Dans les abysses de l'inconscient tout soudain semble soudain plus léger ; l'absence de sensation comme accalmie des supplices endurés, récompensant d'un repos mérité le martyr dans ses bras chaleureux

Il ne sait, Perceval, combien de temps s'est écoulé depuis qu'il a perdu conscience, ni même ce qu'il s'est passé entre temps ; mais peu à peu les sensations reviennent ─ la douceur du lit comme le silence
Peu à peu quitte ce monde noir et chaleureux pour revenir à la douloureuse réalité ; car à peine ses sensations reviennent que son corps, affreusement lourd, lui fait anormalement mal
gémit, Perceval, faiblement, les yeux toujours clos, comme si ce simple geste allait lui permettre de retourner dans un monde où la douleur n'existait pas ; du bruit lui parvient aux oreilles, sans qu'il ne puisse identifier la source

Il finit par rouvrir le yeux, Perceval, doucement, avec prudence, malgré la lumière qui l'éblouit ─ et ta voix soudain s'élève et lui parvient ; tourne la tête et te détaille quelques instants, comme cherchant à te reconnaître

Romane...?

Il prends un instant pour observer la pièce autour de lui, mais les souvenirs s'emmêlent et il est bien trop confus pour se rappeler de ce qu'il s'était passé

Qu'est-ce qu...

Tentant de se relever, mais à peine esquisse-t-il le geste qu'une douleur cuisante le traverse ; étouffe un cri, Perceval, et ferme les yeux quelques instants, comme pour faire passer la douleur, ou tout du moins l'apaiser

... qu'est-ce que tu fais là ? arrive-t-il enfin à demander, sans reproche, rouvrant les yeux
juste confus

Tu n'avais pas besoin de lui dire qu'il était gravement blessé pour qu'il s'en rende compte, Romane ; car son corps entier ne cessait de le lui rappeler

A ce... point ? dit-il avec un léger sourire qui s'efface bien vite

Tout est encore flou et brumeux, quand soudain tu mentionnes Knave ; quand soudain a peine demandes-tu s'il se souvenait de quelque chose tout lui revient presque d'un coup
Les coups
Les hurlements
Son sourire
Ses rires aussi
Se fige un instant, Perceval, face à ce flot de souvenirs qui lui reviennent et contre lesquels il ne peut lutter ─ d'émotions, aussi et le cœur se serre soudain ; les souvenirs deviennent soudain douloureux poison insurmontable
pâlit, Perceval, et ton regard devenant insupportable il l'esquive, tournant légèrement la tête du côté opposé au tiens

C'est... c'est rien, ne t'inquiète pas, je m'en remettrai petite pause mais c'est gentil de t'inquiéter pour moi

Comme toutes les autres fois où la folie avait frappé
ce n'était ni la première ni la dernière, il n'y avait aucune raison pour que ce soit différent des autres fois
n'est-ce pas...?

Je dors... depuis longtemps ? finit-il par demander, se tournant à nouveau vers toi

Plusieurs heures
c'était peut-être une des rares fois où il restait inconscient aussi longtemps ─ lui semble-t-il sans pouvoir réellement l'affirmer

T'inquiète, ça ira...

Tente de te rassurer comme il tente de se rassurer lui-même, malgré ce corps qui lui rappelle sans cesse ce qu'il s'est passé
il ne saurait dire, Perceval, comment il se sentait réellement dans l'instant, au fond ; peut-être ne réalise-t-il pas encore totalement, détaché de lui-même presque de ses propres émotions ─ loin de la vivacité de ce qu'il avait pu ressentir
Et il sent, Romane, ta rage et ta colère ; il l'entends et ça l'horrifie, quelque part : car si tu t'emportais devant lui, qui sait ce qu'il pourrait te faire ?

R... Romane, ce n'est pas la peine d'aller aussi loin, ça ne fera que l'énerver et...

Et il s'en prendra à toi
à cette idée sa gorge se serre et soudain cette pensée est insupportable
il se fichait bien qu'on s'en prenne à lui, mais il ne pouvait accepter que tu subisses un quelconque mauvais traitement par sa faute
(tu n'avais pas à être impliquée dans ces histoires qui ne regardaient que lui)

Alors quand tu te proposes à y aller à sa place, l'idée qu'il puisse s'en prendre à toi aussi, l'idée qu'il puisse faire de toi sa nouvelle cible l'inquiète ─ non, le terrifie
tente de se mouvoir, Perceval ; il aurait voulu se redresser, te prendre par les épaules et t'enlever cette idée du crâne par tous les moyens
mais à peine tente-t-il de bouger que la douleur qui traverse son corps entier le ramène à la raison ─ ce n'est pas dans un tel état qu'il réussira à faire quoique ce soit, alors il se résigne à rester là où il est

Non, ne t'en mêle pas, c'est... entre nous

Marque un temps de pause, Perceval, comme cherchant à réunir ses idées, cherchant presque les mots pour calmer tes ardeurs
car malgré toutes tes bonnes intentions, la cruauté de Knave les ignorera royalement, les bafouera même jusqu'à les dénuer de leur sens premier

Ça pourrait même être pire courte pause pendant laquelle il évite ton regard et où sa voix se fait plus basse de toute façon, c'est pas la première fois

Mais c'est bien la première fois qu'elles sont aussi violentes
qu'elles nous marquent autant

La colère monte à une telle vitesse qu'elle ne laisse le temps à Perceval dire quoique ce soit
ne peut dire quoique ce soit que la colère explose ─ et il ne sait, Perceval, si ça l'énerve plus que ça l'attriste ; avait-il au moins la force de s'énerver, dans son état ? d'avoir honte, de réellement ressentir quoique ce soit ?

