de tes rétines brille la malveillance quand tu les contemples au bord du désespoir - mais ce n'est pas leur malheur qui te réjouit mais celui de leur père maudit (qui se morfond depuis des décennies). Elle est là, ta principale source de satisfaction malsaine : le savoir au bord du craquage, prêt à céder, prêt à s'agenouiller. Ton règne viendra, et cette ville saturera sous le souffle effrené d'Halloween City, qui l'aura dévoré avant que le jour de Noël ne se lève.

Devant la porte de sa caserne, déjà agacé par le froid et l'attente, par le tintamarre des chansons assourdissantes, tu l'ouvres d'un coup de pied impatient.

— « Ou te caches-tu donc, Père Noël de pacotille ? »

Sourire désabusé et tu penches la tête sur le côté, la clope coincée entre les dents. Tu mâches tes mots avec suffisance, et suit le tapis rouge qui te conduit tel un roi vers l'imposteur qui se dresse un trône ridicule et dépassé.

— « Ding, dong. Minuit sonne, c'est l'heure du crime. Minuit sonne et c'est encore le 24. Plus je te vois et plus tu as mauvaise mine. »

Tu le sens fragile, et tel le monstre des cauchemars tu cherches une fissure dans laquelle t'engouffrer - une faille à exploiter pour mieux le torturer.
Si tuer ses employés ne suffit pas, alors tu démonterais une à une les briques de sa tendre ville damnée. Tu ferais de sa vie un enfer pour le plaisir de le voir ramper, de l'entendre supplier. Il paiera l'affront de son indifférence, paiera le prix de son mépris !

Tu avances de quelques pas, les mains derrière le dos. Tu plisses les yeux d'un sourire mauvais alors que tu observes plus en détail cette demeure que tu as déjà arpenté par le passé. Tu n'es pas venu seul Alastor, tu sais des membres de ta brigade cachée tout autour de la caserne, prêt à intervenir au moindre faux pas - à la moindre suspicion de combat.

— « Tes paroles me blessent sincèrement, Santa. Je pensais que ces décennies de chamailles nous avaient rapprochés toi et moi. »

Tu en es écoeuré rien qu'à l'idée de l'imaginer.
Et pourtant, derrière la grimace s'est étiré un sourire arrogant. Tu arrives bientôt à la fin du tapis, devant lui, mais tu restes tout de même à une certaine distance raisonnable.

— « Allons allons, je viens seulement d'arriver. Un hôte digne de ce nom comme toi n'aurait pas l'audace et l'incivilité de renvoyer son invité sans avoir pu lui proposer quelque chose à boire. »

Tu cherches du regard une table dans la pièce, un endroit où tu pourrais t'asseoir. Tes yeux glissent sur les jouets en bois, les toisent avec froideur et malveillance.

— « J'espère que tu as autre chose que du chocolat chaud. Du whisky, par exemple ? »

Lorsque l'ours géant s'approche de toi, tu fronces les sourcils mais ne bouges pas d'un pouce. Interloqué par ce pouvoir si particulier, mais point apeuré. Tu es la peur elle-même alors de quel droit peux-tu trembler ?
Tu te saisis du verre que tu portes à tes lèvres après une légère révérence envers la créature. Le père noël cachait bien son jeu, il ne buvait pas que des boissons sucrées, dans sa cave se cachait le nectar sacré.

Tu poses le verre dans un bruit sourd, claquant sur le bois d'orme composant la nature de la table. Tu croises les bras, le fessier déposé contre la planche et tu le scrutes, tentes de déceler avec malignité ses peurs les plus dissimulées.

— « Oh. Je crois que tu te méprends à mon sujet. Mon coeur est au service de ma conscience, et ma conscience dévouée au chaos. Ne comprends-tu donc pas que ton utopie est vaine ? Nous marcherons sur ta ville, Santa. Nous brûlerons tout ce que tu as construit et nous asservirons tes gentils serviteurs. »

Ton regard dévie vers ses créations, vils et défectueux esclaves que tu espères vendre. Leur bonheur faisait mourir le tien (à petit feu) et leur désespoir nourrissait tes rêves de grandeur.
Daphnis divague encore et encore, se pare d'un tissu de mauvaise foi dans l'unique but de te provoquer. La colère gronde en toi Alastor, elle se matérialise sous la forme de poings serrés ; de sourcils froncés. Tu retiens les ténèbres entre tes doigts crispés, tu ne dois pas relâcher le monstre où céder à la tentation de tout dévaster.

— « Laisse-moi deviner. Ton problème le plus important ne serait pas la disparition de Time ? Tu sais... Certaines autorités pourraient te soupçonner. Après tout, c'est une étrange coincidence. Le temps en personne t'a puni, tu aurais eu des raisons de te débarrasser de lui. »

Tu avances de quelques pas pour le rejoindre.
Le regard braqué dans le sien.
Sans aucune honte, l'audace à son apogée.

