♫♪ Le fils à papa - Vianney

Au hasard
On compte nos défauts
On compte nos déboires
Et l'on a ce qu'il faut

Il est là, Uriel, est-ce que tu le vois ?
Le dragon fatigué -l'homme harassé, est-ce que tu le sens ? Réellement. Car la remarque tu sais, ça ne veut rien dire, rien dire du tout car v o i r voir voir ce n'est pas seulement ça. Alors dis, Uriel, est-ce que tu le vois, l'homme paumé égaré jusqu'à toi ? Parce que lui, tu sais, il ne sait même pas pourquoi il est là. Pour oublier, sans doute, en t'écoutant chanter. Parce que tu es douce alors, il cherche à en profiter.

Il ne dit pas bonjour, que tu demandes déjà.
Ne dira pas bonjour, alors.

— Je ne crois pas.
Ce n'est pas d'elle dont il a besoin aujourd'hui.

— Je ne suis pas sûr.

Ce doit bien être la première fois que les plaies sont si grandes qu'il ne sait plus comment ni où avancer. Il se sent un peu bête Jabberwocky, de ne pas savoir pourquoi il se rend fou ni pourquoi il est là vraiment.

— Tu peux rester.
Reste.

À croire que c'est pour toi qu'il est venu finalement.

À l’aide à l’aide à moi
On m’a pas fait comme ça non

Il n'esquisse pas un seul geste lorsque tu t'approches, Jabberwocky le dos droit si grand si grand et toi, si douce Uriel -les doigts qui caressent sa joue, le regard si soucieux il ne comprend pas vraiment pourquoi. Mais on dirait Susan, un peu. Il est doux Susan, tu sais ? Doux comme toi, gentil comme toi.

Alors alors petit ange tu adresses les bénédictions et le doigt s'avance lentement après avoir quitté la peau porcelaine. Rejoint le torse, le coeur. Est-ce que ça fait mal ? Il ne sait pas, où est passé son coeur dis. Tu le sais toi ? Se demande finalement, s'il en a vraiment besoin, avant que tu ne te déposes, joli papillon, contre son front. Est-ce à la tête que ça fait mal ? Qu'est-ce qu'il veut dis, est-ce que tu le sais ?

— Je ne sais pas, Uriel.

Il s'est perdu.
Et le chemin aujourd'hui ne l'a pas mené chez Susan mais chez toi alors.. C'est sur toi qu'il déversera sa peine.

— J'ai l'impression de mourir et de pourtant déjà l'être.
Suis-je réparable dis ?

Toi qui n'a pas le don de Susan, toi qui n'a pas son a m o u r pour Susan mais toi qui reçois pourtant si bien ses peines et sa douleur, dis. Fais quelque chose. Laisse-le se perdre dans tes yeux plus longtemps, laisse-le se saisir doucement de tes doigts comme tu t'es saisi des siens plutôt -ne le fais pas par peur simple de te briser. Bahn lui en voudrait, Sidhe le tuerait.

Alors il ne bouge pas.
(ne veut pas souffrir plus le dragon)
Et une fois encore c'est de toi qu'il se laisse faire, toi qui le guide si tendrement jusque la balancelle. Il s'y installe, le regard perdu sur le sol. Léger mouvement de ses jambes qui touchent le sol pour vous balancer doucement -il paraît que ça apaise, alors il veut essayer.

— J'ai mal partout, j'ai mal nulle part, je ne sais pas.
Je suis perdu.

— Qu'est-ce que tu vois, quand tu me vois.

Les iris qui cette fois remontent chercher les tiens.
Dis lui que tu vois un monstre,
Dis lui que tu vois un homme.

Qu'est-ce que tu vois Uriel ?

Un doigt sur ses lèvres. Silence silence Jabberwocky, que raconte t-il donc comme idiotie encore pour que même toi tu le fasses taire jolie Uriel ? Il ne dit plus rien alors, s'accroche à tes mots tendres et à tes gestes si doux -tu le vois lui mais lui ne se voit plus. Alors les doigts remontent et tu vois de si jolies choses Uriel, est-ce que tu es sûre de ne pas te tromper ? La beauté d'un ciel étoilé mais où est sa lune tu as bien raison.

Elle n'est pas là sa lune, elle est ailleurs.
Caresse sa joue, un sourire alors -c'est léger, à peine visible mais bien présent.

