Il a renvoyé les tours blanches vaquer à leurs occupations, saluant la bienveillance de leur intentions d’un sourire avenant. Elles sont apparues, mines renfrognées, désolées, près de l’embrasure de son bureau, accompagnées d’un truand et des denrées de son crime.

Elles ont poussé le brigand à l’intérieur, abandonné la camelote sur le bureau. Plus rapide de passer ici plutôt que d'aller voir le capitaine, ont-elles déclaré. (Moins de paperasse à faire, surtout, ont-elles oublié de mentionner). Monsieur Amberfox est toujours prédisposé et certaines des pièces blanches auront trouvé plus facile d’adresser leurs inquiétudes auprès de lui plutôt qu’auprès de leurs supérieurs gradés.  C’est une tendance qui lui sied bien, qui lui permet de garder un œil sur le corps des forces armées, qui lui permet de rediriger les litiges dignes d’intérêt vers sa personne si violence n’est point soupçonnée. À voir si, aujourd’hui, cette loyauté se veut synonyme de travail supplémentaire ou d’opportunités.

Le renard écarte ses papiers, interrompt formellement sa lecture des rapports quotidiens lui permettant d’être de  bons conseils à la reine de Marmoreal. Sourcil arqué, corps détendu, il contemple le jeune homme que l’on a jugé pertinent de déposer parmi ses affaires. Pas tout à fait lambda, à première vue, mais peut-être assez pour habituellement parvenir à se faire discret. Peut-être assez pour que l’on ne soupçonne pas immédiatement un subterfuge.

Il ajuste sa cravate de soie blanche.

« Nous n’en sommes pas à l’étape où la mise à mort est à considérer. », répond-t-il platement, désireux de calmer l’irrationalité qui embaume les propos de l’escroc (et ainsi éviter la calomnie d’un mal de tête). « De ce que je sache, nous ne nous trouvons pas à Crims. »

Nul doute qu’une tête coupée pour avoir daigné déroger à la loi de sa majestée de Crims est un prix courant à payer. Règne de terreur entre les paumes ardentes de Juliette, car elle, rongée de folie qu’elle est, ne sait appliquer d’autres moyens que la peur pour gérer son royaume. Triste femme, triste endroit.

Qu’il fait bon à Marmoreal.

« Dis-moi, que vends-tu donc pour les mettre dans un tel état ? »

Il jette un coup d’œil entendu aux babioles abandonnées sur son bureau.

« Je suppose que ta marchandise n’est point brevetée ? Et que tu n’as pas, de surcoît, de permis autorisant tes ventes ? »

Renard ravale toutes ses précédentes préconceptions quant à la banalité de son interlocuteur. La subtilité, aussi accessible soit-elle, ne pourrait exister dans une bouche tellement emplie de sucre qu’on l’entend craquer à chaque syllabe. L’apparence, ici, n’est visiblement que cet apparat peu prémédité, cette coïncidence vite trahie par la pestilence verbale.

Quelle infortune. Ils s’accordent au moins là-dessus.

Renard n’est point friand des airs trop grands, des artistes exagérés dont les performances débordent au point d’en perdre leur finesse, leur sens.  Le mensonge, selon lui, est un art qui s’exerce dans la minutie, qui se complait dans les ombres qui cintrent la vérité et qui s’exprime avec parcimonie. Il lui semble que son interlocuteur, la main dans le sac, prostré devant son bureau, trouve davantage son compte dans les artifices, dans une extravagance si fausse qu’elle le fait sonner comme du toc.

Un artiste accompli qui a fait s’effondrer son propre numéro. Ce n’est certainement pas un permis de vente qui le sauvera de son arrogance.

Renard retient un soupir et se penche, presqu’imperceptiblement, pour contempler le butin que l’escroc n’a point réussi à vendre. Il constate le talent de l’homme, se dit qu’il doit forcément être habile de ses mains ou habiles des mains d’un autre. Là où les morceaux d’art ne peuvent certainement pas se mesurer aux descriptions offertes par leur vendeur, ils semblent fonctionnels, jolis. Assurément en mesure de trouver des propriétaires disposés à se départir de leur monnaie en échange d’imitations disposées à offrir une impression d'opulence.

«  De l’exotisme, c’est bien cela ?  », il pèse ses paroles d’un passage de ses doigts dans la pacotille dispersée sur son bureau, croit reconnaître l’écho d’un service de thé en porcelaine qu’il avait convoité, fut un temps, avant de se raviser (parce que pourquoi mettre son argent dans quelque chose de déjà créé lorsqu’il pouvait commanditer la nouveauté). « Quelle curieuse description. J'ai davantage l'impression, mon cher, que l’un de tes clients les moins étourdi a été suffisamment fin pour déceler la qualité douteuse de tes denrées exotiques et t’a attrapé en pleine fourberie. Tu n'es pas le premier escroc à t'essayer à ce genre de tromperie. »

Pas le dernier, non plus.

« Il te faut apprendre à mieux choisir tes clients. Ou à mieux mentir. »

L’homme lui rappelle une pierre à polir, repue d’un potentiel qui ne se réfléchit point dans l’irrégularité de sa surface. Renard ne s'entourloupe donc pas de prétentions et pianote plutôt sur les touches d'un intérêt vague, désireux de voir jusqu'où son interlocuteur poussera sa charade, désireux de voir se qui existe au delà de la maladresse adroite des artifices.

« Essaye donc de me la vendre, ta jolie pacotille. »

Renard s’adosse dans son imposant fauteuil et croise les bras sur sa poitrine. Son regard bleu guette, toise, la séquence des mouvements, des mots, des actions à venir.