— « Ça t'aurait arrangé, n'est-ce pas ? D'être libéré de cette malédiction ? »

Le père noël tenait bien sa réputation. Année après année, siècle après siècle, votre petit jeu perdurait et sa patience demeurait infaillible.
Tu sais que tu peux le faire craquer Alastor, c'est à cet objectif malsain auquel tu t'accroches - c'est la raison de ta présence ici. La distraction tu l'avais en voyant ses établis brûler depuis la fenêtre de ton manoir hanté. La jouissance était de le voir se pincer les lèvres, lever les yeux au plafond et se retenir de t'achever. Ici et maintenant.

Il se défend, argumente et prétend que la disparition de Time le contraint à devoir supporter sa petite punition encore des années durant. Tu étires un sourire satisfait, les pupilles dilatées et luisantes de malveillance à cette idée.
Si voir souffrir Daphnis était devenu au fil du temps un réconfort bien mérité - frustré tu demeurais quant au fait que tu n'étais pas la source principale de ses cauchemars. Et on t'avait condamné aussi, car Noël ne pouvait pas être saboté.

— « Tu ne protégeras pas ta ville encore longtemps, Daphnis. »

Tu l'avais sifflé entre tes lèvres scellées, mauvais.
Et tu t'approches encore encore encore, jusqu'à te pencher au dessus de la lettre qu'il a ouverte - lui soufflant la fumée sur la papier pour bien l'en imbiber.
De tabac qu'il ne supporte pas.
Souillure de cette innocence factice, grouillant au purgatoire pour tout ses trépas.

— « Tu peux te cacher dans ta misérable demeure, tu peux relire en boucle ces lettres d'enfants imaginaires... » Tu lui arraches des mains la missive, la déchirant en mille morceaux de mots devant ses yeux. « Ce n'est pas ça qui te sauvera. De nous ou seulement de moi. »

Il parle de résistance et pendant un moment seulement (suspendu dans le temps) tu te sens connecté à lui - prisonnier de la même malédiction, mais inversée.
Daphnis aussi attend. Daphnis subit les rouages du temps qui ne passe pas et tu penses à la nuit éternelle, celle qui a bloqué Halloween City sous une lune pleine à jamais.
Tu attends, Alastor, que se lève l'aube des Dark Shadows, que le soleil éclair votre marche funeste, sur Wonderland. La résistance est ton moteur, car elle alimente ta détermination féroce et cruelle à tout lui arracher avant vous ne soyez délivrés.

Et pourtant, le mouvement est bref.
Tu ne l'en aurais pas cru capable une seule seconde, et c'est ce qui t'a fait perdre pied Alastor. Quand il t'arrache la clope du bec pour l'écraser sur ta joue.
Tes yeux s'écarquillent face à l'indécence de cet acte, face à l'irrationalité de ton monde un instant renversé. La douleur est vive, presque délicate quand elle t'impose un râle d'agonie.

Tu recules brusquement, animé par la rage - alors que tu fais pression de ta main sur ton beau visage. La haine accule ton regard et sans aucun scrupules, tu craques tes doigts juste en comprimant tes poings.

— « Tu me paieras ça, Santa. Je te ferai regretter ce geste pour l'éternité ! »

Et sans hésitation ni scrupule, tu vous enfermes dans son pire cauchemar.
L'illusion si parfaite l'encercle d'un feu menaçant, ardent.
L'emprisonne dans son pire cauchemar.

— « Crains le croquemitaine. Les enfants pas sages, je les dévore. Et toi Santa, c'est ton atelier tout entier que je vais détruire, après t'avoir vu y brûler. »

Tu te délectes de sa peur Alastor. Tu profites du spectacle et pourtant tu peines à t'apaiser. Ta haine grandit avec les flammes. Sur le visage de ton ennemi se dessinent les traits de sa résistance et ça te rend fou.
Tu veux qu'il concède à sa défaite d'aujourd'hui - quand il n'a fait que te provoquer de hier à il y a une éternité. Quand cesserez-vous de vous faire la guerre ? Au premier qui tombe, et qui demeure dans l'incapacité de se relever.

— « Alors péris dans ce feu, vieil ami. »

L'ultime provocation, alors que tu passes une main sur ta joue pour dessiner la brulure qu'il t'a marqué. Tu serres les dents face à sa provocation et t'avances vers lui, traverses les flammes et trahit l'intangibilité du cauchemar. Mais elles brulent encore, et donnent chaud.
Tu saisis son col.

— « Si je ne peux te tuer ici et maintenant, sache que ce n'est pas fini Daphnis. »

Tu murmures malgré le crépitement de l'incendie qui se propage.
Du moins, dans l'illusion.

— « Un jour... je mettrais vraiment le feu... quand tu te sentiras en sécurité. Tu ne feras pas attention et tu oublieras que ce n'est pas une illusion. Tu mourras et je saccagerai ta ville. »

C'est une promesse.