Car tu dis Lune et c'est le fils du Temps qui apparaît. Gardien du monde et de son coeur, il lui a offert son âme tu sais ? C'est inconscient bien sûr, mais Jabberwocky sait bien que sans Susan il ne serait plus rien. La réponse est sans doute là. Pourtant il ne s'en pas s'en convaincre, c'est étrange n'est-ce pas ?

Tu retires ta main, lui se perd à fixer le sol un long moment.

— Susan... dit-il dans un souffle plein de réflexion. Ce n'est pas ma lune.

Il réalise doucement.
Il se souvient l'avoir pensé de nombreuses fois.

— Je connais cet endroit, je crois. C'est agréable.

La douceur des draps, les sourires, les caresses et les rires.
C'est délicat, tellement que ça lui donne envie de rêver.
Mais.

— Mais il ne m'attend pas.
Qui pourrait attendre le Jabberwocky, dis ?

Même toi tu ne l'attendrais pas, Uriel.
Il en est persuadé.

— Pourquoi attendre quelque chose qui est près de soi ?

Il est incapable d'expliquer la surprise qui le prend soudain, ses yeux qui s'écarquillent doucement et son corps qui se fige un instant; le temps de ton silence avant de relever doucement la tête pour te regarder. Uriel tu es si douce -comme la caresse tendre d'une mère à son enfant, il ne comprend pas pourquoi tu es comme ça avec lui (avec tout le monde créature si douce si pure) tu le désarçonnes totalement, le perd toujours plus tout en le guidant. C'est très étrange ce sentiment, il en reste sans voix les bras ballants. Comment fais-tu, dis ?

Les spectateurs sont-ils tous si attentionnés et bienveillants que toi ?
Est-ce que tu aimes ce que tu vois, Uriel ? Qu'il est difficile d'aimer la lune sans jalouser les étoiles, d'aimer Susan sans maudire le Bandersnatch sans en vouloir à Aliocha c'est impossible. Mais Susan n'est pas la lune, de ça le Jabberwocky en est certain.

— Susan... Il ressemble à l'aube d'une journée de printemps.

La jonction entre la nuit étoilée et le ciel bleu des journées ensoleillées. La pensée lui arrache un nouveau sourire, un peu gêné parce que c'est la première fois qu'il se dévoile aussi profondément à quelqu'un d'autre qu'Aliocha ou le fils du Temps.

— Il est comme cette fleur entre tes doigts. Il ne peut pas être ma lune s'il est l'aube n'est-ce pas ?

Ou peut-être.
Peut-être qu'il n'est pas que ça, finalement.
Parce que décrire Susan c'est ne pas oublier les amertumes salées -tu disais que le soleil l'étouffait. Et si ?

— Dis, Uriel. Et si ma lune était aussi mon soleil, est-ce qu'il serait l'aube alors ? L'aube d'un printemps de nuit et l'aube d'un été brûlant -ça paraît si fou.

Et pourtant.
Pourtant il a conscience Jabberwocky, de tout ce que Susan est capable de faire de lui.

Un jour l'un, un jour l'autre, comme une horloge, comme un coeur qui bat. C'est vrai. C'est vrai Uriel, Susan est son aube -entre le soleil brûlant et la lune réconfortante. Mais il n'est pas sûr...

— Un rendez-vous ?

Il ne parvient pas à comprendre le sens que tu y mets alors il n'a pas de réponse. Les sentiments qui se bloquent au fond de la gorge, c'est désagréable de ne pas savoir. Il déteste ça. Alors alors douce fleur tu t'échoues tendrement entre ses doigts, vos vingt mélangés vos âmes unifiées. C'est apaisant. Lorsque l'on ne comprend pas c'est apaisant de te parler, tu sais. De t'écouter. Car s'il est un rendez-vous tu es narratrice du temps qui passe, tu es la brise légère contre sa peau -éphémère mais toujours présente aux instants les plus importants.

Toujours présente à s'inquiéter des corps et coeurs en morceaux.
Est-ce que quelqu'un prend au moins le temps de s'inquiéter pour toi en retour, Uriel.

Bien sûr que non, c'est bien pour ça que Bahn veille si durement sur toi, pas vrai ?

— J'ai désobéi.

Susan n'est pas capable d'une telle horreur, c'est impossible.
L'esquisse discrète avant qu'il ne plante son regard dans le tien. Plus vide soudain, à trop se remémorer les jours dans sa prison.

— C'est mon châtiment, j'ai payé mon erreur.

C'est comme ça que ça marche au Royaume de Coeur.

