La colère et la haine l'ont quittée pour le moment, laissant place à l'inquiétude et la peur. Il est là, Elias, allongé dans le lit de ses appartements. Et elle est là, Juliette, à son chevet, veillant sur lui. Serrant la main du Chasseur dans la sienne, anxieuse, on lui a dit qu'il devrait se réveiller sous peu. Combien de temps se sont écoulés depuis ? Elle ne sait pas, elle ne sait plus.

Perd la raison, Juliette, en le voyant ainsi dans un tel état de fébrilité. Sent son cœur battre vite, trop vite, ah ! Ne l'abandonne pas, Elias ! Ne la laisse pas comme les autres, ne la quitte pas après lui avoir promis de rester à ses côtés ! Ne détruit pas les fragments de son cœur, ne réduit pas à néant son humanité !

Une larme coule sur son visage, discrète. Elle tente de se contenir, de maîtriser la tempête qui fait rage dans son être.

Elle a échouer à le protéger.
Elle n'échouera pas une seconde fois.

Il restera dans ses appartements jusqu'à ce qu'il soit pleinement guérit et rétablit. Peu importe son avis, elle sait qu'elle a raison, c'est pour son propre bien. Reviens Elias, n'entends-tu pas les sanglots étouffés de Juliette ? Est-tu sourd à ses supplications ?

Est-tu cruel au point de mourir ?
Est-tu si égoïste pour détruire votre histoire qui ne faisait que commencer ?
Elle t'en conjure, Elias, reviens.

Un murmure, elle entend sa voix, Juliette. Elle l’entend prononcer son prénom, son cœur manque un battement et elle croise son regard. Il vit ! Il est vivant ! Serrant plus fermement la main, elle laisse un soupir s’échapper quand il efface la larme. Elle reste ainsi, sans voix, se contenant de le regarder. Réalisant enfin qu’elle n’est pas seule, pas pour le moment. Et puis, l’averse d’émotions arrive.

D’autres larmes viennent colorer son épiderme, non pas de tristesse, non ! Elle pleure de joie, Juliette.

- Elias, j’étais si inquiète ! J’ai cru que tu allais… Ne finit pas sa phrase, tant l’idée la terrifie. Comment te sens-tu, mon aimé ? As-tu besoin de quelque chose ?

L’assommant de question, elle est prête à tout pour qu’il aille mieux. De sa main libre, elle vient caresser tendrement la joue d’Elias. Un rictus soulagé se dessine sur ses lèvres, malgré la fatigue, elle sourit. Pour lui. Pour eux.

Néanmoins, les Dark Shadows paieront pour cet affront et cette déclaration de guerre envers son royaume. Dès que sa moitié sera rétablie et qu’elle aura fait plus amples connaissances avec la jeune Alice, elle enverra une lettre à Edelweiss. Mais pour le moment, Juliette préfère profiter du moment présent.

- Je t’aime, Elias…

Un baiser apaisant son cœur, Juliette laisse un soupir de soulagement s’échapper de la commissure de ses lèvres. Séchant ses larmes, elle pousse doucement son aimé à se réinstaller confortablement, pour qu’il ne souffre davantage de sa blessure. Puis, Elias lui pose la question fatidique. Son regard s’assombrit légèrement, alors qu’elle prend la parole.

- La fille est saine et sauve, nous l’avons récupéré. Nous avons enfin une princesse.

Elle l’inclue dans le rôle de veiller sur cet enfant, de la protéger coûte que coûte des dangers de ce monde cruel. La jeune rousse paraît si frêle et inoffensive, il va falloir la forger. Néanmoins, ce n’est pas ce qui la préoccupe pour le moment. Serrant le poing, Juliette continue son résumé des événements.

- Toutefois, Alastor et ses stupides fidèles ont quittés le royaume.

Sent-il qu’elle est particulièrement haineuse envers les Dark Shadows ? Qu’un jour, la vengeance de la Reine Rouge tombera sur ces idiots, qu’ils regretteront d’avoir croiser le fer avec elle ? Elle va brûler tout ce qui est cher à leurs yeux. Rien ne subsistera, si ce n’est les cendres de ses victimes. D’ailleurs, une idée lui traverse l’esprit.

- Nous les détruirons, je te le promets. Je te servirai la tête de Judas sur un plateau d’argent en guise de cadeau, lui et les Dark Shadows paieront pour cet affront.

Se penche un peu plus vers Elias pour lui voler un autre baiser, avant de simplement admirer son visage. Elle l’aime, plus que tout.

Elias mentionne la jeune princesse Marion, le visage de la Reine s’assombrit. Vient serrer la main de son aimé par réflexe, chercher la chaleur et le réconfort. Elle détourne le regard, Juliette, ne veut pas avouer ce qu’elle pense sincèrement. Parce que Marion est profondément bonne et elle, elle est profondément mauvaise. C’est son rôle après tout, être une antagoniste…N’est-ce pas ?

