ses yeux s'étaient écarquillés, en remarquant les siens.
teinte dorée qui l'avait laissé interdit, n'ouvrant la bouche que lorsque ses pupilles qui se dilatent.
puis se rétractent.
mais sasha l'avait devancé.
oh... je- ouais. ça. euh... comment dire... je m'oublie très vite !
ça avait suffit pour le faire taire.
c'est pas si grave, je m'y suis fais, ça va. j'veux pas que tu t'inquiètes de ça.
il s'inquiétait, bien entendu qu'il s'inquiétait.
ne lui avait-il pas dit que le passage en entité ne se produirait pas en un claquement de doigts ?
qu'il ne s'oublierait pas du jour au lendemain ?
moins de six mois et le voilà, avec ses souvenirs manquants et le physique changeant.
viens... on en parle sur le chemin si tu veux.
et ils n'en avaient pas parlé.

trajet qui s'était fait dans le silence.
du moins, de son côté.
lèvres obstinément scellées, là où sasha s'était évertué à alléger l'ambiance.
peine perdue, quand ses pas tâchent l'herbe verdoyante d'un rouge vif.
que ses mains restent serrées en poings, jointures blanchissantes.
il ne lui en veut pas vraiment, yeon.
un peu, de lui avoir caché tout cela.
mais surtout en colère contre le monde entier.
il apprécie sa présence, ce serait mentir de prétendre le contraire, mais aussi égoïste soit-il, sasha avait droit à une seconde chance.
il ne méritait pas de rester coincé ici.
il devait repartir.

air marin familier qui le fait ralentir.
mauvais souvenirs qui se complaisent à le tourmenter.
inspire, tente de calmer l'agitation qui l'habite.
il n'a pas envie de maculer le sable d'écarlate une seconde fois.
s'arrête, se retourne vers lui — expression, jusque-là, fermée, s'adoucissant quelque peu.
c'est qu'il a mille et une question, ne sait pas par laquelle commencer — laisse le silence s'étirer quelques secondes.

— tu- y a-t'il autre chose...?

est-ce qu'il y a autre chose que tu ne m'as pas dit ?
sasha lui avait intimé de ne pas s'en faire, mais c'est plus fort que lui.

il oublie... tout ?
il tente de se rattraper sasha, de dire que ça lui revient.
mais lui, il s'accroche à cette phrase, l'horreur bien visible sur son visage.
braises de colère de nouveau attisées, à la mention de time.
bien entendu, que c'est lié à sa disparition.
bien entendu, qu'il devait aussi être affecté.
hasard qui fait bien les choses, se lie à la personne qui porte malheur.
étire un sourire amer, yeon, sans joie et grotesque.
ravi qu'il ne le regarde pas arborer une telle expression.

il mute, se transforme, ne devient qu'une fine ligne — lèvres désormais pincées.
je ne voulais pas t'accabler avec ça
s'avance, se plante en face de lui.
le force à le regarder, yeon, terriblement sérieux.

— tu as été là pour moi, quand j'ai réalisé que mes souvenirs m'ont trahis, qu'ariel n'était pas l'image que j'avais dépeinte et idéalisée toutes ces années.

si loin de l'amour, ou l'idée de l'amour qu'il s'était fabriqué, sur les bases d'une mémoire défaillante dès le départ.

— tu m'as empêché d'asphyxier pitoyablement sur le rebord de l'étang, chez ellen. tu m'as rappelé chopin. tu m'as tiré de mes déboires plus de fois que tu ne peux l'imaginer.

soupire.
à son tour de baisser les yeux, une seconde, avant de retrouver les siens.
si dorés.

— laisse-moi te rendre la pareille, ou au moins, laisse-moi t'écouter.

s'il te plaît.

ça en est vite devenu une habitude, de trouver réconfort au contact de ses doigts contre les siens.
peut-être qu'il devrait s'en inquiéter.
choisi de ne pas le faire.
préfère l'écouter en silence, tout en s'efforçant de ne pas laisser ses émotions s'agiter.
retrouver un souvenir, quand on oublie tout ?
quelle triste ironie du sort.
s'ajoute à la liste des griefs qu'il a envers ce monde et ses règles stupides.
il s'est résigné, sasha.
et ça lui fend le coeur, de l'entendre.
ignore la partie pernicieuse de son esprit qui s'en réjouit
je t'ai toi
jusqu'à qu'à ne plus y arriver
sourire mal assuré aux lèvres, en réponse au sien, lorsqu'il relève les yeux.

je t'ai un petit peu menti la dernière fois
arque un sourcil, expression qui se fait prudente-
j'ai grandi
tombe à plat, absence totale de réaction qui dure, dure et dure.
même face aux pupilles dilatées qui noient l'or.
avant d'éclater de rire — dégage délicatement l'une de ses mains pour l'étouffer, calmer son hilarité.
c'est qu'il ne s'attendait pas à cela, yeon, toujours prêt au pire, et jamais au meilleur.
ça lui prend quelques secondes, avant de retrouver un semblant de contenance, risette plus franche sur le visage.

— j'appréhendais une mauvaise nouvelle, encore pas que tu confirmes mes suspicions.

recule d'un pas, yeon, sans lâcher prise.
l'observe de la tête aux pieds.

— je me disais bien.

roule des yeux, bien qu'amusé — oublié, l'orage.

— non, j'ai toujours été plus grand que toi. ouais, c'est ça.

il lui promet de ne plus rien lui cacher, sasha.
et pour une fois, il veut bien croire une promesse sans la réfuter.
serre sa main, en guise d'assentiment silencieux, pas besoin de plus.
mais, encore une fois, on se laisse surprendre.
fige instinctivement, pour la deuxième fois.
c’est beau quand tu ris et souris comme ça
est-ce une si rare occasion, de le voir serein ?
ironise, yeon, parce qu'il sait pertinemment que c'est le cas.
paragon du désespoir qui révèle finalement autre chose que sa douleur.
sourire qui se fait plus timide, moins large.

— merci

pour le compliment
d'en être la cause
n'a pas l'occasion de préciser lequel, qu'il le tire vers l'eau, lui rappelle par la même occasion l'objectif de la journée.
n'oppose aucune résistance, lui emboîte le pas docilement.
croise son regard, rien qu'un bref instant — assez pour que son clin d'oeil ne passe pas inaperçu.
elle suffit à légèrement teinter ses joues, la douceur qu'il y remarque.
parfait miroir de ce qu'il devine aisément dans ses yeux à lui.
ignore son coeur qui s'agite, yeon, en fixant l'horizon.

— je ne serais pas ici, avec toi si ce n'était pas le cas.

atlantide, hein ?

— je te suis.

où tu veux.