Un silence pour couvrir tes mots, figé le Jaberwocky -surprit d'entendre encore des paroles dont il n'avait jamais su quoi faire. Avant toi il y avait eu Aliocha, Aliocha et sa douceur à l'image du sang qui circule dans ses veines. Aliocha est un cri, tu sais ? Le cri du Jabberwocky silencieux en petite voix qui supplie. Sors sors ! Vole Jabberwocky ! Fuis toi qui es si libre, ne reste pas enchaîné. Jabberwocky n'en avait rien fait, parce qu'à l'époque comme aujourd'hui il se sentait perdu. Alors au lieu de partir il s'est oublié. Il a perdu de vu son humanité et sa monstruosité, il a craqué, paniqué.

Puis il a été puni.
C'est si simple n'est-ce pas ?

— Tu n'es pas la première, Uriel.

À essayer. Un faible sourire à ses lèvres qui s'étire. Il se demande si tu seras la dernière.

— Je n'ai pas su répondre la première fois.

Incapable de dire à Aliocha cette vérité si évidente, incapable de l'admettre à voix haute parce qu'il ne connaissait pas cette raison qui le poussait à rester malgré tout. Alors devant ce miroir il était resté silencieux, comme il l'est actuellement face à toi. Pourtant c'est une chose qu'il sait depuis toujours.

— La balance n'a jamais été juste. C'est là notre fondement même. Le scénario n'a pas été écrit pour être équitable, simplement pour amuser.

C'est pour cette raison qu'il préférait ne jamais penser.
Parce qu'il s'est perdu entre tous ces lui qui ont façonnés le monde même sans ça. Mais maintenant, que faire ?

Laisse un soupir discret échapper à ses lèvres.
Ce n'est pas ça qui le dérange vraiment, en réalité. Ce ne sont ni Mad, ni Chase, ni ces histoires non. Ça n'a jamais été ça.

Le corps qui se fige de surprise à ton étreinte douce comme la soie. Que fais-tu, Uriel ? Il n'a pas la force de t'interrompre pour le demander. Jabberwocky se sent un peu idiot alors, de n'être même plus capable de te repousser. Il se demande si c'est parce que tes mots sont justes une fois encore ou bien parce que tout est réellement apaisant chez toi. Il n'a l'envie que de se laisser aller, décide alors de se laisser aller. Ses paupières qui se closent tandis que son visage s'abaisse, le menton vient trouver ton épaule avant qu'il n'inspire longuement.

Relève la tête pour te regarder lorsque tu sembles t'écarter, sans voix à tes paroles. Les réponses ne viennent pas, parce qu'il n'est pas sûr de ce qu'il attend. Que tout s'arrange tout seul, sans doute, si seulement les choses pouvaient s'arranger -mais desquelles parle-t-il ? Même ça il ne sait pas. Ce n'est pas grave.

Le scénario n'est qu'un décor, ajoutes-tu.
C'est en effet quelque chose qu'il a toujours pensé, n'a jamais compris d'ailleurs la haine que la plupart des réincarnations vouaient à Mad et Chase comme s'ils se cherchaient des excuses à leurs idioties. C'est ce qu'il s'était passé au Bal, une partie des raisons qui l'ont mené à sa perte au point de le faire craquer.

La paume de sa main vient rencontrer doucement ta joue, tu demandes alors.
Aurait-il changé quelque chose ?

— Non.

C'est la seule chose dont il soit sûr actuellement.

— Je ne suis pas certain de ce qu'est un regret mais je n'aurais rien changé. Pas une seule infime part de mon passé.

Dont la majeure partie n'a pourtant jamais connu le bonheur réel -mais comme tu l'as si bien sous-entendu, c'est ce passé qui l'a mené à rencontrer son aube. C'est ce même passé qui le mènera à son avenir. Un léger soupir qui échappe ses lèvres.

— Je suis fatigué, Uriel.

Las de lutter depuis toujours et pour toujours.
Une pensée tendresse à Aliocha soudain, sourire qui s'étire. Il se souvient des espoirs qu'il avait apporté à son âme blessée. Un peu comme tu viens de le faire, c'était si doux. Il se demande alors, te demandes à toi Uriel.

— Zolotoy drakon, le dragon-soleil... C'est ce qu'il a dit, l'autre qui a aussi tenté. Pas Susan, pas l'aube. L'autre, la sorcière -Aliocha. Zolotoy drakon. C'est beau, n'est-ce pas ?

Si c'est possible qu'il soit ce dragon, finalement.