Être méprisée par son peuple, condamnée à la solitude éternelle, sombrée dans une folie paranoïaque et colérique. Est-ce seulement possible de ne plus jouer selon les règles de Mad et Chase ? A-t-elle raison d’avoir cette infime espoir ? Ou n’est-ce là qu’une preuve d’idiotie et d’irrationnalité ? Pourrait-elle vivre sans la peur ? Sans cette anxiété qui nourrit son être… ?

Tant de doutes, oh, tant de peurs. Elias… Marion…. Vont-ils finir par la haïr, eux aussi ?

Prend la parole, Juliette, d’une voix tremblante, peu assurée, peu digne de celle qui porte la couronne ensanglantée.

- Je ne sais pas, Elias… Elle est si…douce et pure… Si tendre et fragile… Et je ne suis qu’un monstre. La question que je me pose est : suis-je capable d’être digne d’elle ? suis-je capable d’élever un enfant sans en faire une bête assoiffée de sang… ?

Parce qu’on est réputée pour être la reine tyrannique, la reine cruelle qui coupe les têtes. La Reine des Cœurs brisés.

Elias.

Pitié, j’ai peur.

Peur de mon être, de ma nature.

Pitié, j’ai peur.

Peur que tu me détestes.

Peur que je te fasse du mal.

Elias.

Je t’aime.

Alors, va-t’en. Avant de souffrir comme Romeo a souffert.

Visage que son aimé relève doucement, croisant son regard. Juliette sait qu’Elias l’aime, et elle l’aime aussi. Plus que tout. Plus que de raison. Oh, elle s’inquiète pour lui. Elle est immortelle, intuable, une force de la nature tandis que le Chasseur peut trépasser à tout moment, vaincu par un ennemi. Elle ne veut pas penser à ça, non. Jamais Elias et elle-même ne seront séparés, jamais.

Pourquoi croire qu’elle ferait de la princesse un monstre ?

C’est dans sa nature, tout simplement.

Crée pour remplir le rôle d’antagoniste, pour être continuellement perçue comme l’horrible Reine Rouge. Petit jouet avec laquelle Mad et Chase s’amuse, observant le scénario en buvant le thé. Ah ! Qu’elle les méprise ! Elle aura leurs têtes, un jour. Elle couperait la tête de chaque habitant de Wonderland si cela permettait à Elias d’être en sécurité, si cela leur permettait d’être heureux.

Soupir las franchissant la barrière de ses lèvres, reprenant la parole.

- Mad et Chase, mes créateurs. Tu te souviens du jour dansant… ? Mad m’a dit que j’étais détestable, qu’on voulait me voir détrônée…. Est-ce vrai, Elias ? Mon peuple, mes soldats, mes sujets ne pensent-ils qu’à voir ma tête roulée sur le sol ? Suis-je vouée à être une copie maléfique et imparfaite de ma sœur ?

Moment de flottement, alors qu’elle plonge de nouveau son regard dans celui de son amant.

- Je… J’ai peur, Elias.

Geste empli d’une tendresse qui lui arrache un délicieux frisson, Juliette sourit doucement en entendant les paroles de son amant. Venant essuyer ses larmes, elle se blottit doucement contre lui, fermant un instant les yeux pour profiter de ce moment d’accalmie. Il a raison, elle ne devrait pas avoir peur, pas tant qu’Elias est à ses côtés. Présence rassurante de l’être aimé, le savoir en vie lui redonne espoir et confiance en l’avenir.

Le peuple est bien composé d’ignares et d’ingrats, s’ils pensent que Romeo serait un meilleur souverain, ils se trompent lourdement. Ce fou possède la même cruauté et la même mesquinerie, ils ne sont pas maris et femmes pour rien. Qu’importe les liens du mariage, qu’importe les traditions, qu’importe le rang social, elle aime Elias. Elle caresse le tendre rêve de pouvoir un jour l’épouser, ne serait-ce qu’en secret…

Juliette croise de nouveau le regard de son aimé, venant lier leurs lèvres dans un doux baiser.

- Merci Elias, pour tout.

Merci d’être à nos côtés, merci de nous épauler, merci de nous rassurer, merci de nous aimer.

- Je ne sais pas ce que je ferai sans toi…

Brisant le contact, elle lui laisse un peu d’espace pour qu’il puisse se reposer en toute tranquillité. La Reine vient lui embrasser le front, admirant le corps de celui qu’elle aime. Il est en vie ! Peu importe les pertes, peu importe les affronts, elle se sent victorieuse en quelque sorte.