Non, je...

Mais ses protestations ne serviront à rien
car quand bien même il se justifierait, quand bien même il s'expliquerait, il y a peu de chance que tu te calmes
alors il ne fait que se soustraire de ce regard qui lui devient insupportable
il sait, que ça ne pouvait continuer ─ mais quoi ? que peut-il y faire ? Il y avait bien longtemps, Romane, qu'il avait cessé de lutter et qu'il ne se contentait de doux rêves où tout était mieux, où tout se passait à merveille ─ pour finalement les chasser
Il aurait aimé, Romane, se dire libre, mais se serait se mentir ; n'oserait dire devant toi qu'il était esclave, mais finalement, n'était-ce pas comme si ? A peine arrivait-il à conserver le peu qu'on lui avait autorisé
(mais pour combien de temps encore ?)

Demander une audience ? Pour quoi faire ? Qu'est-ce qu'elle en a à foutre, Juliette, d'un soldat qu'elle a recruté par la force ? Qu'est-ce qu'elle en a à foutre que je crève comme un chien sous les coups de son bourreau ? Elle trouvera quelqu'un d'autre pour me remplacer si ça devait arriver

Il n'ose te dire que, peut-être, Juliette approuvera les actes de Knave ; n'était-elle, après tout, connue pour sa cruauté ? Il était même sûr qu'elle prendrait cet événement comme une bonne nouvelle

Même si tu t'en mêles, rien ne changera légère pause Romane, je ne veux pas qu'il s'en prenne à toi

et si ça devait arriver, il ne se le pardonnerait jamais

Malgré ses réticences tu insistes pour en parler avec Juliette ─ et il n'a pas vraiment la force ou l'envie de te contredire plus longtemps, Perceval
mais il est persuadé, Perceval, que ça ne changera pas grand-chose ; qu'en avait-elle à faire de lui, soldat parmi tant d'autres ?
sûrement laissera-t-elle Knave le massacrer jusqu'à ce qu'il soit trop tard, peu importe les menaces

Romane, ça fait des années qu'il a une dent contre moi, tu changeras difficilement ça, même si Juliette fini par avoir pitié de moi

Il le voit bien, Perceval, que ça te tue de rester sans rien faire ─ mais il ne veut pas que tu t'en mêles, Romane
parce que si tu venais à t'en mêler, tu seras sûrement sa prochaine Knave et, sûrement, te brisera-t-il jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien
(comme avec lui)
Ton geste le surprend, Romane, mais il ne dit rien ─ agréable surprise, et il sent que cette main ne sera pas là pour le détruire ; peut-être y aurait-il répondu, à ton geste, s'il était en mesure de bouger
te regarde, Perceval, sentant ta détresse ─ mais trop engourdi encore pour en comprendre l'étendue
baisse le regard, comme soudainement honteux

Je sais pas, Romane... Je sais pas...

Parce que ça faisait longtemps qu'il s'était résigné, bien longtemps qu'il avait cessé de chercher et de s'échapper
(parce que c'était vain, pas vrai ?)
son regard se dirige soudain vers le plafond, comme pensif

Est-ce qu'il y en a une, au moins... de solution... dit-il à faible voix

Parce qu'aujourd'hui plus qu'avant il n'avait plus la force de lutter contre quoi que ce soit

Te regarde un instant alors que tu proposes de fuir à deux, ne sachant s'il devait être outré ou surpris
(peut-être un peu les deux)
scrute ton regard pour y déceler une quelconque lueur de malice
mais tu étais parfaitement sérieuse dans ta proposition

Il ne voit pas vraiment où il pourrait aller, où il pourrait fuir ─ avait-il au moins un endroit où il pourrait se réfugier, à Crims ?
et tu mentionnes la Duchesse ; ne sait pas, Perceval
était-ce vraiment utile de fuir ?
pour quel avenir ?
il sait qu'on le retrouvera où qu'il aille
mais il sait aussi qu'il a plus à perdre s'il venait à partir qu'à y gagner
(c'est ce qu'on lui avait fait bien comprendre)

Romane... je...

Hésite, Perceval, à accepter ta proposition plus que tentante
mais pour quel avenir ?
depuis longtemps il avait abandonné l'idée de fuir d'ici ─ parce qu'il n'y avait de toute façon aucune échappatoire
chacune de ses tentatives s'étaient soldées par des échecs
alors pourquoi maintenant serait différent ?

Tu sais, je... j'ai déjà tenté, de m'en aller, mais... je n'ai jamais réussi

Détourne finalement le regard, Perceval, alors qu'un sourire amer se dessine sur son visage

Ne prends pas autant de risques pour moi, j'ai juste besoin d'un peu de repos et j'irais mieux

Car ça avait été toujours ainsi
pourquoi ça changerait...?