Jay est ... parti.

Il a disparu. Comme ça.

Milo est là, debout au milieu du grenier avec une caisse à outils dans une main et une clope dans l'autre. C'est si vide. Ça respire le vide. La poussière qui s'est déposée partout. On a dit avec Sasha, qu'il fallait réaménager l'endroit, qu'il fallait en faire quelque chose. Passer à autre chose peut-être.

Mais Sasha, il vient d'arriver.

Milo, Milo a passé des années et des années ici, avec Jay. La caisse à outils lui échappe des mains et s'écrase contre le plancher. Aucune pensée pour celui qui dort en dessous, juste les larmes qui montent irrépressibles. Le pied traînant, il erre dans la chambre.

Des années.
De mensonge ?

Jay n'était pas Jay. Pourquoi il est parti ? Il aurait tout accepté Milo. Il l'aimait Milo. Même s'il avait menti. On veut juste savoir pourquoi. On veut juste savoir qui l'a pris. Ou s'il a juste fui.  

Et Milo, encore une fois a perdu.
Perdu son meilleur ami, son coloc.

Milo le cerveau en bouillie. Il a fui la maison, Sasha n'y était pas, elle puait le vide et les mensonges trop longs. Il fait bonne figure devant le troisième larron. Il sourit, il fait les mêmes blagues, parce que ce n'est pas dans ses habitudes que de se laisser abattre.

Machinalement, il fouille les tiroirs et ses doigts distraitement rencontrent une clé. Et sous la clé, un mot. Plié soigneusement. Fébrilement, Milo saisit les deux objets et les serre fort fort fort, tout contre son coeur, tout contre son âme.

Il descend les escaliers quatre à quatre, manque de se vautrer, dérapage contrôlé dans le couloir et ouvre la porte de la chambre de Sasha. Essoufflé par l'émotion, les joues encore humides de larmes. Il les essuie d'un revers de manches, relève la tête vers Sasha.

Sa-chat.

- Mec ... tes yeux.

C'est un peu flou dans la pénombre et à travers les larmes qui brouillent encore. Mais on dirait, on dirait des yeux félins. Fendus au milieu. Et Milo se sent un peu plus mourir au dedans. Sasha ne repartira donc jamais. Sasha est perdu lui aussi.

En tremblant, il baisse les yeux sur ses mains.

- J'ai trouvé ça dans le grenier. Je crois ... je crois que c'est à Jay.

Le morceau de papier entre les doigts. Il n'ose pas, n'ose pas l'ouvrir, n'ose pas le lire.
Tout comme il n'ose pas, n'ose pas te regarder.

Si c'est grave. Si, c'est grave Sasha. Tes yeux. Tes yeux. Tu as changé, Wonderland t'a mangé. Toi non plus tu ne repartiras pas. Il ne sait pas encore qui tu es devenu. On verra après, plus tard. D'abord Jay.

C'est étrange. Un qu'on pensait ici pour toujours qui disparait, et toi qu'on voulait voir partir qui reste. Jamais content Milo. Il est égoïste au fond, les gens font bien ce qu'ils veulent. Lui, il est dans le décor.

Prisonnier de Wonderland.

Ses doigts tremblent et il n'arrive pas à ouvrir le papier. Alors doucement, Sasha se lève et vient le chercher. Ses mains sur ses épaules et soudain, Milo se rappelle qu'il doit respirer.

Le visage de Sasha qui se décompose, les émotions dans ses yeux qui se meurent. Il lit à voix haute. Milo mord l'intérieur de ses joues, fort. Fort. Le gout du sang envahit sa bouche.

Jay est parti.
Les clés dans ses mains pèsent lourd soudain.
En vérité, il les a reconnues immédiatement. Les clés de Jay, ses clés à lui. La fin de tout, rendre les clés, fermer la porte, un mot sur la table et hop.

hop.
fini.
terminé.

Sasha pleure, pleure lui aussi de ses nouveaux yeux de chat. Il repousse le mot qu'il lui tend pour le prendre dans ses bras. Il étouffe un sanglot contre son torse un bref instant avant de sourire vers lui.

- Qu'est-ce que tu racontes ? T'as rien à voir là-dedans. Un pouvoir qui déconne, ça arrive à tout le monde ... même aux meilleurs faut croire.

Ne pleure pas Sasha, pas toi aussi.
Ce n'est la faute de personne, la faute à pas de chance.

la faute à pas de chance

Peut-être qu'il avait compris Milo. Que tu portais malheur. Peut-être pas. Une chose est sûre, il s'en fiche. Il s'en fiche. Et ce n'est pas de ta faute. C'est une certitude.

Sourire triste. Il attrape ton oreille entre deux doigts et tire dessus.

- Tais-toi idiot. Les pouvoirs c'est une galère. Avant d'habiter ici, j'étais à la rue parce que j'ai cramé ma première maison parce que je contrôlais pas mes flammes. C'est ok. C'pas ta faute.

Il ne t'en voudra pas, c'est promis.

Recule, essuie ses larmes aussi. tente d'oublier qu'au dedans, ça tabasse, qu'au dedans, il a mal. Il se roulera en boule dans son hamac, tout seul. Une dernière fois, hurler dans l'oreiller et après, tout ira bien. On fera comme si.

Sourire taquin Milo.
Voilà la perche parfaite, voilà comment on cesse de penser à la tristesse.

- Yeon tu dis ... la sirène avec laquelle tu me bassines depuis ton arrivée ?

Hausse un sourcil moqueur.

- La sirène dont rien que le nom te fait rougir ? Évidemment, fais ce que tu veux. T'es chez toi ... et on a une chambre en rab après tout.